Les Étoiles (Bruhat)/Avant-propos

La bibliothèque libre.
Félix Alcan (p. v-viii).

AVANT-PROPOS

Un certain nombre de livres ont déjà présenté au grand public l’image que nous nous faisons aujourd’hui de l’Univers sidéral : celui-ci se propose surtout de lui montrer comment nous sommes parvenus à nous former cette image, et quel est le degré de certitude de nos connaissances.

C’est le point de vue auquel je m’étais placé dans le cours de Physique stellaire que j’ai professé à la Sorbonne en 1937. Un cours d’Enseignement supérieur n’est en effet pas destiné à énoncer aux étudiants des faits et des hypothèses sans les prouver ou les justifier, pas plus qu’à leur faire l’énumération de théories contradictoires ou à leur donner l’indication bibliographique des mémoires qui les contiennent. Le but essentiel de l’enseignement est, en leur faisant connaître les résultats acquis, de leur faire comprendre les méthodes qui ont permis de les obtenir, de leur donner une idée exacte de ce que sont les choses que l’on mesure, de les mettre à même de se rendre compte de la précision avec laquelle on les mesure. Ce n’est qu’après avoir fait cette discussion que l’on peut indiquer comment on peut se faire une image d’ensemble de l’Univers, car ce n’est qu’à ce moment que l’étudiant peut se faire une opinion personnelle sur la valeur de cette image : il saura quels en sont les traits essentiels imposés par l’observation, quelles en sont les parties où l’imagination théorique a dû suppléer à l’insuffisance de nos connaissances, quels sont les faits expérimentaux qu’elle est encore impuissante à représenter.

Il m’a semblé qu’un tel exposé pouvait parfaitement être suivi de tous ceux qui, sans être des savants, sont au courant des grandes idées du mouvement scientifique moderne. Sans doute, j’ai dû supprimer la plupart des développements mathématiques que j’avais utilisés dans mon cours de la Sorbonne : mais le développement mathématique n’est jamais la partie la plus importante de l’exposé et de la discussion d’une question de Physique. L’essentiel est de bien savoir quelles sont les données de l’expérience et quelles sont les hypothèses qui vont servir à les mettre en œuvre ; cette mise en œuvre est l’affaire du mathématicien : à condition qu’il n’ait pas introduit sans nous prévenir de nouvelles hypothèses, nous pouvons avoir confiance en la rigueur logique de son raisonnement, et être assurés que les résultats qu’il nous apporte ont la même précision que nos données et la même valeur que nos hypothèses.

Le livre commence, après un premier chapitre qui présente au lecteur les objets dont il s’occupera, par l’étude des mesures fondamentales de l’Astronomie physique, les mesures photométriques et les mesures spectrographiques. Ce n’est qu’après avoir complètement exposé, dans les chapitres II et III, quels sont les résultats directs de l’observation, que j’indique, dans le chapitre IV, comment les lois du rayonnement et de l’émission spectrale permettent d’en déduire la température des étoiles et la constitution de leurs atmosphères. Le chapitre V est consacré à l’étude des distances et des dimensions des étoiles, le chapitre VI à l’étude de leurs masses, déduites de l’observation des étoiles doubles : on verra dans ces deux chapitres quel secours puissant les méthodes de l’Astronomie physique ont apporté en ces questions aux méthodes plus anciennes de l’Astronomie de position.

Le chapitre VII est consacré aux nébuleuses galactiques et à la matière interstellaire : je me suis efforcé d’y montrer quels sont les résultats aujourd’hui acquis, et surtout d’y bien marquer quels sont les phénomènes qui ne sont encore connus que d’une façon qualitative et dont l’étude précise sera sans doute l’œuvre des prochaines années. Le chapitre VIII est réservé aux novæ et aux étoiles variables : j’y ai surtout insisté sur celles de ces étoiles — les Céphéides — qui nous fournissent le moyen d’évaluer les distances dont il sera question dans les chapitres suivants. Il m’est alors possible d’exposer, dans le chapitre IX, nos connaissances sur la structure d’ensemble de la Galaxie et du système des amas globulaires qui lui sont rattachés, puis, dans le chapitre X, l’état actuel de nos connaissances sur les systèmes extragalactiques

C’est volontairement que j’ai laissé de côté, au cours de ce livre, des questions telles que l’état intérieur des étoiles, l’âge de la Voie Lactée, l’évolution de l’Univers : ce sont là des questions qui échappent actuellement à la recherche expérimentale et au contrôle de l’observation ; elles ne peuvent être abordées que par des extrapolations, trop hardies pour être sûres, des lois de la Mécanique et de la Physique établies par les expériences faites à l’échelle de nos moyens d’investigation. J’ai préféré me borner aux questions auxquelles nous pouvons aujourd’hui donner une réponse et aux problèmes que nous pouvons aborder sans trop de présomption : le lecteur verra combien leur nombre a été accru par les progrès modernes des instruments d’observation et par les développements récents des théories physiques. J’aurai rempli mon dessein si j’ai réussi à lui montrer quelles sont les questions auxquelles l’Astronomie a dès maintenant apporté une réponse définitive, et quelles sont celles pour lesquelles nous sommes seulement sur la voie d’une solution : j’espère qu’il comprendra l’intérêt qu’il y a à développer encore la recherche astronomique, et qu’il demandera avec moi aux Pouvoirs publics de doter aussi bien nos vieux observatoires que notre jeune service d’Astrophysique des instruments nécessaires pour que notre pays reprenne dans cette recherche la place éminente qu’il y occupait au xixe siècle.

Je tiens à remercier particulièrement ici M. Esclangon, directeur de l’Observatoire de Paris, qui a bien voulu mettre à ma disposition la collection des clichés du Palais de la Découverte, et M. Baldet, astronome à l’Observatoire de Meudon, qui a eu la complaisance de préparer spécialement pour ce livre quelques-uns des clichés que reproduisent ses planches. Je remercie aussi M. W. S. Adams, directeur de l’Observatoire du Mont-Wilson, et MM. Saget et Lencement, membres de la Société Astronomique de France, qui ont également eu l’amabilité de me donner des clichés.