Les Évangiles (Renan)/XIII. L’Évangile de Luc

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CHAPITRE XIII.


L’ÉVANGILE DE LUC.


Comme nous avons déjà eu maintes fois l’occasion de le remarquer, les écrits évangéliques, à l’époque où nous sommes arrivés, étaient nombreux[1]. La plupart de ces écrits ne portaient pas des noms d’apôtres ; c’étaient des essais de seconde main, fondés sur une tradition orale, qu’ils n’avaient pas la prétention d’épuiser[2]. Seul l’Évangile de Matthieu se présentait comme ayant le privilège d’une origine apostolique ; mais cet Évangile n’était pas fort répandu ; écrit pour les juifs de Syrie, il n’avait pas encore, ce semble, pénétré à Rome. C’est dans ces conditions qu’un des membres les plus marquants de l’Église de Rome, entreprit, lui aussi[3], de faire son Évangile, en combinant les textes antérieurs, et en ne s’interdisant pas plus que ses devanciers d’y intercaler ce que lui fournissaient la tradition et ses propres sentiments. Cet homme n’était autre que Lucanus ou Lucas, ce disciple que nous avons vu s’attacher à Paul en Macédoine, le suivre dans ses voyages, dans sa captivité, et jouer en sa correspondance un rôle important. On a le droit de supposer que, après la mort de Paul, il resta à Rome, et, comme il pouvait être jeune quand Paul le connut (vers l’an 52)[4], il n’aurait guère eu vers l’époque où nous sommes plus de soixante ans. Il n’est pas permis en de pareilles questions de s’exprimer avec certitude ; rien de très-grave, pourtant, ne s’oppose à ce qu’on tienne Luc pour l’auteur de l’Évangile qu’on lui attribue[5]. Luc n’avait pas assez de célébrité pour qu’on exploitât son nom en vue de donner de l’autorité à un livre, ainsi que cela eut lieu pour les apôtres Matthieu et Jean, plus tard pour Jacques, Pierre, etc.

La date ne saurait non plus laisser place à beaucoup d’incertitude. Tout le monde admet que le livre est postérieur à l’an 70[6] ; mais d’un autre côté il ne peut être de beaucoup postérieur à cette année. Sans cela les annonces sur la proximité de l’apparition du Christ dans les nues, que l’auteur du troisième Évangile copie sans broncher dans les documents plus anciens[7], seraient des non-sens. L’auteur rejette le moment du retour de Jésus à un avenir indéterminé ; « la fin »[8] est reculée le plus possible ; mais la connexion entre la catastrophe de Judée et le bouleversement du monde est maintenue[9]. L’auteur conserve également l’assertion de Jésus d’après laquelle la génération qui l’écoute ne passera pas sans que les prédictions sur la fin des temps s’accomplissent[10]. Malgré l’extrême latitude que se donnait l’exégèse apostolique dans l’interprétation des discours du Seigneur, il n’est pas admissible qu’un rédacteur aussi intelligent que l’est celui du troisième Évangile, un rédacteur qui sait si bien faire subir aux paroles de Jésus les changements exigés par les nécessités des temps, eût transcrit une phrase qui contenait contre le don de prophétie attribué au maître, une objection péremptoire.

Ce n’est sûrement que par conjecture que nous rattachons Lucanus et son Évangile à la société chrétienne de Rome au temps des Flavius. Il est certain cependant que le caractère général de l’œuvre de Luc répond bien à ce qu’exige une telle hypothèse. Luc, nous l’avons déjà remarqué, a une sorte d’esprit romain ; il aime l’ordre, la hiérarchie ; il a un profond respect pour les centurions, pour les fonctionnaires romains et se plaît à les montrer favorables au christianisme[11]. Par un tour habile, il réussit à ne pas dire que Jésus a été crucifié, insulté par les Romains[12]. Entre lui et Clément Romain, il y a de sensibles analogies. Clément cite souvent les paroles de Jésus d’après Luc ou une tradition analogue à celle de Luc[13]. Le style de Luc, d’un autre côté, par ses expressions latines, sa tournure générale, ses hébraïsmes, rappelle le Pasteur d’Hermas[14]. Le nom même de Lucanus est romain et peut se rattacher, par un lien de clientèle ou d’affranchissement, à quelque M. Annæus Lucanus, parent du célèbre poëte ; ce qui ferait une relation de plus avec cette famille Annæa, qu’on trouve partout sur ses pas quand on fouille la vieille poussière de la Rome chrétienne[15]. Les chapitres xxv et xxvi des Actes feraient croire que l’auteur eut des relations, comme Josèphe, avec Agrippa II, Bérénice et la petite coterie juive de Rome[16]. Il n’y a pas jusqu’à Hérode Antipas dont il ne cherche à diminuer les méfaits et à présenter l’intervention dans l’histoire évangélique comme bienveillante à quelques égards[17]. Ne peut-on pas trouver enfin une pratique romaine dans cette dédicace à Théophile, qui rappelle celle de Josèphe à Épaphrodite, et paraît tout à fait en dehors des habitudes syriennes et palestiniennes au ier siècle de notre ère ? On voit, du reste, combien une telle situation rappelle celle de Josèphe. Luc et Josèphe, écrivant presque en même temps, racontent l’un les origines du christianisme, l’autre la révolution juive, avec un sentiment fort analogue, modération, antipathie contre les partis extrêmes, ton officiel, impliquant plus de souci des positions à défendre que de la vérité, respect mêlé de crainte envers l’autorité romaine, dont on s’efforce de présenter les rigueurs mêmes comme des nécessités excusables, et dont on affecte d’avoir été plusieurs fois le protégé. C’est ce qui nous fait croire que le monde où vivait Luc et celui où vivait Josèphe étaient fort voisins l’un de l’autre et devaient avoir plus d’un point de contact.

Ce Théophile est inconnu d’ailleurs ; son nom peut n’être qu’une fiction[18] ou un pseudonyme pour désigner quelqu’un des adeptes puissants de l’Église de Rome, par exemple un des Clemens. Une petite préface explique nettement l’intention et la situation de l’auteur :


Plusieurs ayant déjà essayé de rédiger le récit des choses accomplies parmi nous, comme nous l’ont transmis ceux qui, dès le commencement, en ont été les témoins et les acteurs, j’ai cru bon, moi aussi, après avoir tout examiné avec soin depuis l’origine, de t’en écrire une narration suivie, cher Théophile, pour que tu reconnaisses la solidité des enseignements que t’ont donnés ceux qui t’ont catéchisé.


Il ne suit pas rigoureusement de cette préface que Luc ait eu sous les yeux, en travaillant, ces écrits « nombreux » dont il nous atteste l’existence ; mais la lecture du livre ne laisse aucun doute à cet égard. Les coïncidences verbales du texte de Luc avec celui de Marc et, par suite, avec Matthieu sont très-fréquentes. Nul doute que Luc n’ait eu sous les yeux un texte de Marc qui différait très-peu du nôtre. On peut dire qu’il se l’est assimilé tout entier, excepté la partie Marc vi, 45-viii, 26, et le récit de la Passion, pour lequel il a préféré une ancienne tradition. Dans le reste, la coïncidence est littérale, et, quand il y a variante, on voit facilement le motif qui a déterminé Luc à corriger, en vue de son public, l’original qu’il avait entre les mains. Dans les passages parallèles des trois textes, les détails que Matthieu ajoute à Marc, Luc ne les a pas[19] ; ce que Luc semble ajouter à Matthieu, Marc l’a toujours[20]. Dans les passages qui manquent chez Marc, il y a chez Luc une autre recension que chez Matthieu[21]. En d’autres termes, dans les parties communes aux trois Évangiles, Luc n’offre un accord sensible dans les termes avec Matthieu que quand celui-ci présente un accord semblable avec Marc. Luc n’a pas certains passages de Matthieu, sans qu’on puisse concevoir pourquoi il les aurait négligés[22]. Les discours de Jésus sont fragmentaires dans Luc comme dans Marc ; il serait incompréhensible que Luc, s’il avait connu Matthieu, eût toujours brisé les grands discours que nous donne celui-ci. Luc, il est vrai, rappelle une foule de logia qui ne se lisent pas chez Marc ; mais ces logia n’étaient pas venus à sa connaissance dans l’arrangement que nous trouvons chez Matthieu. Ajoutons que les légendes de l’enfance et les généalogies n’ont dans les deux Évangiles en question rien de commun. Comment Luc se fût-il exposé de gaieté de cœur à des objections évidentes ? Cela permet de conclure que Luc ne connaissait pas notre Matthieu ; et, en effet, les essais dont il parle dans son prologue pouvaient porter des noms de disciples d’apôtres ; aucun d’eux ne portait un nom comme celui de Matthieu, puisque Luc distingue nettement les apôtres, témoins et acteurs[23] de l’histoire évangélique et auteurs de la tradition[24], des rédacteurs, qui n’ont fait que coucher par écrit la tradition à leurs risques et périls et sans titre spécial pour cela[25].

À côté du livre de Marc, Luc avait sûrement sur sa table d’autres récits du même genre[26], auxquels il fait aussi de larges emprunts. Le long morceau de ix, 51, à xviii, 14, par exemple, a été copié dans une source antérieure, car on y remarque un grand désordre ; Luc compose mieux que cela quand il ne suit que la tradition orale. On a calculé qu’un tiers du texte de Luc ne se trouve ni dans Marc ni dans Matthieu. Quelques-uns des Évangiles perdus pour nous, à qui Luc fait des emprunts, contenaient des traits fort précis : « ceux sur qui une tour tomba en Siloé » (xiii, 4) ; « ceux dont Pilate mêla le sang à leurs sacrifices » (xiii, 1). Plusieurs de ces documents n’étaient que des remaniements de l’Évangile hébreu, fortement empreint d’ébionisme, et se rapprochaient ainsi de Matthieu. Par là s’expliquent en Luc certains passages analogues à Matthieu, qui ne figurent pas en Marc[27]. La plupart des logia primitifs se retrouvent en Luc, non disposés sous forme de grands discours comme dans notre Matthieu, mais découpés, taillés, rattachés à des circonstances particulières. Non-seulement Luc n’a pas eu entre les mains notre Évangile de Matthieu, mais il ne semble pas qu’il ait utilisé aucun recueil des Discours de Jésus où déjà les grandes suites de maximes dont nous avons constaté l’insertion dans notre Matthieu fussent constituées. S’il a possédé de tels recueils, il les a négligés. D’un autre côté, Luc se rapproche parfois de l’Évangile hébreu, surtout dans les cas où celui-ci est supérieur à Matthieu[28]. Peut-être eut-il entre les mains une traduction grecque de l’Évangile hébreu.

On voit d’après cela que Luc occupe à l’égard de Marc une position analogue à celle que Matthieu occupe à l’égard de ce même Marc. De part et d’autre, Marc a été grossi par des additions empruntées à des documents dérivant plus ou moins de l’Évangile hébreu. Pour expliquer ces additions nombreuses que Luc fait au fonds commun de Marc et qui ne sont pas dans Matthieu, il faut aussi attribuer une large part à la tradition orale. Luc plongeait pleinement dans cette tradition ; il y puisait ; il s’envisageait comme sur le même pied que les nombreux auteurs d’essais d’histoire évangélique qui existèrent avant lui. S’est-il fait scrupule d’insérer dans son texte des récits de son invention, afin d’inculquer à l’œuvre de Jésus la direction qu’il croyait la vraie ? Non certes. La tradition elle-même ne s’était pas faite autrement. La tradition est œuvre collective, puisqu’elle exprime l’esprit de tous ; mais il y a eu pourtant quelqu’un qui a émis pour la première fois tel beau mot, telle anecdote significative. Luc a été souvent ce quelqu’un. La source des logia était tarie, et, à vrai dire, nous croyons que, hors de la Syrie, il ne s’en produisit jamais beaucoup[29]. Au contraire, la liberté de l’agada se montre tout entière dans le droit que Luc se donne de remanier ses documents selon ses convenances, de tailler, d’intercaler, de transposer, de combiner à sa guise, pour obtenir l’arrangement qui lui paraît le meilleur. Pas une fois il ne se dit : Si l’histoire est vraie comme ceci, elle ne l’est pas comme cela. Le vrai matériel n’est rien pour lui ; l’idée, le but dogmatique et moral sont tout. J’ajouterai même : l’effet littéraire. Ainsi il est possible que ce qui l’a porté à ne pas admettre les faisceaux de logia constitués avant lui, ou même à les diviser violemment, soit un scrupule de son goût délicat, qui lui a fait trouver ces groupements artificiels et un peu lourds. Rien n’égale l’habileté avec laquelle il découpe les recueils antérieurs, crée des encadrements aux logia ainsi désagrégés, les enchâsse, les sertit comme de petits brillants dans des récits délicieux qui les provoquent, les amènent. L’art de l’arrangeur n’a jamais été porté plus loin. Naturellement, cependant, cette façon de composer entraîne chez Luc, — comme chez Matthieu et en général dans tous les Évangiles de seconde main, rédigés artificiellement d’après des documents écrits antérieurs, — des répétitions, des contradictions, des incohérences venant des documents disparates que le dernier rédacteur cherche à fondre ensemble[30]. Marc seul, par son caractère primitif, est exempt de ce défaut, et c’est la meilleure preuve de son originalité.

Nous avons insisté ailleurs[31] sur les erreurs que l’éloignement des lieux fait commettre à l’évangéliste romain. Son exégèse ne repose que sur la version des Septante, qu’il suit dans ses plus grandes erreurs[32]. L’auteur n’est pas un juif de naissance ; il écrit sûrement pour des non-juifs ; il n’a qu’une connaissance superficielle de la géographie de la Palestine[33] et des mœurs des juifs ; il omet tout ce qui serait sans intérêt pour des non-israélites[34], et il ajoute des notes insignifiantes pour un Palestinien[35]. La généalogie qu’il prête à Jésus suppose qu’il s’adressait à des gens qui ne pouvaient pas facilement vérifier un texte biblique[36]. Il atténue ce qui montre l’origine juive du christianisme, et, quoiqu’il ait pour Jérusalem bien des traits d’une compassion tendre[37], la Loi n’existe plus pour lui que comme un souvenir.

L’esprit qui a inspiré Luc est ainsi bien plus facile à déterminer que celui qui a inspiré Marc et l’auteur de l’Évangile selon Matthieu. Ces deux derniers évangélistes sont neutres, sans parti dans les querelles qui déchiraient l’Église. Les partisans de Paul et ceux de Jacques auraient pu également les adopter. Luc, au contraire, est un disciple de Paul, disciple modéré assurément, tolérant, plein de respect pour Pierre, même pour Jacques, mais partisan décidé de l’adoption dans l’Église des païens, des samaritains, des publicains, des pécheurs et des hérétiques de toute sorte. Chez lui se trouvent ces miséricordieuses paraboles du bon Samaritain, de l’enfant prodigue, de la brebis égarée, de la drachme perdue[38], où la position du pécheur repentant est presque mise au-dessus de celle du juste qui n’a point failli[39]. Sûrement, Luc était en cela d’accord avec l’esprit même de Jésus ; mais il y a de sa part préoccupation, parti pris, idée fixe. Son coup le plus hardi a été de convertir un des larrons du Calvaire. Selon Marc et Matthieu, les deux malfaiteurs insultaient Jésus. Luc prête à l’un d’eux un bon sentiment : « Nous, nous l’avons mérité ; mais ce juste !… » En retour, Jésus lui promet que ce jour-là même il sera avec lui dans le paradis[40]. Jésus va plus loin encore : il prie pour ses bourreaux, « qui ne savent ce qu’ils font ». Dans Matthieu[41], Jésus semble malveillant pour la Samarie, et recommande à ses disciples d’éviter les villes des Samaritains comme la voie des païens. Chez Luc, au contraire, Jésus est en rapports fréquents avec les Samaritains ; il parle d’eux avec éloge[42]. C’est au voyage en Samarie que Luc rattache une foule d’enseignements et de récits. Loin d’emprisonner Jésus en Galilée, comme Marc et Matthieu, Luc obéit à une tendance antigaliléenne et antijudaïque, tendance qui sera plus visible encore dans le quatrième Évangile. À beaucoup d’autres égards, l’Évangile de Luc forme une sorte d’intermédiaire entre les deux premiers Évangiles et le quatrième, qui semble d’abord n’avoir aucun trait d’union avec eux[43].

À peine est-il une anecdote, une parabole propre à Luc qui ne respire cet esprit de miséricorde et d’appel aux pécheurs. La seule parole un peu dure qui ait été conservée de Jésus[44] devient chez lui un apologue plein d’indulgence et de longanimité. L’arbre infructueux ne doit pas être trop vite coupé ; un bon vigneron s’oppose aux emportements du propriétaire, et demande à fumer la terre au pied de l’arbre malheureux avant de le condamner tout à fait[45]. L’Évangile de Luc est par excellence l’Évangile du pardon et du pardon obtenu par la foi. « Il y a plus de joie dans le ciel pour un pécheur qui fait pénitence que pour quatre-vingt-dix-neuf justes qui n’ont pas besoin de pénitence[46] ». « Le Fils de l’homme est venu, non pas perdre les âmes, mais les sauver[47] ». Toutes les détorses lui sont bonnes pour faire de chaque histoire évangélique une histoire de pécheurs réhabilités. Samaritains, publicains, centurions, femmes coupables, païens de bonne volonté, tous les méprisés du pharisaïsme sont ses clients. L’idée que le christianisme a des pardons pour tout le monde est bien la sienne. La porte est ouverte ; la conversion est possible pour tous. Il ne s’agit plus de la Loi ; une dévotion nouvelle, le culte de Jésus, l’a remplacée. Ici, c’est le Samaritain qui fait la bonne action, tandis que le prêtre et le lévite passent indifférents[48]. Là, le publicain sort du temple justifié par son humilité, tandis que le pharisien irréprochable, mais orgueilleux, sort plus coupable[49]. Ailleurs, la femme pécheresse est relevée par son amour pour Jésus et est admise à lui donner des marques particulières de tendresse[50]. Ailleurs encore, le publicain Zachée devient d’emblée fils d’Abraham par le seul fait d’avoir montré de l’empressement à voir Jésus[51]. L’offre d’un pardon facile a toujours été le principal moyen de succès des religions. « L’homme même le plus coupable, dit Bhagavat, s’il vient à m’adorer et à tourner vers moi tout son culte, doit être cru bon[52]. » Luc y joint le goût de l’humilité. « Ce qui est haut aux yeux des hommes est abomination aux yeux de Dieu[53]. » Le puissant sera renversé de son trône ; l’humble sera exalté[54] : voilà pour lui le résumé de la révolution opérée par Jésus. Or l’orgueilleux, c’est le juif fier de descendre d’Abraham ; l’humble, c’est le gentil, qui ne tire aucune gloire de ses ancêtres et doit tout ce qu’il est à sa foi en Jésus.

On voit la parfaite conformité de ces vues avec celles de Paul. Assurément, Paul n’avait pas d’Évangile dans le sens où nous prenons ce mot[55]. Paul n’avait pas entendu Jésus[56], et à dessein il mit beaucoup de réserve dans ses rapports avec les disciples immédiats[57]. Il les avait très-peu vus, n’avait passé que quelques jours au centre des traditions, à Jérusalem. À peine entendit-il parler des logia ; de la tradition évangélique il ne connut que des fragments. Il faut dire au moins que ces fragments coïncident bien avec ce que nous lisons dans Luc[58]. Le récit de la Cène comme Paul le donne est identique, sauf des détails de très-peu d’importance, à celui du troisième Évangile[59]. Luc évite sans doute avec soin tout ce qui pourrait blesser le parti judéo-chrétien et réveiller des controverses qu’il désire assoupir ; il est aussi respectueux qu’on peut l’être pour les apôtres[60] ; il craint pourtant qu’on ne leur fasse une place trop exclusive. Sa politique à cet égard lui a inspiré l’idée la plus hardie. À côté des Douze, il crée de sa propre autorité soixante-dix disciples[61], à qui Jésus donne une mission qui, dans les autres Évangiles, est réservée aux Douze seuls.

C’était là une imitation du chapitre des Nombres où Dieu, afin de soulager Moïse d’un fardeau devenu trop pesant, répand sur soixante-dix anciens une partie de l’esprit de gouvernement qui jusque-là avait été le don de Moïse seul[62]. Comme pour rendre plus sensible ce partage et cette similitude de pouvoirs, Luc divise entre les Douze et les Soixante-Dix les instructions apostoliques qui, dans les collections de logia, ne faisaient qu’un seul discours adressé aux Douze[63]. Ce chiffre de soixante et dix ou de soixante et douze[64] avait d’ailleurs l’avantage de répondre au nombre des nations de la terre, comme le chiffre douze répondait aux tribus d’Israël. C’était une opinion, en effet, que Dieu avait partagé la terre entre soixante et douze nations, à chacune desquelles préside un ange[65]. Ce chiffre était mystique ; outre les soixante et dix anciens de Moïse[66] il y avait les soixante et onze membres du sanhédrin, les soixante et dix ou soixante et douze traducteurs grecs de la Bible. La pensée secrète qui a dicté à Luc cette addition si grave aux textes évangéliques est donc évidente. Il s’agit de sauver la légitimité de l’apostolat de Paul, de présenter cet apostolat comme parallèle au pouvoir des Douze, de montrer qu’on peut être apôtre sans être des Douze, ce qui était justement la thèse de Paul. Les Soixante et Dix chassent les démons et ont les mêmes pouvoirs surnaturels que les apôtres[67]. Les Douze, en un mot, n’épuisent pas l’apostolat ; la plénitude de leurs pouvoirs n’empêche pas qu’il n’y en ait pour d’autres…, « et, du reste, se hâte d’ajouter le sage disciple de Paul, ces pouvoirs eux-mêmes ne sont rien ; ce qui importe, c’est d’avoir, comme chaque fidèle, son nom écrit dans le Ciel[68] ». La foi est tout ; or la foi est un don de Dieu, qui la donne à qui il veut[69].

Sous un tel point de vue, le privilège des Abrahamides se réduisait à bien peu de chose[70]. Jésus, repoussé par les siens, n’a trouvé sa vraie famille que parmi les gentils. Des hommes de pays éloignés (les gentils de Paul) l’ont accepté pour roi, tandis que ses compatriotes, ceux dont il était le souverain naturel, lui ont signifié qu’ils ne voulaient pas de lui. Malheur à eux ! Quand le roi légitime reviendra, il les fera mettre à mort en sa présence[71]. Les juifs s’imaginent que, parce que Jésus a bu, mangé parmi eux, enseigné dans leurs rues, ils auront toujours leur privilège ; erreur ! Des gens du Nord et du Midi prendront place à la table d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, et eux se lamenteront à la porte[72]. L’impression vive des malheurs arrivés à la nation juive se retrouve à chaque page, et ces malheurs, l’auteur trouve que la nation les a mérités par le fait de n’avoir pas compris Jésus et la mission dont il était chargé pour Jérusalem[73]. Dans la généalogie, Luc évite de faire descendre Jésus des rois de Juda. De David à Salathiel, la descendance s’opère par des collatéraux.

D’autres signes plus cachés décèlent des intentions favorables à Paul. Ce n’est point sans doute par hasard que, après avoir rapporté comment Pierre fut le premier à reconnaître Jésus pour le Messie, l’auteur ne donne pas les fameuses paroles : « Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église, » paroles qui déjà prenaient place dans la tradition[74]. Le trait de la Chananéenne, que l’auteur avait certainement lu dans Marc, est omis[75], à cause des mots si durs qu’il contient et que la fin miséricordieuse ne compense pas suffisamment. La parabole de l’ivraie, qui semble avoir été imaginée contre Paul, ce semeur fâcheux, qui venait derrière les semeurs autorisés et faisait d’une moisson pure une moisson mêlée[76], est également négligée. Un autre passage où l’on croit voir une injure contre les chrétiens qui s’affranchissaient de la Loi est rétorqué et devient une sortie contre les judéo-chrétiens[77]. La rigueur des principes de Paul sur l’esprit apostolique est encore poussée plus loin que dans Matthieu[78], et ce qu’il y a de grave, c’est que des préceptes adressés ailleurs au petit groupe des missionnaires s’appliquent ici à l’universalité des fidèles. « Si quelqu’un vient à moi et ne hait pas son père et sa mère, sa femme et ses enfants, ses frères et ses sœurs, et même sa propre vie, il ne peut être mon disciple[79]. » « Quiconque ne renonce pas à tout ce qu’il a ne peut être mon disciple[80]. » Et, après ces sacrifices, il faut dire encore : « Nous n’avons fait que notre devoir ; nous sommes des serviteurs inutiles[81]. » Entre l’apôtre et Jésus, du reste, nulle différence. Celui qui entend l’apôtre entend Jésus ; celui qui méprise l’apôtre méprise Jésus, et méprise celui qui l’a envoyé[82].

La même exaltation se remarque dans tout ce qui touche à la pauvreté[83]. Luc hait la richesse, regarde le simple attachement à la propriété comme un mal. Quand Jésus vient au monde, il n’y a pas de place pour lui dans l’hôtellerie[84] ; il naît au milieu des êtres les plus simples, des bœufs, des moutons. Ses premiers adorateurs sont des bergers[85]. Toute sa vie il fut pauvre[86]. L’épargne est une absurdité, puisque le riche n’emporte rien avec lui[87] ; le disciple de Jésus n’a rien à faire avec les biens de la terre ; il doit renoncer à ce qu’il possède[88]. L’homme heureux, c’est le pauvre[89] ; le riche est toujours coupable ; l’enfer est son lot assuré[90]. Aussi la pauvreté de Jésus fut-elle absolue[91]. Le royaume de Dieu sera le festin des pauvres ; une substitution de couches sociales, un avènement de nouvelles classes aura lieu. Chez les autres évangélistes, les gens que l’on substitue aux conviés primitifs sont des gens racolés sur les chemins, les premiers venus ; chez Luc, ce sont les pauvres, les estropiés, les aveugles, les boiteux[92], tous les disgraciés du sort. Dans ce royaume nouveau, il vaudra mieux s’être fait des amis parmi les pauvres, même par l’injustice, que d’avoir été un économe correct[93]. Ce ne sont pas les riches qu’il faut inviter à ses dîners ; ce sont les pauvres, pour que cela vous soit rendu dans la résurrection des justes[94], c’est-à-dire dans le règne de mille ans[95]. L’aumône est le précepte suprême ; l’aumône a même la force de purifier les choses impures ; elle est au-dessus de la Loi[96].

La doctrine de Luc est, on le voit, le pur ébionisme, la glorification de la pauvreté. Selon les ébionites, Satan, roi du monde, est le grand propriétaire du monde ; il en donne les biens à ses suppôts[97]. Jésus est le prince du monde à venir. Participer aux biens du monde diabolique équivaut à s’exclure de l’autre. Satan est l’ennemi juré des chrétiens et de Jésus ; le monde, les princes, les riches sont ses alliés dans l’œuvre d’opposition au royaume de Jésus. La démonologie de Luc est matérielle et bizarre[98]. Sa thaumaturgie a aussi quelque chose de la crudité matérialiste de Marc ; elle fait peur[99]. Luc ne connaît pas à cet égard les tons adoucis de Matthieu.

Un admirable sentiment populaire, une fine et touchante poésie, le son clair et pur d’une âme tout argentine, quelque chose de dégagé de la terre et d’exquis, empêchent de songer à ces taches, à plusieurs manques de logique, à des contradictions singulières. Le juge et la veuve importune[100], l’ami aux trois pains[101], l’économe infidèle, l’enfant prodigue, la pécheresse pardonnée, beaucoup de combinaisons propres à Luc, paraissent d’abord à des esprits positifs peu conformes à une raison scolastique et à une étroite moralité ; mais ces apparentes faiblesses, qui ressemblent aux défaillances aimables de la pensée d’une femme, sont un trait de vérité de plus, et peuvent bien rappeler le ton ému, tantôt expirant, tantôt haletant, le mouvement tout féminin de la parole de Jésus, menée par l’image et le sentiment bien plus que par le raisonnement. C’est surtout dans les récits de l’enfance et de la Passion que l’on trouve un art divin. Ces épisodes délicieux de la crèche, des bergers, de l’ange qui annonce aux humbles la grande joie, du ciel descendant sur terre auprès de ces pauvres gens pour chanter le cantique de la paix aux hommes de bonne volonté ; puis ce vieillard Siméon, respectable personnification du vieil Israël, dont le rôle est fini, mais qui s’estime heureux d’avoir fait son temps, puisque ses yeux ont vu la gloire de son peuple et la lumière révélée aux nations ; et cette veuve de quatre-vingts ans qui meurt consolée ; et ces cantiques si purs, si doux, Magnificat…, Gloria in excelsis…, Nunc dimittis…, Benedictus Dominus Deus Israël…, qui vont servir de bases à une liturgie nouvelle ; toute cette exquise pastorale, tracée d’un contour léger au fronton du christianisme, tout cela est bien l’œuvre de Luc. On n’inventa jamais plus douce cantilène pour endormir les douleurs de la pauvre humanité.

Le goût qui portait Luc vers les narrations pieuses l’amena par une pente naturelle à créer pour Jean-Baptiste des « enfances » analogues à celles de Jésus[102]. Élisabeth et Zacharie longtemps stériles, la vision du prêtre à l’heure de l’encens, la visite des deux mères, le cantique du père de Jean-Baptiste, furent comme des propylées avant le portique, imités du portique lui-même et en reproduisant les lignes principales. On n’entend pas nier que Luc n’ait trouvé dans les documents dont il se servait le germe de ces jolis récits, qui ont été une des principales sources de l’art chrétien. En effet, le style des « enfances » de Luc, coupé, chargé d’hébraïsmes, n’est guère celui du prologue. De plus, cette partie de l’ouvrage est plus juive que le reste : Jean-Baptiste est d’origine sacerdotale ; les rites de la purification, de la circoncision, sont soigneusement accomplis ; les parents de Jésus vont chaque année au pèlerinage[103] ; plusieurs anecdotes sont tout à fait dans le goût juif[104]. Un trait remarquable, c’est que le rôle de Marie, nul dans Marc, grandit peu à peu, à mesure qu’on s’éloigne de la Judée et que Joseph perd son rôle paternel. La légende a besoin d’elle et se laisse entraîner à parler longuement d’elle. On ne peut se figurer que la femme que Dieu a choisie pour la féconder par l’Esprit soit une femme ordinaire ; c’est elle qui sert de garant à des parties entières de l’histoire évangélique[105] ; on lui crée dans l’Église un rôle chaque jour plus considérable[106].

Très-beaux et tout aussi peu historiques sont les récits propres au troisième Évangile sur la Passion, la mort et la résurrection de Jésus. En cette partie de son livre, Luc a presque abandonné son exemplaire de Marc et a suivi d’autres textes. Il en résulte un récit plus légendaire encore que celui de Matthieu. Tout y est exagéré. À Gethsémani[107], Luc ajoute l’ange, la sueur de sang, la guérison de l’oreille coupée. La comparution devant Hérode Antipas est toute de son invention. Le bel épisode des filles de Jérusalem, destiné à présenter la foule comme innocente de la mort de Jésus et à en rejeter tout l’odieux sur les grands et les chefs[108], la conversion d’un des malfaiteurs[109], la prière de Jésus pour ses bourreaux[110], tirée d’Isaïe, liii, 12, sont des additions réfléchies. Au sublime cri de désespoir : Elohi, elohi lamma sabacthani, qui n’était plus en rapport avec les idées qu’on se faisait de la divinité de Jésus, il substitue un texte plus calme : « Père, entre tes mains je remets mon esprit[111]. » Enfin la vie de Jésus ressuscité est racontée sur un plan tout à fait artificiel, conforme en partie à celui de l’Évangile des Hébreux[112], d’après lequel cette vie d’outre-tombe n’aurait duré qu’un jour et se serait terminée par une ascension que Marc et Matthieu ignorent tout à fait[113].

L’Évangile de Luc est donc un Évangile amendé, complété, fortement engagé déjà dans la voie de la légende. Comme pseudo-Matthieu, Luc corrige Marc, en prévenant des objections[114], en effaçant des contradictions réelles ou apparentes[115], en supprimant les traits plus ou moins choquants, les détails vulgaires, exagérés ou insignifiants[116]. Ce qu’il ne comprend pas, il le supprime, ou le tourne avec art[117]. Il ajoute des traits touchants et délicats[118]. Il invente peu, mais modifie beaucoup. Les transformations esthétiques qu’il opère sont surprenantes. Le parti qu’il a tiré de Marie et de Marthe, sa sœur, est chose merveilleuse ; aucune plume n’a laissé tomber dix lignes plus charmantes[119]. Son arrangement de « la femme qui verse des parfums[120] » n’est pas moins exquis. L’épisode des disciples d’Emmaüs[121] est un des récits les plus fins, les plus nuancés qu’il y ait dans aucune langue.

L’Évangile de Luc est le plus littéraire des Évangiles. Tout y révèle un esprit large et doux, sage, modéré, sobre et raisonnable dans l’irrationnel. Ses exagérations, ses invraisemblances, ses inconséquences tiennent à la nature même de la parabole et en font le charme. Matthieu arrondit les contours un peu secs de Marc ; Luc fait bien plus ; il écrit, il montre une vraie entente de la composition. Son livre est un beau récit bien suivi, à la fois hébraïque et hellénique[122], joignant l’émotion du drame à la sérénité de l’idylle. Tout y rit, tout y pleure, tout y chante ; partout des larmes et des cantiques ; c’est l’hymne du peuple nouveau, l’hosanna des petits et des humbles introduits dans le royaume de Dieu. Un esprit de sainte enfance, de joie, de ferveur, le sentiment évangélique dans son originalité première répandent sur toute la légende une teinte d’une incomparable douceur. On ne fut jamais moins sectaire. Pas un reproche, pas un mot dur pour le vieux peuple exclu ; son exclusion ne le punit-elle pas assez ? C’est le plus beau livre qu’il y ait. Le plaisir que l’auteur dut avoir à l’écrire ne sera jamais suffisamment compris.

La valeur historique du troisième Évangile est sûrement moindre que celles des deux premiers. Cependant, un fait remarquable, qui prouve bien que les Évangiles dits synoptiques contiennent vraiment un écho de la parole de Jésus, résulte de la comparaison de l’Évangile de Luc et des Actes des apôtres. De part et d’autre, l’auteur est le même. Or, que l’on rapproche les discours de Jésus dans l’Évangile et les discours des apôtres dans les Actes, la différence est complète ; ici le charme du plus naïf abandon ; là (je veux dire dans les discours des Actes, surtout vers les derniers chapitres) une certaine rhétorique, par moments assez froide. D’où peut venir cette différence ? Évidemment, de ce que, dans le second cas, Luc tire les discours de lui-même, tandis que, dans le premier cas, il suit une tradition. Les paroles de Jésus étaient écrites avant Luc ; celles des apôtres ne l’étaient pas. Une induction considérable, d’ailleurs, se tire du récit de la Cène dans la première épître de saint Paul aux Corinthiens[123]. Voilà le texte évangélique le plus anciennement écrit qu’il y ait (la première épître aux Corinthiens est de l’an 57) ; or ce texte coïncide bien avec celui de Luc[124]. Luc peut donc avoir sa valeur de fond, même quand il se sépare de Marc et de Matthieu.

Luc marque bien le dernier degré de rédaction réfléchie où pouvait arriver la tradition évangélique. Après lui, il n’y a plus que l’Évangile apocryphe, procédant par la pure amplification et la supposition a priori, sans user de documents nouveaux. Nous verrons plus tard comment les textes du genre de Marc, de Luc, de pseudo-Matthieu ne suffirent pourtant pas à la piété chrétienne, et comment il naquit un nouvel Évangile qui eut la prétention de les surpasser. Nous aurons surtout à expliquer comment aucun des textes évangéliques ne réussit à supprimer les autres, et comment l’Église chrétienne s’exposa, par sa bonne foi, aux formidables objections qui naissent de leur diversité.

  1. Πολλοί. Luc, i, 1.
  2. Luc, i, 1-2. Ἐπεχείρησαν, etc.
  3. Ἔδοξε κἀμοί… Luc, i, 3.
  4. Saint Paul, p. 130 et suiv., 498 et suiv., etc. Canon de Muratori, lignes 3 et suiv. (lisez itineris socium, avec Bunsen). Irénée, III, i, 1.
  5. Voir Vie de Jésus, p. xlix et suiv.
  6. Luc, xix, 43-44 ; xxi, 20, 24 ; xxiii, 27 et suiv., etc. Cf. l’Antechrist, p. 60, note 1.
  7. Voir ci-dessus, p. 123-125, 197.
  8. Τὸ τέλος.
  9. Comp. Marc, xiii, 24 ; Matth., xxiv, 29, à Luc, xxi, 9, 23, 24, 28, 29-32. Notez Luc, xvii, 20-21. Cf. Vie de Jésus, p. xlix-l. Le trait Luc, xxi, 24, fixe l’année de la reconstruction d’Ælia Capitolina comme limite en deçà pour la composition de l’ouvrage.
  10. Luc, ix, 27.
  11. Voir les Apôtres, p. xxii et suiv. ; Saint Paul, p. 133, etc.
  12. Luc, xxiv, 20. Il supprime Marc, xv, 16-19 ; cf. Luc, xxiii, 25, 26, 32, 33. Aux versets 36-37, 47, les soldats figurent, mais le centurion joue un rôle quasi chrétien. La flagellation infligée par les Romains est supprimée. La mention du recensement de Quirinius (Luc, ii, 1-2) est destinée à faire de l’effet sur les Romains, en rattachant à un fait connu les incidents singuliers de l’enfance de Jésus.
  13. Clém. Rom., Ad Cor., I, 13 (Luc, vi, 31, 37, 38), 24 (Luc, viii, 5), 46 (Luc, xvii, 2).
  14. Hermas, vis. iii, 1.
  15. Voir l’Antechrist, p. 12.
  16. Notez aussi Luc, viii, 3.
  17. Luc, ix, 7-9 (comparé à Marc, vi, 14 et suiv.), xxiii, 6-16. Luc supprime le récit du meurtre de Jean-Baptiste par Antipas.
  18. Ces adresses à des personnages imaginaires ne sont pas rares dans la première littérature chrétienne. Comp. Justin, Dial. cum Tryph., 141 ; Épître à Diognète, 1.
  19. Comp. Matth., xii, 1-8 ; Marc, ii, 23-28 ; Luc, vi, 1-5 ; — Matth., xviii, 1-14 ; Marc, ix, 38-50 ; Luc, ix, 46-50 ; — Matth., xix, 16-30 ; Marc, x, 17-31 ; Luc, xviii, 18-30 ; — Matth., xxiii entier ; Marc, xii, 38-40 ; Luc, xx, 45-47. — Remarquez encore Matth., xii, 33 et suiv. ; xiii, 12 ; xvi, 17 et suiv., 27 ; xxi, 28 et suiv.
  20. Comp. Matth., ix, 1-8 ; Marc, ii, 1-12 ; Luc, v, 17-26 ; — Matth., viii, 28-34 ; Marc, v, 1-20 ; Luc, viii, 26-39 ; — Matth., ix, 18-26 ; Marc, v, 21-43 ; Luc, viii, 40-56 ; — Matth., xix, 13-15 ; Marc, x, 13-16 ; Luc, xviii, 18-30 ; — Matth., xx, 19-34 ; Marc, x, 46-52 ; Luc, xviii, 35-43.
  21. Luc, vii, 1 et suiv. ; xiv, 1 et suiv. ; xix, 11 et suiv. Luc, iii, 7-17, comparé à Matth., iii, 7-12, constitue une difficulté. Il se peut qu’il y ait eu là un effet rétroactif, comme saint Jérôme croit qu’il s’en est produit beaucoup. Præf. in evang., ad Damas. Luc, xix, 20, et Matth., xviii, 11, offrent un autre exemple de ces interpolations de Luc en Matthieu. Comp. aussi Luc, ix, 57-60, et Matth., viii, 19-22. Enfin les deux récits de la tentation, Matth., iv, 1-11 ; Luc, iv, 1-13, sont bien semblables.
  22. Exemples : Matth., ix, 27-34, 47 et suiv. ; xiii, 24-35 ; xvii, 24-27 ; xviii, 10-35 ; xx, 1-16 ; xxi, 17-22 ; xxii, 34-40 ; xxv, 1-13, 31-48 ; xxvi, 6-13 ; xxvii, 28-31 ; xxviii, 11-15, 16-20, surtout xiv, 22-xvi, 12, et le passage xx, 1-16, qui répond si bien à l’idée dominante de Luc.
  23. Αὐτοπται καὶ ὑπηρέται.
  24. Καθὼς παρέδοσαν.
  25. Ἐπεχείρησαν.
  26. Luc, i, 1.
  27. Par exemple, le centurion de Capharnahum, Matth., viii, 5 et suiv. ; Luc, vii, 1-10 ; la parabole des conviés, Matth., xxii, 1 et suiv. ; Luc, xiv, 15 et suiv. ; la brebis perdue, Matth., xviii, 12-14 ; Luc, xv, 4-7.
  28. Hilgenfeld, p. 24, 26, 27, 29 (pluries), 36, surtout le passage p. 18, lignes 3-8. Comparez aussi un passage de l’Évangile ébionite, ibid., p. 33, lignes 18-19, à Luc, chap. i. Voir ci-après, p. 281.
  29. Pas un seul des logia qui n’ait une forte empreinte syrienne. Notez, par exemple, le toit syrien dans Matth., x, 27 ; Luc, xii, 3 ; image qui n’a de sens ni en Asie Mineure, ni en Grèce, ni en Italie, ni même à Antioche. Les toits plats cessent avant l’embouchure de l’Oronte. Antioche a déjà les toits inclinés.
  30. Comp. Luc, v, 29-30, et xv, 1-2 ; ix, 45, et xviii, 34 ; ix, 46, et xxii, 24 ; x, 16, et ix, 48 ; x, 25, et xviii, 18 ; xi, 33, et viii, 16 ; xii, 2, et viii, 17 ; xiv, 11, et xviii, 14. Notez surtout la contradiction de ix, 50, et de xi, 23. Comme exemple d’incohérence, remarquez Luc, iv, 23, supposant qu’il a été question de Capharnahum auparavant.
  31. Vie de Jésus, p. lxxxiii et suiv. On s’était exagéré quelques-unes de ces erreurs. Pour Lysanias, voir Mém. de l’Acad. des inscr., t. XXVI, 2e partie. L’image du temple conçu comme un oratoire peut se défendre par Apoc., xi, 1. Ce qui concerne Emmaüs, au contraire, n’est justifiable dans aucune hypothèse topographique. Voir l’Antechrist, p. 301-302, note. Kulonié est à six kilomètres de Jérusalem (Guérin, Palest., I, p. 259) ; or soixante stades valent dix kilomètres. Ἑκατὸν ἑξήκοντα du Sinaïticus est une correction apologétique. Ἰωάννα (Luc, viii ; xxiv, 10) est un féminin difficile à admettre. Dans son récit v, 19, Luc suppose par distraction le toit couvert de tuiles, par conséquent incliné. Les toits plats sont toujours en terrasse.
  32. Act., xiii, 41 (comp. Habacuc, i, 5).
  33. Luc, xvii, 11.
  34. Par exemple, les longues disputes de Jésus et des pharisiens, Marc, vii, 1-23.
  35. Luc, iv, 31 ; xix, 29 ; xxii, 1.
  36. Ainsi il suffisait d’avoir une Bible pour voir que Salathiel était fils de Jéchonias (I Chron., iii, 17 ; Matth., i, 12) et non de Néri (Luc, iii, 27).
  37. Luc, xix, 41-44 ; xxiii, 27-30.
  38. Chapitres xv et xvi, où réside la grande originalité de Luc. De ces paraboles, Matthieu n’a que celle de la brebis égarée, et encore est-elle chez lui beaucoup moins accentuée.
  39. Vie de Jésus, p. lxxxvi.
  40. Luc, xxiii, 39-43.
  41. Matth., x, 5.
  42. Luc, ix, 51-56 ; x, 33 ; xvii, 16. Comp. Jean, iv, 9 et suiv, ; viii, 48 ; Act., viii, 25.
  43. Voir Vie de Jésus, 13e édit. et suiv., l’appendice.
  44. Marc, xi, 12-14, 20-21 ; Matth., xxi, 18-20.
  45. Luc, xiii, 6-9. Il y a là probablement une allusion aux juifs qui, en présence de Jésus, sont restés stériles, mais que la prédication apostolique améliorera peut-être.
  46. Luc, xv, 7.
  47. Luc, ix, 54 (authenticité douteuse) ; mais Luc, xix, 20, est certain, et paraît avoir été interpolé dans Matth., xviii, 11.
  48. Luc, x, 30 et suiv. On entrevoit derrière le récit de Luc la trilogie juive : « le cohen, le lévite et l’israël ». Luc substitue à l’israël « le samaritain ». Comparez l’ἀληθῶς Ἰσραηλίτης (Jean, i, 48), qui n’est ni cohen, ni lévite.
  49. Luc, xviii, 10 et suiv.
  50. Luc, vii, 37 et suiv.
  51. Luc, xix, 1-10.
  52. Bhagavadgita, ix, 30. Lire tout ce chapitre pour comprendre comment les religions chargées de rituel n’ont qu’un moyen pour se dégager du fardeau des œuvres, c’est le culte unique ou la gnosis d’un principe proclamant qu’il est à la fois le rite et l’objet du rite.
  53. Luc, xvi, 15. Cf. Luc, xiv, 7 et suiv.
  54. Luc, i, 52.
  55. « Mon Évangile » (Rom., ii, 16 ; xvi, 25 ; I Cor., xv, 1 ; II Cor., iv, 3 ; Gal., i, 11 ; ii, 2) signifie « mon genre de prédication orale ». Si quelque ouvrage devait être pris pour type de ce que Paul entendait par là, ce serait l’Épître aux Romains. Cf. Clément Romain, Ad Cor. I, c. 47.
  56. Voir les Apôtres, p. 173.
  57. Gal., i, 17 et suiv.
  58. Irénée, III, i, 1 ; Tertullien, Adv. Marc., IV, 5 ; Origène, dans Eus., H. E., VI, xxv, 6 ; Eus., H. E., III, iv, 8 ; S. Jérôme, De viris ill., 7.
  59. I Cor., xi, 23-26 ; Luc, xxii, 17-20. Luc, x, 8 : ἐσθίετε τὰ παρατιθέμενα ὑμῖν ; I Cor., x, 27 : πᾶν παρατιθέμενον ὑμῖν ἐσθίετε.
  60. Le trait d’ambition des fils de Zébédée est supprimé.
  61. Luc, x, 1-24 : καὶ ἐτέρους ἐϐδομήκοντα. Le Codex Vaticanus porte ἐϐδομήκοντα δύο. Cf. Recognitions, II, 42 ; Homél. pseudo-clém., xviii, 4.
  62. Nombres, xi, 17, 25.
  63. Luc, ix, 1-6 ; x, 1 et suiv.
  64. Ces deux nombres se confondaient souvent. Comparez les Septante, qui sont au nombre de soixante et douze dans pseudo-Aristéas.
  65. Recogn. et Hom., l. c. Cf. notes de Cotelier. Dans Gen., x, on comptait soixante et dix peuples. Cf. Horapollon, Hierogl., I, 14.
  66. Comp. Epist. Petri ad Jac., 1, 2 (en tête des Homélies pseudo-clémentines).
  67. Luc, x, 17 et suiv.
  68. Luc, x, 20.
  69. Luc, xvii, 5 ; xxii, 32.
  70. Luc, iii, 8-9 ; ce passage se retrouve dans Matthieu, iii, 7-10 ; peut-être y a-t-il été reporté de Luc.
  71. Luc, xix, 11-27.
  72. Luc, xiii, 24 et suiv.
  73. Luc, xix, 43-44 ; xxi, 24 ; xxiii, 27 et suiv.
  74. Matth., xvi, 17-19.
  75. Marc, vii, 24-30. Cf. Matth., xv, 21-28.
  76. Voir ci-dessus, p. 108-109.
  77. Luc, xiii, 27 ; comp. Matth., vii, 23. Voir ci-dessus, p. 108.
  78. Luc, ix, 62. Luc, ix, 59-60, se retrouve dans Matth., viii, 21-22 ; mais peut-être est-ce là un effet rétroactif de Luc sur Matthieu. Voir ci-dessus, p. 258, note 2.
  79. Luc, xiv, 26. Matth., x, 37, est bien plus doux.
  80. Luc, xiv, 33.
  81. Luc, xvii, 10.
  82. Luc, x, 16. Matth., x, 40, est moins fort.
  83. Voir Vie de Jésus, p. lxxxvi.
  84. Luc, ii, 7. Cf. Justin, Dial. cum Tryph., 78.
  85. Luc, ii, 8 et suiv.
  86. Luc, ii, 24.
  87. Luc, xii, 16-21.
  88. Luc, vi, 30 ; xii, 13-15, 22 et suiv., 33 ; xvi, 13 ; xviii, 22.
  89. Luc, vi, 20-21.
  90. Luc, vi, 24-25 ; xvi, 19-25. Cf. Vie de Jésus, p. 181-182.
  91. Luc, viii, 2-3 ; ix, 58.
  92. Luc, xiv, 15 et suiv.
  93. Luc, xvi, 1 et suiv.
  94. Luc, xiv, 12-14.
  95. Apoc., xx, 5.
  96. Luc, xi, 41.
  97. Luc, iv, 6.
  98. Luc, iv, 1-13 (notez les particularités des versets 6, 13, en comparant Matthieu, iv, 1 et suiv.), 34-35 ; x, 18-19 ; xxii, 3, 53 ; xxii, 31-32.
  99. Luc, v, 8 et suiv., 26 ; vii, 16 ; viii, 25, 37, 45 et suiv.
  100. Luc, xviii, 1 et suiv.
  101. Luc, xi, 5-8.
  102. Le Protévangile de Jacques et l’Évangile de la nativité de Marie appliquent les mêmes procédés d’amplification à la naissance de Marie, mère de Jésus.
  103. Luc, ii, 41.
  104. Ainsi Luc, ii, 42 et suiv. De tout temps, les juifs ont aimé les enfants prodiges, en remontrant pour la science de la Loi aux docteurs. Josèphe, Vita, 2.
  105. Luc, ii, 19, 51.
  106. Luc, ch. i et ii (comp. Matth., i et ii) ; Act., i, 14 ; Justin, Dial. cum Tryph., 100.
  107. Luc, xx, 36-46.
  108. Luc, xxiii, 27-30.
  109. Luc, xxiii, 39-43.
  110. Luc, xxiii, 34. Ce verset manque dans le manuscrit du Vatican et dans quelques autres. Le Sinaïticus l’a ; Irénée le connaît. Cf. Act., vii, 60. Voir l’Antechrist, p. 60, note 1.
  111. Luc, xxiii, 46.
  112. Voir ci-dessus, p. 107.
  113. Voir les Apôtres, p. 33, note ; 36-37, note ; 32, note 5 ; 54-55.
  114. Addition de ὡς ἐνομίζετο. Luc, iii, 23.
  115. Οὗ ἦν τεθραμμένος. iv, 16.
  116. Ainsi il supprime, dans Marc, la perpétuelle préoccupation du manger (Marc, iii, 20 ; v, 43 ; vi, 31), l’oreiller sur lequel Jésus dormait sur le lac (Marc, iv, 38). Dans la description des vêtements blancs de la Transfiguration, il n’est plus dit « qu’il n’est pas de foulon sur la terre qui puisse en faire d’aussi blancs » (Marc, ix, 2).
  117. Ainsi l’anecdote du figuier, inintelligible dans Marc, xi, 12-14, 20-21, et Matth., xxi, 18-20, est remplacée par la douce parabole, Luc, xiii, 6-9.
  118. Par exemple, Luc, xxii, 61, le regard de Jésus.
  119. Luc, x, 38-42.
  120. Luc, vii, 37 et suiv.
  121. Luc, xxiv, 13-35.
  122. Le préambule est d’un style tout hellénique (comparez, par exemple, le prologue du traité De la matière médicale de Dioscoride) ; dans le reste de l’ouvrage, ce sont les documents utilisés par l’auteur qui font la couleur hébraïque.
  123. I Cor., xi, 23 et suiv.
  124. V. ci-dessus, p. 78.