Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre III/Chapitre CXXI

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Texte établi par J. A. C. Buchon (IIp. 725-727).

CHAPITRE CXXI.

Comment messire Thomas de Percy et messire Raoul son frère atout grands gens d’armes et archers allèrent après les Escots pour conquerre leur pennon que le comte de Douglas avoit conquis devant le Neuf-Chastel-sur-Tyne, et comment ils assaillirent les Escots devant Octebourg.


Conté fut et dit à messire Henry de Percy et à messire Raoul, son frère, et aux autres qui là étoient, par chevaliers et écuyers, droites gens d’armes de Northonbrelande qui poursuivi avoient les Escots depuis que ils se départirent du Neuf-Chastel, et découvert tout le pays à l’environ pour mieux averir leur fait, car ils ne vouloient informer les seigneurs que de vérité ; et dirent ainsi les recordeurs et rapporteurs : « Vous, messire Henry, et vous, messire Raoul, vous devez savoir que nous avons poursuivi les Escots et découvert le pays tout à l’environ. Les Escots ont été à Pontlan et ont pris en son fort messire Aimons Alphel[1], et de là sont-ils allés devant Octebourch et là giront anuit ; nous ne savons de demain, car à ce se sont-ils ordonnés pour là demourer. Et vous savons bien à dire que leur grand ost n’est point avec eux, car en toute somme ils ne sont non plus de trois mille hommes. »

Quand messire Henry de Percy entendit ces nouvelles, si fut moult réjoui et dit : « Or, aux chevaux ! aux chevaux ! car foi que je dois à Dieu et à monseigneur mon père ! je vueil aller querre mon pennon ; et seront délogés de là encore anuit. » Chevaliers et écuyers qui ouïrent ces nouvelles ne répondirent point du non, mais se appareillèrent tantôt parmi la ville du Neuf-Chastel.

Ce propre soir devoit venir l’évêque de Durem atout grand gent, car il avoit entendu à Durem où il se tenoit, que les Escots s’étoient arrêtés devant le Neuf-Chastel, et que les enfans de Percy, et les barons et chevaliers qui là étoient, les devoient combattre. Donc l’évêque, pour venir à la rescousse, avoit assemblé toutes manières de gens sur le plat pays, et s’en venoit au Neuf-Chastel ; mais messire Henry de Percy ne le volt pas attendre, car il se trouvoit bien accompagné de six cents lances, chevaliers et écuyers, et bien huit mille gens de pied. Si disoit que c’étoient gens assez pour combattre les Escots qui n’étoient pas trois cens lances ou environ et deux mille hommes d’autres gens.

Quand ils se furent tous assemblés, ils se départirent du Neuf-Chastel, ainsi comme à basse remontée, et se mirent aux champs en bonne ordonnance, et prirent le chemin tout tel que les Escots étoient allés en chevauchant vers Octebourch, à sept petites lieues de là et beau chemin ; mais ils ne pouvoient fort aller pour les gens de pied qui les suivoient.

Ainsi que les Escots séoient au souper et que les plusieurs s’étoient jà couchés pour reposer, car ils avoient travaillé le jour à l’assaillir le chastel, et se vouloient lever matin pour assaillir à la froidure, evvous venir les Anglois sur leur logis ; et cuidèrent les Anglois dès leur première venue, en entrant en leur logis, des logis des varlets qui étoient à l’entrée, que ce fussent les maîtres. Si commencèrent les Anglois à crier : « Percy ! Percy ! » et à entrer en ces logis lesquels étoient forts assez. Vous savez que en tels choses grand effroi est levé. Et trop bien chéy à point aux Escots que les Anglois de leur première venue s’embattirent sur les varlets, car quoique ils ne leur durassent que un petit, si furent ces Escots tout pourvus et avisés de ce fait, et virent bien et sentirent que les Anglois les venoient réveiller. Adonc envoyèrent les seigneurs une quantité de leurs gros varlets et de leurs gens de pied où l’escarmouche étoit pour eux plus ensonnier, et entrementes ils s’ordonnèrent, armèrent et appareillèrent et mirent ensemble, chacun sire et homme d’armes dessous la bannière et le pennon de leurs capitaines, et les comtes ainsi que ils devoient aller et répondre ; car, des trois comtes qui là étoient, chacun avoit sa charge. En faisant ce la nuit approchoit fort, mais il faisoit assez clair, car la lune luisoit ; et si étoit au mois d’août et faisoit bel et sery, et si étoit l’air coi, pur et net.

En celle ordonnance que je vous dis se mirent les Escots, et quand ils se furent tous recueillis et mis ensemble sans sonner mot, ils se départirent de leurs logis. Et ne prirent point le chemin en allant tout droit devant eux pour venir au visage des Anglois ; mais côtoyèrent les marécages et une montagne qui là étoit. Et trop grand avantage leur fit ce, au voir dire, que tout le jour ils avoient avisé le lieu où ils étoient logés ; et avoient les plus usés d’armes entre eux devisé et dit ainsi : « Si les Anglois nous venoient réveiller sur nos logis, nous ferions par ce parti, et par tel et par tel. » Et ce les sauva ; car c’est trop grand’chose de gens d’armes à qui on cuert sus de nuit en leur logis, et de jour ils ont avisé le lieu où ils sont logés et dit et devisé entre eux : « Par tel parti les pouvons nous perdre et gagner. »

Quand les Anglois furent venus sus ces varlets, de première venue ils les eurent tantôt rués jus ; mais en allant dedans les logis, toujours trouvoient-ils nouvelles gens qui escarmouchoient à eux et les ensonnioient. Et véez ci venir Escots tout autour, si comme je vous ai jà dit ; et à un faix ils s’embattirent sur les Anglois, là où ils ne s’en donnoient garde, et écrièrent tous à une voix leurs cris quand ils furent de-lez eux. Les Anglois furent tout émerveillés de celle affaire, et se ressortirent ensemble, en prenant pas et ferme terre et en écriant : « Percy ! » et les autres ; « Douglas ! » Là commença la bataille felle et cruelle, et le poussis des lances dur et étrange, et en y eut de ce premier rencontre des abattus d’une part et d’autre. Et pour ce que les Anglois étoient grand’foison et que moult désiroient leurs ennemis à déconfire, ils s’arrêtèrent sur leurs pas en poussant, et reculèrent grandement, les Escots qui furent sur le point que de être déconfits. Le comte James de Douglas, qui étoit jeune et fort et de grand’volonté, et qui moult désiroit à avoir grâce et recommandation d’armes, et bien les vouloit desservir, et ne ressoignoit pas la peine et le péril, fit sa bannière passer avant en écriant : « Douglas ! Douglas ! » Messire Henry de Percy et messire Raoul son frère qui avoient grand’indignation sus le comte, pourtant que il avoit conquis le pennon de leurs armes aux barrières du Neuf-Chastel, et lui vouloient remontrer si ils pouvoient, s’adressèrent celle part en écriant tout haut : « Percy ! Percy ! » Là se trouvèrent ces deux bannerets et leurs gens, et là eut grand’appertise d’armes. Et vous dis que les Anglois étoient si forts, et à ce commencement si bien se combattirent, que ils reculèrent les Escots. Et là furent deux chevaliers d’Escosse que on clamoit messire Patrice de Hexborne[2] et messire Patrice son fils, qui trop vaillamment s’acquittèrent ; et étoient de-lez la bannière du comte de Douglas et de sa charge ; et là firent merveilles d’armes ; et eût été conquise sans faute si ils n’eussent là été. Mais ils la défendirent si vaillamment, au poussis et au donner coups et horions à aider leurs gens à venir à la rescousse, que encore ils en sont, et leurs hoirs, à recommander.

Il me fut dit de ceux qui proprement furent à la bataille, tant des Anglois comme des Escossois, de chevaliers et d’écuyers, car du pays au comte de Foix et de son lignage, il en y eut avecques les Anglois deux écuyers vaillans hommes, et lesquels je trouvai, la saison ensuivant que la bataille fut entre le Neuf-Chastel et Octebourch, à Ortais de-lez le comte de Foix, Jean de Chastel-Neuf et Jean de Cantiron, et aussi à mon retour en celle saison en Avignon, je trouvai un chevalier et deux écuyers d’Escosse de l’hôtel du comte de Douglas lesquels je reconnus, et ils me reconnurent par les vraies enseignes que je leur dis de leur pays ; car de ma jeunesse, je, auteur de celle histoire, je chevauchai tout partout le royaume d’Escosse, et fus bien quinze jours en l’hôtel du comte Guillaume de Douglas, père de ce comte James dont je parle présentement, en un chastel, à cinq lieues de Haindebourch, que on dit au pays Dalquest[3] ; et ce comte James, je l’avois vu jeune fils et bel damoisel, et une sienne sœur que on appeloit Blanche[4] ; si fus informé des deux parties, et tout en la saison que la bataille avoit été ; et bien se concordoient les uns et les autres ; mais ils me dirent que ce fut une aussi dure besogne et aussi bien combattue que nulle bataille ne pût oncques être ; et je les en crois bien, car Anglois d’un côté et Escots d’autre côté sont très bonnes gens d’armes ; et quand ils se trouvent ou encontrent en parti d’armes, c’est sans épargner. Il n’y a entre eux nul ho. Tant que lances, haches, épées ou dagues, et haleine peuvent durer, ils fièrent et frappent l’un sur l’autre ; et quand ils se sont bien battus et assez combattus, et que l’une partie obtient, ils se glorifient si en leurs armes et sont si réjouis que sus les champs, ceux qui sont pris et fiancés ils sont rançonnés ; et savez-vous comment ? si très tôt et si courtoisement que chacun se contente de son compagnon, et que au département ils disent grand merci. Mais en combattant et en faisant armes l’un sus l’autre, il n’y a point de jeu ni d’épargne, ainçois est tout acertes ; et bien le montrèrent là, ainsi que je vous dirai avant que je me départe de la besogne ; car ce rencontre fut aussi bien demené au droit d’armes que nulle chose pût oncques être.

  1. Raimond de Laval.
  2. Partick de Helburn.
  3. Dalkeith.
  4. Le comte William Douglas eut deux enfans de son premier mariage avec Marguerite, fille du comte de Mar ; James, qui succéda à son titre, et Isabelle, que Froissart appelle ici Blanche.