Les Îles de la Madeleine et les Madelinots/05

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Imprimerie Générale de Rimouski (p. 28-40).

PREMIERS ESSAIS DE COLONISATION

Le premier propriétaire attitré de l’archipel fut Nicolas Denys qui reçut ses titres le 3 décembre 1653. On lit à l’entête : « Concession des Pays et Isles situées entre la grande Baye Saint-Laurent à commencer depuis le cap Canceaux jusqu’au cap des Rosiers. » (Archives de l’Acadie, p. 207 C. g. v. I.) Cet acte était passé entre la Compagnie de la Nouvelle-France et celle de Miscou et le Sieur Nicolas Denys. Celui-ci s’engagea à payer 15,000 livres et à « faire dans l’étendue des dits pays, terres, costes et isles à luy concédés, dans le temps et espace de six ans, au moins deux habitations de quarante familles chacune, françaises, catholiques, apostoliques et romaines, ou une seule de quatre-vingt familles. ».

Sans considérations pour les droits de Denys, la Compagnie de la Nouvelle-France de concert avec celle de Miscou concéda les îles de la Madeleine et de Saint-Jean à François Doublet de Honfleur, le 19 janvier 1663.[1] Cette concession souleva une vive opposition de la part des armateurs bayonnais. Un sieur Pierre de Peyrelongue, bourgeois de Bayonne, exposait dans sa protestation qu’en 1659, ayant envoyé à l’île de la Madeleine un navire équipé de 18 hommes pour hiverner, il avait bâti des maisons dans l’île et il en avait joui paisiblement jusqu’alors. Il réclamait en conséquence le remboursement de ses frais et avances.[2]

En effet, quand le Sieur Doublet arriva dans l’île à la mi-mai 1663, il trouva une vingtaine de Basques qui y avaient hiverné avec le Sieur Dantès de Bayonne et « qui avoient bien réussy a la pesche des loups marins soubs la recommandation de M. Denis. Ils atendoient leur navire comandé par le capitaine Jean Sopite de Saint-Jean-de-Luz qui devoit leurs aporter des vivres et faire pendant l’esté sa pesche des morues et emporter leurs huilles qu’ils avoient faittes. »

Celui qui raconte ce fait est le fils de François Doublet, Jean, qui, n’étant âgé que de sept ans et trois mois, conçut le dessein de faire le voyage avec son père, se cacha « entre ponts dans une cabane » et se couvrit « pardessus la teste pour n’estre pas veu. » Quand le contre-maître, Jean L’Espoir, alla se coucher, il le trouva dans sa cabane et alla le porter à son père qui le gronda fort et lui dit qu’il le renverrait au pays s’il trouvait une occasion. Mais n’en trouvant pas, le petit Jean fit le voyage. C’est grâce à cette aventure du jeune mousse que je possède tous les détails de l’expédition du Sieur Doublet : la première tentative de colonisation aux Îles de la Madeleine[3].

Dès le commencement de l’été 1662, Doublet fut dépêché en Hollande pour acheter un navire et le matériel nécessaire à cette entreprise. Et, quand les lettres patentes arrivèrent, il était déjà prêt à partir avec deux navires : le Saint-Michel (400 tonneaux), sous son propre commandement, et le Grenadier (150 tonneaux) confié au capitaine Bérangier. L’armement de ses navires fut fait avec beaucoup de précautions. Outre les équipages, 25 hommes furent engagés pour hiverner et tuer les loups-marins au commencement du printemps. On apportait aussi « plusieurs outils de charpente et autres propres pour défricher les terres et pour travailler à la pesche des morues et des loups-marins. »

Fransçois Doublet était apothicaire à Honfleur. Âgé de cinquante ans, « se voyant un grand nombre d’enfants, restant encore seize bien vivants, et en état avec son épouse d’augmenter, n’ayant ensemble que médiocrement des biens en fonds et sa profession pour pouvoir élever une assez nombreuse famille, (il) se détermina de s’intéresser dans une grande entreprise d’une société avec des Messieurs de Paris et de Rouen, dans le dessein d’établir une colonie aux Îles de Brion et de Saint-Jean, dans la Baie de l’Acadie. » C’était un grand chrétien. Il voulut associer Dieu à son entreprise. Avant son départ, il fit célébrer une messe dans son navire à la jetée, en attendant la marée. Et en arrivant aux Îles de la Madeleine, « il fit planter une grande croix sur le plus haut cap de l’entrée du port, » tirer onze coups de canons, allumer un grand feu et chanter un Te Deum d’actions de grâces. Voilà le bel esprit religieux de nos Français du XVII siècle ! C’est le geste que font tous les découvreurs et tous les explorateurs français de cette époque. La croix est le point de repère qui retrace la marche de la civilisation à travers les régions sauvages et païennes du Nouveau-Monde.

Une étude comparée de la description de Jean Doublet et des premières cartes exactes qui furent dressées nous permet d’affirmer que le havre en question est le Havre-Aubert et que le cap sur lequel on planta une croix est le cap Shea.

On se mit à l’œuvre sans retard : on dressa quelques tentes pour l’été, on prépara les bateaux de pêche et les chaffauds pour faire sécher la morue, puis on examina « le lieu le plus à comodité proche de deux bayes où l’on peut plus abondament prendre les loups marins afin d’y faire des logements » pour l’hivernement. C’était à quelques milles du port du côté du Havre-aux-Basques, à l’Anse-du-Cap probablement. Pour y aller on pratiqua un chemin de dix-huit pieds de largeur. De ce côté-là de l’île, on voit à la fois le Bassin, qui était alors accessible aux navires et la baie de Plaisance ; ce qui fait dire à Doublet que l’habitation était proche de deux baies. C’est là que devait hiverner Philippe Gaignard, chirurgien, lieutenant de Doublet, avec les vingt-cinq hommes amenés dans ce but.

« Sur la fin de may arriva au port le navire du capitaine Sopite, » qui parut très surpris de voir ces gens ainsi établis. Doublet lui déclara que pour cette année, il l’autoriserait à faire la pêche à la morue seulement, qu’ensuite il devrait se retirer, à moins qu’il ne consente à donner un tiers des huiles faites durant l’hiver. Sopite ne s’en tint pas à cela ; il expédia son fils à Canseau rapporter cette nouvelle à Nicolas Denys. Ce dernier se transporta immédiatement aux Îles de la Madeleine, « usa de menaces et puis fit plusieurs protestations et procès-verbaux et s’il n’avoit esté beaucoup inférieur en force d’hommes on en seroit venu aux mains » ; mais Doublet lui « représenta qu’il falloit examiner les statuts d’un chacun et se rendre justice à qui aurait plus de fondement. » Le tout examiné, il fut convenu que les « gens basques qui hiverneroient donneroient le tiers de leurs huilles. » Denis s’en retourna, laissant son adversaire en paix. Mais la pêche ne fut pas merveilleuse parce qu’on avait perdu beaucoup de temps à s’installer, à choisir le lieu de la future habitation, etc., si bien que les deux navires n’avaient guère plus d’un tiers de charge. On s’encouragea toutefois pour l’année suivante à cause des huiles qu’on espérait faire au printemps. À la fin d’août on termina l’habitation, qui fut renchaussée et bien protégée contre les vents et le froid. Puis à la fin de septembre, le Saint-Michel et le Grenadier firent voile vers la France, laissant Gaignard et ses hommes dans la nouvelle habitation. Ils arrivèrent à Honfleur les derniers jours de décembre.

François Doublet nourrissait de grandes espérances. Il raconta son expédition avec enthousiasme et s’associa deux marchands de Rouen : François Gon, sieur de Quincé et Claude de Landemars. Puis il se mit en frais de rééquiper ses deux navires pour partir au commencement de mars 1664.

La traversée fut difficile et il n’atteignit les Îles de la Madeleine qu’à la mi-juin. Les pieds lui brûlaient d’arriver, afin de ne pas manquer de nouveau la saison de pêche et pour constater les succès que ses gens avaient eus à la chasse aux loups-marins. Il tira du canon pour annoncer son arrivée et saluer les insulaires, mais en approchant de la côte, il fut tout surpris de n’y voir aucun signe de vie. Ayant mis ses navires à l’ancre, il dépêcha deux hommes à l’habitation pour avertir Gaignard et lui dire qu’on apportait de bonnes choses de France. Mais les deux hommes trouvèrent l’habitation vide, les portes ouvertes et trois à quatre pieds de neige, accumulés par les vents d’hiver. Quels ne furent pas l’étonnement et la consternation du sieur Doublet en apprenant ce désastre. Que penser ? que dire ? Il n’y avait plus de Basques, non plus. On était en face de ruines irrémédiables dans les circonstances. Doublet crut donc sage de ramasser tout ce qui restait d’utile et d’abandonner cette entreprise « qui avoit donné lieu à de bonnes espérances. » Ne trouvant presque pas de morues, il résolut d’aller à l’Île Percé. Il y rencontra le capitaine Sopite qui lui expliqua l’énigme de la Madeleine. « Je suis passé avant vous aux Îles, je n’y ai rien trouvé, moi non plus. J’ai appris ici que vos gens passaient leur temps à jouer et à s’enivrer tous les jours, et, les provisions épuisées, ils pillèrent les Basques et tous s’embarquèrent sur leurs chaloupes de pêche pour monter à Québec. »

C’est ainsi que finit misérablement la belle entreprise du sieur François Doublet pour coloniser les Îles de la Madeleine, la perle du golfe.

* * *

Nicolas Denis n’a pas autant fait que Doublet pour le développement de l’archipel ; il n’a même pas essayé d’y établir une colonie. Il les visita néanmoins de temps en temps, car il prétendait qu’elles faisaient partie de ses immenses concessions. En 1671, revenant d’Europe, il en fait la description suivante :

« …De l’isle de Saint-Paul entrant vingt lieues dans la Grande Baye de Saint-Laurent, l’on trouve les Isles aux Oiseaux. Elles portent ce nom à cause du grand nombre qui s’y trouve et si les navires pescheurs qui entrent en cette baye ont beau temps en y passant, ils envoient leurs chaloupes qui s’y chargent d’œufs et d’oiseaux puis, passant le long des Isles Ramées qui sont sept toutes rangées le long de l’Isle du Cap-Breton à sept ou huit lieues au large,[4] il y a passage entre les deux[5] pour de grands vaisseaux. J’y ai passé avec un navire de 500 tonneaux que je menais à Miscou faire la pêche et porter des victuailles à mon habitation. Au bout des Isles Ramées est l’Isle de la Magdeleine[6] qui est bien plus grande que toutes les autres, il y a un petit havre pour des vaisseaux de 80 à 100 tonneaux, la pesche de la morue y est abondante, il s’y trouve aussi des loups marins ; les Anglais ont voulu y habiter déjà plusieurs fois d’où je les ay chassez, les Français estant en possession de ces lieux-là de temps immémorial et n’étant pas juste qu’ils nous viennent troubler dans nos concessions si anciennes, puisque nous les laissons jouir en paix de tant de nouvelles colonies qu’ils ont établies dans notre voisinage outre qu’ils ne permettent à aucun Français de faire pescherie, quelle qu’elle soit, en leur coste… »[7]

En l’été de 1685, la Compagnie de la Pesche Sédentaire de l’Acadie visita les Îles de la Madeleine, afin de se rendre compte des possibilités d’y établir une colonie et d’y pratiquer la tuerie des loups-marins. Puis elle en demanda la concession avec celles de Saint-Jean et du Cap-Breton pour un espace de vingt ans. Et dès le quinze de septembre de la même année, six Français et des Sauvages allèrent s’y mettre en état d’hivernement, afin de se trouver sur les lieux à l’époque où les loups-marins abondent sur les glaces autour des Îles. On devait faire cela tous les automnes et revenir au printemps dans les postes de l’Acadie pour la saison de pêche.

Obtint-elle la concession des Îles ? Aucun document ne le confirme. Mais au mois de mai 1686, les Îles de la Madeleine furent concédées à Gabriel Gauthier et à tous ses héritiers et successeurs, pour la tuerie des loups-marins. Cet acte est signé Louis et sur le repli Colbert.[8] Que fit Gauthier ? Rien. Il se contenta de visiter une fois les îles, n’entreprit aucune exploitation et en conséquence perdit ses droits qui passèrent au Comte de Saint-Pierre par lettres patentes du mois de janvier 1720[9] et du mois de mars 1722.

Le Comte de Saint-Pierre, premier écuyer de la Duchesse d’Orléans, obtint cette seigneurie « à titre de franc aleu noble, » avec le privilège de concéder des terres sans être tenu de payer aucune indemnité au Roi, mais s’engageant à « porter foi et hommage au Chateau de Louisbourg. »

Cette fois-ci, l’entreprise ne se borne pas uniquement à l’industrie de la pêche. On élabore un programme mirobolant pour peupler et développer rapidement toutes les îles de la Madeleine : le seigneur doit y faire passer cinquante personnes chaque année.

Ce sont les conditions imposées autrefois à Denis, mais, pas plus que Denis le Comte de Saint-Pierre ne se soucia de les mettre à exécution et, pour tenter de justifier son indolence ou son âpreté au gain, il prétendit qu’il n’y avait sur les Îles de la Madeleine ni port, ni assez de terre pour une habitation, et toute son industrie se concentra sur la pêche qui lui permettait plus promptement et plus sûrement de réaliser d’immenses profits. À cette époque, on croyait les Îles de la Madeleine beaucoup plus proches de l’Île Saint-Jean qu’elle ne le sont en réalité. Et pour cela, le Comte de Saint-Pierre obtint facilement le droit exclusif de pêche autour de ces îles et dans l’espace de mer qui les sépare ; il s’éleva de vives protestations de la part de tous les pêcheurs du Golfe. Les armateurs français prétendaient que la pêche sédentaire ne se faisait pas en goélettes et ne s’étendait qu’aux îles et battures adjacentes, c’est-à-dire à une lieue à la ronde et qu’on ne pouvait pas les empêcher de pêcher au-delà.

Le Comte de Saint-Pierre soutenait que cette protection lui était absolument nécessaire pour le dédommager des dépenses très considérables faites pour l’établissement de ces îles. Et en conséquence, il arma un brigantin pour chasser de ses eaux les pêcheurs de l’Île Royale et faire exécuter ses exorbitantes volontés. Mais dégouté d’une dispute où il avait tout à perdre, ne faisant pas ses frais, il avait abandonné les Îles en 1724 et ne s’y était plus montré. Le Conseil d’État, par un arrêté du 1er juin 1730 réunit cette seigneurie au domaine du Roi.

Et voilà comment les brillantes perspectives entrevues à l’arrivée du Comte de Saint-Pierre se sont toutes dissipées comme les nuages d’été, laissant la mer calme et le ciel pur autour de l’archipel.

Cette décision du Conseil d’État connue, de nouvelles demandes furent adressées à Sa Majesté. Une concession fut faite en 1731 ; en effet le 28 janvier 1732, Monsieur de Saint-Ovide, Gouverneur de Louisbourg, écrit au Ministre, le Comte de Maurepas : « Le Sieur Harenedé qui a pareillement obtenu un brevet de concession pour vingt ans des Îles de la Magdeleine, n’est point venu cette année, mais il a envoyé son frère pour préparer son entreprise, son Brevet a été enregistré au Conseil Supérieur. » (Série C. II vol. 12. 1732)

Le nouveau propriétaire n’est pas bien pressé de s’enrichir dans l’industrie des huiles, puisqu’il ne paraît pas encore en 1732. « Un commis qu’il avait y a seulement fait faire quelques huilles. »[10]

Cette ridicule manie d’obtenir des concessions importantes pour le seul plaisir d’être richissime propriétaire en Amérique ; ces projets flamboyants d’aujourd’hui qui demain sont abandonnés ; cette main-mise sur les sources de richesse du pays ; ce monopole passif et arbitraire ont toujours nui à l’intérêt général sans être avantageux aux particuliers. Au lieu de provoquer et de créer la vie, on l’étouffe avant de naître. Cette lenteur désespérante et cette criminelle inactivité exaspéraient beaucoup les armateurs français qui se trouvaient empêchés de tirer de leur industrie toutes les richesses qu’elles promettaient. Aussi s’adressaient-ils souvent aux autorités pour faire cesser ces abus criants et obtenir le champ large dans tout le golfe.

Monsieur Harenedé n’ayant point encore paru en 1734, on enleva les barrières et maints équipages s’abattirent sur les Îles comme des essaims d’abeilles dans un verger en fleurs. Il en vint même du Canada jusqu’où s’était répercuté l’écho des lamentations de la vache-marine surprise dans son échouerie. Les Sauvages de l’Île Saint-Jean qui s’y rendaient tous les étés furent très inquiétés par les Canadiens. Ces derniers, non contents de leur faire concurrence chez eux, se permirent d’enlever « neuf barriques de leurs huiles. » Nos paisibles Micmacs s’en plaignirent à Monsieur de Saint-Ovide qui promit d’envoyer un officier l’année suivante et de leur faire rendre justice[11].

De plus, le 10 mai 1735, le Roi permit au Sieur Claude Chenu Bois-Moris la tuerie des vaches et des loups-marins aux Îles de la Madeleine ; mais cet été-là le sieur Harenedé se reprend et vient passer la belle saison dans sa colonie[12].

Malgré son inconcevable indécision, le sieur Harenedé[13] est le premier seigneur qui ait tiré quelques bénéfices des Îles. Depuis son arrivée au pays, chaque printemps il s’y rend et ne retourne à Louisbourg qu’au mois d’octobre, avec une cargaison d’huiles. « Je souhaite, dit le Président de la marine à Monsieur LeNormant, que le succez que vous me marqués qu’il a eu dans cette tuerie puisse le mettre en estat de suivre son établissement avec plus de vigueur qu’il n’a fait jusqu’à présent[14]. »

Mais ses premiers succès ne répondent peut-être pas à ses espérances. Au lieu d’y mettre plus de vigueur, il abandonne tout, disparaît de la scène, et meurt en 1742.

Depuis 1730, le Gouverneur de l’Île Royale est tenu de surveiller cette pêche, de protéger les propriétaires, de faire exécuter les conditions de leur contrat et d’en rendre compte au Ministre de la Marine. Celui-ci sait donc à quoi s’en tenir sur la situation de la colonie et ne fera plus de concessions intempestives. À une lettre de Bigot (1742) recommandant le sieur Jouet, négociant de Louisbourg, pour un privilège de dix ans, aux Îles de la Madeleine, le Ministre répond que les frères Pascaud, négociants de la Rochelle, en ont déjà fait la demande qui vient de leur être accordée pour neuf années. Bigot n’en est pas faché : il répond qu’il fera tout ce qui dépendra de lui pour que les frères Pascaud tirent un meilleur parti de leur entreprise que ne l’a fait le sieur Harenedé[15].

C’est en 1734 que des Canadiens d’en bas de Québec s’étaient rendus pour la première fois jusqu’aux Îles et en avaient emporté de nombreux quarts d’huile. Encouragés par ces premiers succès, ils y revinrent chaque année, y fondèrent des établissements, s’y installèrent et finirent par y passer l’hiver. Quand les sieurs Pascaud y arrivèrent en 1743, ils trouvèrent une petite colonie assez turbulente d’abord, mais avec qui un arrangement à l’amiable leur permit de débuter avantageusement.[16] C’était bien le meilleur parti à prendre, car ces gens étaient là depuis des années, ils avaient acquis beaucoup d’expérience dans ce genre de pêche et en les utilisant les Pascaud assuraient le succès de leur entreprise.

La guerre de la succession d’Autriche, commencée par la France en 1744 et le siège de Louisbourg un an après interrompirent tous ces travaux, renvoyèrent les sieurs Pascaud en France et laissèrent champ libre aux Canadiens et aux Sauvages qui eurent grand succès, car ils s’y maintinrent et s’y multiplièrent à l’infini.

À la suite de la guerre Pascaud obtint une prolongation de neuf autres années avec un « privilège exclusif de faire seul la pêche et tuerie des vaches marines et des loups-marins sur les Îles de la Madeleine, et défense à toute personne de le faire pendant le dit temps, sous quelque prétexte que ce soit. Néanmoins, Sa Majesté entend que les Sauvages puissent continuer en toute liberté de faire la chasse et la pêche dans lesdites Îles. »[17] Cependant il ne reprit que mollement son commerce. Les Canadiens en profitèrent et firent des instances, par la voix du Marquis de Duquesne, afin d’obtenir la concession de ces Îles pour leurs bénéfices et liberté[18].

Mais presque à la même date, l’assassinat de Jumonville qui alluma la guerre des sept ans en Amérique, brisa ces perspectives de prospérité. Dès lors, le Canada s’organisa pour faire face à l’ennemi et tous les hommes disponibles furent appelés sous les armes. Les vaches-marines et les loups-marins purent se multiplier en paix et se livrer sans crainte à leur joyeux ébats sur leurs échoueries pendant que leurs redoutables adversaires vont généreusement verser leur sang pour Dieu et la patrie.

  1. Voir appendice II
  2. Bréard p. 136, La Nouvelle-France : Dionne p. 147 (1891)
  3. Voir Journal du Corsaire Jean Doublet de Honfleur, Lieutenant de frégate sous Louis XIV, publié d’après le Manuscrit Autographe avec introduction, notes et additions par Charles Bréard.

    Jusqu’en 1663 Brion, Ramea ou Araynes étaient les seuls noms qui servaient à désigner ce groupe d’îles ; Doublet obtient du Roi la permission de changer ces noms en celui de la Madeleine, du nom de sa femme ; c’est donc depuis 1663 que nos Îles portent le nom de Madeleine. Brion toutefois a été maintenu pour désigner l’île découverte par Cartier et qu’il appela ainsi du nom de son insigne protecteur. Cependant sur une carte de Champlain, 1632, La Magdeleine est donnée à l’île du Hâvre-Aubert.

  4. Au large des Îles-aux-Oiseaux.
  5. Entre les deux groupes d’îles.
  6. Apparemment le Havre-Aubert.
  7. Description Géographique et Historique des Costes de l’Amérique du Nord. Chap. VIII.
  8. Archives de l’Acadie.
  9. Voir appendice III.
  10. M. Lenormant au Ministre : 16 nov. 1732 — Série C. II vol. 13.
  11. M. Lenormant au Ministre : 5 nov. 1734 — Série C. II vol. 13
  12. Lettre de St-Ovide et Lenormant au Ministre le 21 oct. 1734. (Louisbourg vol. 17)
  13. Harenedé ou Hareneder.
  14. Louisbourg, 29 avril 1738.
  15. Lettre de Bigot au Ministre — Archives de Louisbourg 1742 5 nov. 1743
  16. Série B. vol. 78, 24 mars 1744, 17 avril 1744.
  17. Lettre à MM. de la Jonquière et Bigot 10 mars 1751.
  18. Le Président du Commerce et de la Marine au Marquis de Duquesne, Versailles le 31 may 1754.