Les Aventures de Til Ulespiègle/LXIX
CHAPITRE LXIX.
le bain, parce que c’était un « lieu de
purification ».
l y avait à Hanovre, près du Leinthor, un baigneur
qui ne voulait pas qu’on appelât son établissement
des bains, mais bien une maison de
purification. Ayant appris cela lorsqu’il se trouvait
à Hanovre, Ulespiègle alla dans cet établissement,
se déshabilla, et, entrant dans la salle des bains,
dit : « Bonjour, Monsieur, à vous et à tous les vôtres,
et à tous ceux qui se trouvent dans cette propre
maison. » Cela fit grand plaisir au baigneur, qui l’accueillit
bien et lui dit : « Monsieur mon hôte, vous
dites bien ; c’est une maison propre et aussi une
maison de purification, et non une maison de bains.
— Il est clair, dit Ulespiègle, que c’est une maison
de purification, car nous y entrons pleins d’ordures
et nous en sortons purifiés. » En disant cela, Ulespiègle,
fit un gros tas d’excréments dans le réservoir
à l’eau, au milieu de la salle de bain, de façon que cela empesta toute la salle. Alors le baigneur dit :
« Je vois bien que les paroles et les actions ne se ressemblent
pas toujours. Tes paroles m’étaient agréables,
mais il n’en est pas de même de tes actions ;
car tes paroles étaient pures, mais tes œuvres sentent
mauvais. A-t-on l’habitude de se conduire ainsi dans
la maison de purification ? – N’est-ce pas, dit Ulespiègle,
une maison de purification ? J’avais plus besoin
de me purifier du dedans que du dehors, sans
quoi je ne serais pas entré. – Pareille purification,
dit le baigneur, se fait au privé. C’est ici une maison
où l’on se purifie par la transpiration, et tu en fais
des latrines. – N’est-ce pas, dit Ulespiègle, de l’ordure
sortie d’un corps humain ? Si l’on veut se purifier,
il faut se purifier intérieurement aussi bien
qu’extérieurement. » Le baigneur dit en colère : « Ici
on se purifie de cette façon dans le privé, et l’équarrisseur
mène cela à la voirie ; moi, je n’ai pas l’habitude
de le laver et de le balayer. » Puis il dit à
Ulespiègle de sortir de chez lui. Ulespiègle répondit :
« Monsieur l’hôte, laissez-moi d’abord me baigner
pour mon argent. Vous voulez beaucoup d’argent ;
moi, je veux bien me baigner. » Le baigneur lui dit
qu’il n’avait qu’à s’en aller ; qu’on ne voulait pas de
son argent ; que s’il ne voulait pas s’en aller, il lui
montrerait bientôt la porte. Ulespiègle pensa qu’il
ne faisait pas bon là à lutter nu contre un homme
armé d’un rasoir ; il sortit en disant : « Quel bon
bain j’ai pris pour un tas d’excréments ! » et il se
retira dans une chambre où le baigneur avait l’habitude de manger avec sa famille. Le baigneur l’enferma
là-dedans pour l’effrayer, comme s’il voulait le
faire prendre, ainsi qu’il l’en menaçait. Cependant
Ulespiègle pensa qu’il n’était pas assez purifié, et
ayant aperçu une table à compartiments qui se
fermaient les uns sur les autres, il l’ouvrit, acheva de
se purifier dedans et la referma. À ce moment le
baigneur vint le délivrer ; ils firent la paix, et Ulespiègle
dit : « Cher maître, ce n’est que dans cette
pièce que je me suis purifié complètement. Pense
à moi avant qu’il soit midi : je m’en vais. »