Les Aventures de Til Ulespiègle/LXX
CHAPITRE LXX.
paysannes du lait qu’il mêla tout ensemble.
lespiègle fit à Brème des choses étranges
et risibles. Une fois, étant au marché, il vit
que les paysannes avaient apporté beaucoup
de lait à vendre. Il prit alors un grand tonneau,
le fit apporter sur la place, acheta tout le lait qui
vint au marché, et le fit verser dans son tonneau.
Il inscrivait à mesure la quantité que chaque paysanne
avait apportée, l’une tant, l’autre tant, et ainsi de
suite, et leur disait d’attendre jusqu’à ce que tout le
lait fût réuni, et qu’alors il payerait à chacune le
sien. Les femmes, assises en cercle, attendaient, et
Ulespiègle acheta tant de lait qu’à la fin il n’y en eut plus à vendre, et que son tonneau était presque
plein. Alors il dit aux paysannes d’un air moqueur :
« Je n’ai pas d’argent en ce moment. Celles qui ne
voudront pas attendre quinze jours n’ont qu’à
reprendre leur lait ; » et il s’en alla. Les femmes firent
un vacarme épouvantable. L’une disait qu’elle en
avait tant, l’autre tant, et ainsi de suite, si bien
qu’elles commencèrent à se jeter à la tête pots, bouteilles
et mesures, et à se battre et à se jeter le lait
dans les yeux, sur les habits et par terre ; de sorte
qu’on aurait dit qu’il y avait eu une pluie de lait. Les
bourgeois et tous ceux qui voyaient cela riaient de
l’aventure, et disaient qu’Ulespiègle avait fait là
une bonne malice.