Les Éblouissements/Prière du matin

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Comtesse Mathieu de Noailles ()
Calmann-Lévy, éditeurs (p. 98-99).

PRIÈRE DU MATIN


Le jour luit. Je ne crois qu’à mes dieux immortels
Qu’aucun effort n’arrête.
Mon âme est faite avec les sables et le sel
Des rives de la Crète.

Je ne crois qu’à Cybèle, à Minerve, à Junon,
Ce sont mes bonnes fées,
Je les vois, dans un soir léger du Parthénon,
D’un soleil d’or coiffées.

Je crois au jeune Pan, à la nymphe qui mord
Le printemps sur la rose,
Je crois aux voluptés et je crois à la mort
Qui finit toute chose.

Quand je mourrai, je veux qu’avec un soin pieux
On mette dans ma bouche
L’obole qu’il nous faut pour aborder les dieux
Sur la rive farouche.


Et puis je dormirai, d’un sommeil las, soumis,
Dans l’insondable abîme ;
Je verrai près de moi mes dieux grecs endormis,
Effacés et sublimes.

Mais mon cœur n’ira pas s’isolant tout entier :
Je ne mourrai pas toute,
Je sais que sous le ciel ma vivante amitié
Continuera sa route.

– Je vous ai tant aimés, parfums, tiède clarté
De la moelleuse aurore,
Parterres fleurissants et sucrés de l’été,
Vague blanche et sonore,

Un tel élan ne peut être arrêté tout court,
C’est l’extase animée,
Ma tendresse pour vous dépassera mes jours
Et ma bouche fermée…