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Les Animaux historiques/17

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LE CHIEN DU LOUVRE

Passant, que ton front se découvre.
Là, plus d’un brave est endormi.
Des fleurs pour le martyr du Louvre !
Un peu de pain pour son ami !


C’était le jour de la bataille :
Il s’élança sous la mitraille :
Son chien suivit.
Le plomb tous deux vint les atteindre,
Est-ce le maître qu’il faut plaindre ?
Le chien survit.

Morne, vers le brave il se penche,
L’appelle, et, de sa tête blanche,
Le caressant,
Sur le corps de son frère d’armes
Laisse couler ses grosses larmes
Avec son sang.

Des morts voici le char qui roule ;
Le chien, respecté par la foule,
A pris son rang,
L’œil abattu, l’oreille basse,
En tête du convoi qui passe,
Comme un parent.

Au bord de la fosse avec peine,
Blessé de juillet, il se traîne,
Tout en boitant,
Et la gloire y jette son maître,
Sans le nommer, sans le connaître…
Ils étaient tant !


Gardien du tertre funéraire,
Nul plaisir ne peut le distraire
De son ennui ;
En fuyant la main qui l’attire,
Avec tristesse il semble dire :
« Ce n’est pas lui. »

Quand sur ces touffes d’immortelles
Brillent d’humides étincelles
Au point du jour,
Son œil se ranime, il se dresse
Pour que son maître le caresse
À son retour.

Au vent des nuits quand la couronne
Sur la croix du tombeau frissonne,
Perdant l’espoir,
Il veut que son maître l’entende,
Il gronde, il pleure, et lui demande
L’adieu du soir.

Si la neige avec violence
De ses flocons couvre en silence
Le lit de mort,
Il pousse un cri lugubre et tendre,
Et s’y couche pour le défendre
Des vents du nord.


Avant de fermer la paupière,
Il fait, pour relever la pierre,
Un vain effort ;
Puis, il se dit, comme la veille :
« Il m’appellera, s’il s’éveille. »
Puis il s’endort.

La nuit, il rêve barricade :
Son maître est sous la fusillade
Couvert de sang.
Il l’entend qui siffle dans l’ombre,
Se lève et saute après son ombre
En gémissant.

C’est là qu’il attend d’heure en heure,
Qu’il aime, qu’il souffre, qu’il pleure,
Et qu’il mourra.
Quel fut son nom ? c’est un mystère ;
Jamais la voix qui lui fut chère
Ne le dira.

Passant, que ton front se découvre.
Là, plus d’un brave est endormi.
Des fleurs pour le martyr du Louvre !
Un peu de pain pour son ami.

Casimir DELAVIGNE.