Les Aventures de Til Ulespiègle/LXX

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Anonyme
Traduction par Pierre Jannet.
À l’enseigne du pot cassécoll. Scripta Manent, n°44 (p. 171-172).

CHAPITRE LXX.


Comment, à Brème, Ulespiègle acheta de plusieurs
paysannes du lait qu’il mêla tout ensemble.



Ulespiègle fit à Brème des choses étranges et risibles. Une fois, étant au marché, il vit que les paysannes avaient apporté beaucoup de lait à vendre. Il prit alors un grand tonneau, le fit apporter sur la place, acheta tout le lait qui vint au marché, et le fit verser dans son tonneau. Il inscrivait à mesure la quantité que chaque paysanne avait apportée, l’une tant, l’autre tant, et ainsi de suite, et leur disait d’attendre jusqu’à ce que tout le lait fût réuni, et qu’alors il payerait à chacune le sien. Les femmes, assises en cercle, attendaient, et Ulespiègle acheta tant de lait qu’à la fin il n’y en eut plus à vendre, et que son tonneau était presque plein. Alors il dit aux paysannes d’un air moqueur : « Je n’ai pas d’argent en ce moment. Celles qui ne voudront pas attendre quinze jours n’ont qu’à reprendre leur lait ; » et il s’en alla. Les femmes firent un vacarme épouvantable. L’une disait qu’elle en avait tant, l’autre tant, et ainsi de suite, si bien qu’elles commencèrent à se jeter à la tête pots, bouteilles et mesures, et à se battre et à se jeter le lait dans les yeux, sur les habits et par terre ; de sorte qu’on aurait dit qu’il y avait eu une pluie de lait. Les bourgeois et tous ceux qui voyaient cela riaient de l’aventure, et disaient qu’Ulespiègle avait fait là une bonne malice.