Les Œuvres de François Rabelais (Éditions Marty-Laveaux)/PantagruelinePrognostication/AuLiseurBenevole

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Alphonse Lemerre (Tome IIIp. 231-233).

AV LISEVR BENEVOLE

Salut, & Paix en Ieſus le Chriſt.


Considerant infiniz abus eſtre perpetrez à cauſe d’vn tas de Prognoſtications de Louain, faictes à l’ombre d’vn verre de vin, ie vous en ay preſentement calculé vne la plus ſeure, & veritable que fut oncques veüe, comme l’experience vous le demonſtrera. Car ſans doubte veu que dict le prophete Royal, Pſal. v. à Dieu : tu deſtruyras tous ceulx qui diſent menſonges, ce n’eſt legier peché de mentir à ſon eſcient & abuſer le pouure monde curieux de ſçauoir choſes nouuelles. Comme de tout temps ont eſté ſigulierement les François, ainſi qu’eſcript Ceſar en ſes commentaires[1], & Iean de Grauot on mythologies Galliques. Ce que nous voyons encores de iour en iour par France, où le premier propos qu’on tient à gens fraiſchement arriuez ſont. Quelles nouuelles ? ſçauez vous rien de nouueau ? Qui dict ? qui bruict par le monde ? Et tant y ſont attentifz, que ſouuent le courrouſſent contre ceulx qui viennent de pays eſtranges ſans apporter pleines bougettes de nouuelles, les appellant veaulx, & idiotz.

Si doncques comme ilz ſont promptz à demander nouuelles, autant ou plus ſont ilz faciles à croire ce que leur eſt annoncé. Deburoit on pas mettre gens dignes de foy à gaiges à l’entrée du Royaulme, qui ne ſeruiroient d’autre choſe ſinon d’ezaminer les nouuelles qu’on apporte, & à ſçauoir ſi elles ſont veritables ? Ouy certes. Et ainſi ha faict mon bon maiſtre Pantagruel, par tout le pays de Vtopie, & Dipſodie. Auſſi luy en eſt il ſi bien aduenu & tant proſpere ſon territoire, qu’ils ne peuuent de preſent auanger à boyre, & leur conuiendra eſpandre le vin en terre, ſi d’ailleurs ne leur vient renfort de beuueurs, & bons raillars. Voulant doncques ſatisfaire à la curioſité de tous bons compaignons, i’ay reuolué toutes les Pantarches des cieulx, calculé les quadratz de la Lune, crocheté tout ce que iamais penſerent tous les Aſtrophiles, Hypernepheliſtes, Anemophylaces, Vranopetes, & Ombrophores, & conféré du tout auecque Empedocles, lequel ſe recommande à voſtre bonne grace. Et tout le tu autem ay icy en peu de chapitres redigé : vous aſſeurant que ie n’en dy ſinon ce que l’en penſe : & n’en penſe ſinon ce qu’en eſt : & n’en eſt autre choſe pour toute verité que ce qu’en lirez à ceſte heure. Ce que ſera dict au parſus, ſera paſſé au gros tamys à tors, & à trauers, & par aduenture auiendra, par aduenture n’aduiendra mie. D’vn cas vous aduertis. Que ſi ne croyez le tout, vous me faictes vn mauuais tour, pour lequel icy, ou ailleurs, ſerez treſgrieſuement puniz. Les petites anguillades à la ſaulſe de ners bouins ne ſeront eſpargnées ſur voz eſpaules, & humez de l'air comme des huytres tant que vouldrez : car hardiment il y aura de bien chauffez ſi le fornier ne s'endorz. Or mouchez voz nez, petiz enfans : & vous autres vieulx reſueurs, affuſtés voz bezicles, & peſez ces motz au pois du Sanctuaire.


  1. Ceſar en ſes commentaires. « Est autem hoc Galliæ consuetudinis, ut, et viatores etiam invitos consistere cogant ; et, quod quisque eorum de quaque re audierit, aut cognoverit, quærant. » (IV, 5)