Les Éblouissements/Ô torrides instants

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Comtesse Mathieu de Noailles ()
Calmann-Lévy, éditeurs (p. 386-387).

Ô TORRIDES INSTANTS

Ô torrides instants de mon après-midi !
Faut-il connaître encor ces cuisants paradis :
Bondir chaque matin au cri d’or de l’aurore,
Rêver encor, aimer encor, souffrir encore,
S’avancer en cachant sous le masque des yeux
Les désirs turbulents, brûlants, audacieux !
Tout désirer, vouloir les mondes et les âmes,
Avoir chaud dans la glace, avoir frais dans les flammes,
Et fondre de plaisir comme un flot écumeux
Sous la douceur des cieux éclatants ou brumeux…
— Je sais bien que là-haut, sur la claire colline,
Un visage divin qui sourit et s’incline,
Ton visage, Hélios ! illumine mes pas;
Mais tu ne peux goûter que les luisants combats,
Tu me lances tes feux en t’écriant : Va vivre !
Hélas je vis, toujours errante et toujours ivre,
Je vis, pleine d’azur, de sanglots, de souhaits,
N’ayant craint que la tiède et la timide paix,

Ayant toujours cherché quelque haute montagne
Où le grand flottement de l’aigle m’accompagne,
Ayant fait de ma vie une éclatante tour
Où monte plus d’amour et toujours plus d’amour,
Ayant choisi le sort le plus âpre et farouche
Pour y jeter mes mains, pour y coller ma bouche,
Ayant mis le délire au-dessus du remords…
— Mais vous viendrez, enfin ! douce et divine Mort…