Les Amours de Lancelot du Lac/11

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Plon-Nourrit et Cie (2p. 33-35).


XI


Au matin, quand Dieu fit lever le soleil, il se fit armer, et, monté sur un destrier fort et courant, il gravit la butte et parvint devant la porte de la forteresse. Le cor sonna ; un chevalier parut sur la muraille.

— Que demandez-vous ?

— L’ouverture du château.

— Ha, sire, je voudrais que vous fussiez assez preux pour mener cette aventure à bien, car cette douleur n’a que trop duré ! Mais il nous convient de garder notre loyauté et tenir notre serment.

Là-dessus, le pont-levis s’abaissa, et dix chevaliers sortirent un à un par le guichet, chacun suivi de son destrier qu’un écuyer tirait par la bride ; puis, montés à cheval, ils se vinrent en bel arroi, lance sur feutre, ranger au bas du tertre.

Quelle rude bataille pour le blanc chevalier ! Mais, comme dit le proverbe, celui que Dieu veut aider, nul ne lui peut nuire. Les uns, il les heurte si rudement de sa lance qu’ils n’ont besoin de médecin ; les autres, il fausse leurs heaumes, fend leurs écus, rompt leurs hauberts sur les bras et les épaules. Mais eux, ils l’atteignent et le blessent aussi, car, dès que l’un a le dessous, quelque autre se jette à la rescousse, et certes il lui fut utile de porter un haubergeon bien maillé dessous son blanc haubert. Pourtant, grâce aux deux premiers écus à bandes vermeilles qui lui refont deux fois des forces nouvelles, il se bat tant et si rudement qu’enfin ses adversaires ne sont plus que trois. Ce que voyant, l’un s’écrie que, puisque maints autres, et plus preux que lui, ont perdu la vie, il ne se fera pas tuer comme eux : il tend son épée et s’avoue prisonnier ; de même les deux derniers. Et la porte du château s’ouvre à grand fracas.

Il était alors près de none. À grande joie, le chevalier aux blanches armes gravit le tertre. Mais, quand il eut passé le seuil, il découvrit une seconde muraille et une seconde porte devant laquelle dix nouveaux chevaliers se tenaient rangés.

À ce moment, il sentit que Saraide, aidée de ses écuyers, lui délaçait son heaume tout bosselé et fendu, et qu’elle lui en ajustait un autre ; puis qu’elle lui passait au cou la courroie de l’écu à trois bandes.

— Ha, demoiselle, vous me ferez honnir ! lui dit-il. Le second écu était déjà de trop. Voulez-vous que je vainque sans que ma prouesse y soit pour rien ?

Cependant on le hissait sur un destrier frais ; en même temps, un valet lui glissa dans la main une lance grosse, courte et roide, dont le fer tranchait comme rasoir.

— Je veux maintenant vous voir jouter, beau doux ami, dit Saraide, car je sais assez comment vous vous aidez de l’épée. Mais regardez au-dessus de la seconde porte.

Il y avait là une statue de cuivre en forme d’un chevalier tout armé et monté qui tenait en main une hache. Et cette figure était enchantée de telle façon qu’elle devait choir sitôt que le futur conquérant du château jetterait un regard sur elle. Le blanc chevalier lève les yeux : dans le même moment elle tombe et rompt le col à l’un de ceux qui étaient alignés au-dessous d’elle. Sans s’étonner, il baisse sa lance, pique des deux, fond comme une tempête sur les autres et en tue deux coup sur coup. Pris de peur à voir cette prouesse qui leur semblait plus d’un diable que d’un homme, les chevaliers se laissent glisser à bas de leurs destriers et s’efforcent de gagner le guichet. Mais avant qu’ils y soient parvenus, le blanc champion qui s’est jeté sur eux, l’épée nue, en force trois à crier merci. Les cinq derniers s’enfuient. Et la porte s’ouvre devant le vainqueur.