Les Œuvres de François Rabelais (Éditions Marty-Laveaux)/LeTiersLivre/6

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Alphonse Lemerre (Tome IIp. 38-40).

Pourquoy les nouueaulx mariez eſtoient exemptz
d’aller en guerre.


Chapitre VI.


Mais (demanda Panurge) en quelle loy eſtoit ce conſtitué & eſtably, que ceulx qui vigne nouuelle planteroient : ceulx qui logis neuf baſtiroient : & les nouueaulx mariz ſeroient exemptz d’aller en guerre pour la premiere année ? En la loy (reſpondit Pantagruel) de Moſes[1]. Pour quoy (demanda Panurge) les nouueaulx mariez ? Des planteurs de vigne, ie ſuis trop vieulx pour me ſoucier : ie acquieſce on ſoucy des vendangeurs : & les beaulx baſtiſſeurs nouueaux de pierres mortes ne ſont eſcriptz en mon liure de vie. Ie ne baſtis que pierres viues, ce ſont homes. Scelon mon iugement (reſpondit Pantagruel) c’eſtoit, affin que pour la premiere année, ilz iouiſſent de leurs amour à plaiſir, vacaſſent à production de lignage, & feiſſent prouiſion de heritiers. Ainſi pour le moins, ſi l’année ſeconde eſtoient en guerre occis, leur nom & armes reſtat en leurs enfans. Auſſi que leurs femmes on congneuſt certainement eſtre brehaignes ou ſecondes (car l’eſſay d’vn an leur ſembloit ſuffiſant, attendu la maturité de l’aage en laquelle ilz faiſoient nopces) pour mieulx apres le decés des mariz premiers les colloquer en ſecondes nopces : les ſecondes, à ceulx qui vouldroient multiplier en enfans : les brehaignes, à ceulx qui n’en appeteroient : & les prendroient pour leurs vertus, ſçauoir, bonnes graces, ſeulement en conſolation domeſticque, & entretenement de meſnaige. Les preſcheurs de Varenes (diſt Panurge) deteſtent les ſecondes nopces, comme folles & deſhonneſtes. Elles ſont (reſpondiſt Pantagruel) leurs fortes fiebures quartaines. Voire (diſt Panurge) & à frere Enguainnant auſſi, qui en plain ſermon preſchant à Parillé, & deteſtant les nopces ſecondes, iuroit, & ſe donnoit au plus viſte Diable d’enfer, en cas que mieulx n’aymaſt depuceller cent filles[2], que biſcoter vne vefue. Ie trouue voſtre raiſon bone & bien fondée. Mais que diriez vous, ſi ceſte exemption leurs eſtoit oultroyée, pour raiſon que tout le decours d’icelle prime année, ilz auroient tant taloché leurs amours de nouueau poſſedez (comme c’eſt l’æquité & debuoir) & tant eſgoutté leurs vaſes ſpermaticques, qu’ilz en reſtoient tous effilez, tous euirez, tous eneruez, & flatriz. Si que aduenent le iour de bataille plus toſt ſe mettroient au plongeon comme canes, auecques le baguaige, que auecques les combatans & vaillans champions on lieu on quel par Enyo eſt meu le hourd, & ſont les coups departiz. Et ſoubs l’eſtandart de Mars ne frapperoient coup qui vaille. Car les grands coups auroient ruez ſoubs les courtines de Venus s’amie. Qu’ainſi ſoit nous voyons encores maintenant entre autres reliques & monumens d’antiquité, qu’en toutes bonnes maiſons apres ne ſçay quantz iours l’on enuoye ces nouueaux mariez veoir leur oncle : pour les abſenter de leurs femmes, & ce pendent ſoy repoſer, & de rechief ſe auitailler pour mieux au retour combatre : quoy que ſouuent ilz n’ayent ne oncle ne tante. En pareille forme que le roy Petault apres la iournée des Cornabons, ne nous caſſa proprement parlant, ie diz moy & Courcaillet, mais nous enuoya refraiſchir en nos maiſons. Il eſt encores cherchant la ſienne[3]. La marraine de mon grand pere me diſoit, quand i’eſtois petit, que

Patenoſtres & oraiſons,
Sont pour ceulx là qui les retiennent
Vn fiffre allans en fenaiſons
Eſt plus fort que deux qui en viennent.

Ce que me induict en ceſte opinion, eſt que les planteurs de vigne, à poine mangeoient raiſins, ou beuuoient vin de leur labeur durant la premiere année : & les baſtiſſeurs pour l’an premier, ne habitoient en leurs logiz de nouueau faictz, sur poine de y mourir : ſuffocquez par deffault de expiration, comme doctement a noté Galen. lib.  de la difficulté de reſpirer. Ie ne l’ay demandé ſans cauſe bien cauſée : ne ſans raiſon bien reſonnante. Ne vous deſplaiſe.


  1. Moſes. Voyez Deutéronome, c. 20, v. 5, 6 et 7.
  2. Depuceller cent filles. « A Tivoli prêchait un frère de peu de réflexion, qui, dans un beau mouvement contre l’adultère, s’écria : « C’est un péché si horrible, que j’aimerais mieux connaître dix vierges qu’une seule femme mariée. » (Les Contes de Pogge, XXIV, éd. Lemerre)
  3. En nos maiſons. Il eſt encores cherchant la ſienne.

    … S’il trouue mon logis
    Plus fort ſera que le deuin.

    (Villon, Grand teſtament, XCIII, p. 62)