Les Bigarrures/Chapitre 17

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Les Bigarrures et Touches du seigneur des Accords (1572)
chez Loys Du Mesnil (p. 219-232).


DES VERS
LEONINS

CHAP. XVII.


MAintenant nous viendrons aux vers Leonins, qui peuvent advenir incidemment en quelque Poësie que ce soit, és vers Hexametres ou Pentametres ; comme dans Virgile, Horace, Tribule, Cacule, Properce, Ovide. & autres anciens. Mais qui se donnera garde curieusement on trouvera que quand cela advient, c’est l’adjectif ou substantif : Comme le premier vers où je suis tombé à la fortuite ouverture de Virgile lib. 7.

Ecce autem Inachiis sese referebat ab Argis.

Ouid. epist.

Pingit & exiguo Pergama tota mero,
Traditur buic digitis charta nota meis.

Et autrement cela advient fort rarement ; de forte que plusieurs des plus arguts, l’ont autrement estimé vice, & appellé Cacophonie, c’est à dire, mauvais son à nostre aureille. Comme cestuy-cy du divin Orateur, & excellent Poëte Ciceron, tesmoing la version des Phænomenes d’Arat :

O fortunatam natam me Consule Romam.

Neantmoins nos anciens peres depuis trois ou quatre cens ans en çà, en ont faict grand cas : & pour leur bonne grace les ont surnommez, Leoninos Versus, Vers de Lyon : À cause que comme le Lyon est le Roy des quadrupedes, aussi estoit ceste forte de vers, à leur advis, les premiers entre tous les autres : & se void que tous les grands Carminificateurs de ces sicles là, ont basty leurs œuvres par excellence de ceste façon : comme Theodolus vita Thobia, Precepta, Scholæ Salernitanæ de sanitate tuenda en rendront suffisante preuve.

Dont pour exemple ces vulgaires fort utiles, sont tirez,

Semen fœniculi pellit spiramina culi,
Filia presbyteri jubet hoc pro lege teneri,
Quod bona sunt oua candida, langa, noua,
Si nocturna tibi noceat potatio vini.
Fac matutina rebibas & erit medicina.

Et autres infinis vers, desquels j’ay colligé pour exemple ces beaux preceptes & sentences.

Ad primum morsum, si non potavero mors sum,
Gaudia sunt nobis maxima, dum bibo bis :
Ad trinum potum lætus qum, dum bibo totum :
Latificat quarius cor, caput, atque latus.
In quinto potu vasto potamus biatu :
Dulcis & ipse cibus, dum bibo sex vicibus.
Potu septeno lætus fum corpore pleno,
O nos fælices octo bibendo vices.
Nona Cherubinum pingit potatio nasum,
Si decies bibero, cornuafronte gero.
Undenaque vice tibi præbibo dulcis amice,
Et bis post decies est mihi tota quies,
Postea dico satis, sed cum potavero gratis
Tantillum digitum, lætus eo cubitum.

En nos Annales nous avons ce bel Épitaphe, du Pape Benoist XII. qui entra au Papat comme un Regnard, regna comme un Lyon, & mourut comme un Chien :

Hic suus est Nero, laicis mors, vipera clero,
Devius a vero, Cupa repleta mera.

Celuy de Beda est au mesme livre, ainsi,

Continet hæc fossa Beda venerabilis ossa.

Et à Spire ce lit cét Epitaphe de quatre personnes, en un vers,

Filius hic, pater hic, & avus, proavus jacet ist hic.

Or en voicy de bons & excellens, eu esgard à la matiere.

Cum socio mingas ; si non vis mingere, fingas,

Lectio Florentina ait, aut saltem, au lieu de sinon, ainsi que dit Contius, secundum vulgatas editiones.

Un Anglois escoüé m’a donné ce suivant l’an 1578.

Post visum, risum post risum venit in usum,
Post risum tactum, post tactum venit in actum,
Post actum factum, post factum pænitet actum.

Item.

Tergere culum bis tu debes, quando cacabis,
si defit stramen, digitis tu terge foramen.

Item.

Mingere cum bombis, res est sanissima lumbis :

Item.

Est pulcher ludus, cum nuda ludere nudus.
Lancea carnalis dat nulla pericula mortis.

J’ay veu en vingt ou trente vieux livres manuscripts ceste belle imprecation.

Qui librum scripsit cum scutis vivere possit,
Detur pro pæna, scriptori pulchra puella.

En une honorable Abbaye sur la cheminée y a ceste sçavante inscription :

Post triduum mulier fastidit, & hospes, & imber :
Quod si plus maneat, quatriduaniss eat.

Item frere Jardon fit ce Distique,

In prato viridi monialem ludere vidi
Cum monacho leviter, illa sub, ille super.

Sur le nom de Philippus a t’on pas trouué une belle Étymologie en ces vers ?

Phi, nata fœtoris : lippus malus omnibus oris,
Phimalus & lippus : totus malus ergo Philippus.

Cestuy-cy n’est— il pas joly ?

Cane decane cane far mole molle mole,
Et si tubene vis, vado vadere vadis.

J’y pourray adjouster cestuy :

Presbyter unus erat, qui binas natas habebat.

Et combien qu’on ne puisse dire que la quantité n’y soit pas bien observee, l’on trouvera toutesfois que si, qui voudra prendre la peine de le tourner, comme fit un Conseiller de parle monde, qui fut six semaines, apres, lequel en fin trouva,

Binas natas Presbyter unus habebat erat qui.

Encor a l’on surnommé entre les Leonins, quand deux vers riment à la fin comme exfaceto.

Si secretarum seriem vis noscere rerum,
Ebrius, insipiens, pueri dicent tibi verum.

Item,

Ne ride solus, nam risus solius oris,
Parvus vel stultus reputabitur omnibus horis.

On dit encor des Vers Leonins, quand deux riment unisonement au milieu, & aux deux fins, comme,

Rusticus est verè qui turpia de muliere
Dicit, nam vere sumus omnes de muliere.

O que si les femmes m’entendoient qu’elles me donneroient un double grand mercy !

Cestuy-ty est pres le grand portail à Tours.

Martinus clamydem pro paupere dimidiavit,
Ut faceremus idem nobis exemplificavit.

De ceste façon de deux vers rimez à la fin les anciens, outre les vers Leonins, ont fait des proses rimées du tout Gothiques, estimans neantmoins que ce fussent de vers ainsi que tesmoigne Despautere in præfa, de arte versifi comme,

Languentibus in purgatorio
Qui torquentur ardore nimio,
Subveniat tua compassio.

J’ay veu ces jours passez un grand Macaronicque de cés proses, qui m’ont esté envoyees de la Cour, dont j’ay colligé ces crois couplets pour exemple,

Hé ! quid dicam de filio
Qui revenit, de studio
Sine magna scientia,
Tamen facit bonam minam,
Non loquitur ferè nunquam,
Prudens in apparentia.
Quando est apud filias
Est ficut unus Arpinas,
Adhuc videtur amplius,
Antequam plus innotescat,
Ego volo certe nubat
Nam citius est melius,
Cognosco unam divitem,
Cum qua potest facere ren
Cum suo patrocinio,
Si non potest advocari,
Dignus erit consulari
Inmagno præsepio.

Quelques-uns faisans jugement de nos Poësies Françoises & Italiennes, disent que selon les vieux Romans, elles sont descenduës de ces vers Leonins : mais aujourd’huy elles out esté tellement faites nostres par l’usage, qu’elles y ont pris une propre & naysve grace. Et combien que quelques-uns ayent voulu, depuis peu de temps en çà, reformer vostre Poësie, selon les quantitez & mesures Latines, cela est si froid que rien plus, estanc bien asseuré que telles œuvres ne vivront pas, je ne dy pas que pour plaisir, & pour donter la Romaine arrogance, nous n’en puissions faire par forme desbat, dont les reigles toutesfois (quoy que dient nos nouveaux scandeurs) sont ad libituin, juxta illud :

Ad libitum pono nomina nescio quæ.

Comme pour exemple tu as la version du vers,

Cum fueris, fælix, multos numerabis amicos,
Tempora si fuerint nubila solus eris.

Fait par l’Official Langrois, 1570.

Tant que seras opulent, amis auras par chemin assez,
Chacun s’enfuit a quand miserable feras.

Jodelle a faict ce Distique,

Phœbus, Amour, Cypris, &c. cy-dessus mis au chapitre des Vers rapportez.

Le Comte d’Alsinois a aussi faict ces suivans,

Voy derechef, ô alme Ventis, Venus, álme, rechanter
Ton los mortel par ce Poëte sacré :
Voy derechef un vers animé, vers digne de ton nom.
Vers que la Brauce reçoit, vers que la France lira :
Et fais qu’en resonnans ton los il puisse de ses vers,
Par ta benigne faveur, vaincre la force d’Amour.

Le mesme Comte saņs Comté a fait ce suyvant Phaleuce.

Encor France se veut travailler en vain,
En vain France se veut travailler encor
De chanter un Amour, dechanter un Dieu, &c.

Bonaventure des Periers Arnay le Duchois, s’en est voulu mesler en la traduction de quelques vers d’Ho race, comme aussi de nostre temps quelques-uns : mais je suis de l’opinion de Belleau, qui disoit qu’il en falloit faire pour dire, j’en ay fait, mais ce n’est mie grand cas. Sans donc s’amuser plus avant à cette façon, nous ferons tousjours nos vers François rinez : car dans rimes ils ne sçauroient estre vers. Et suis content qu’on les derive, tant qu’on voudra, des Leonins, encorque j’estime que l’invention des Leonins soit au contraire tirez de nos vers rimez, & mesme ceste occasion plusieurs les appellent versus rithmicos, & non pas Leominos,

Or ces vers Leonins ou rithmiques se font encor de çeste façon, outre les precedentes, Quand on rime trois fois en chasque vers. Comme sur certains gavaches est fait ce Distique :

O gavachi vestri stomachi sunt amphora Bacchi :
Vos eftis, Deus est testis teterrima pestis.

On surnomme encor ainsi les vers, moitié Latins & moitié François, que j’ay coustume d’appeller vers Entrelardez. Pour exemple tu auras covers icy, qui est au Refectoir des Jacobins à Beaune :

Fratres bene veneritis
Bien las aux pieds & aux genoux ;
Sititis & esuritis,
C’est la maniere d’entre nous

Seez-vous icy de par Dieu
Comedentes & bibentes.

Selon la pauvreté du lieu
Que dederunt nobis gentes.

De nos biens qu’avons amassez
Pro Deo sumite gratis
Et si vous n’en avez assez
Mementote pauperatis.

Il y a un Épitaphe entrelardé & entrecouru de nostre Maistre à Cornibus aliàs Serafinus, qui fut composé par F. P. B. de ceste façon l’an 1542. & imprimé avec ses autres Epitaphes à Paris, chez Adam Saulnier :

Dulcia confracto sileant modulamina cornus,
Tristior & trifti prodeat ore sonus,
Alta trahunt mœfta gesta suspiria mente,
Εὕκερος occubuit, morte Vocante, Petrus.
Faut-il, helas, ô Doctor optime,
Que vous perdions hisce temporibus :
Au grand besoin, Doctor egregie,
Vous nous laiffez plenos mœroribus.
Helas ! helas ! Pater à Cornibus,
Tant nous est dueil deflere funera,
Tant est amer Parisienstibus
Estre privez tua præsentia.
Impia Cornutum rapiunt sic fata Minorem,
Major ut hoc vasto rarus in orbe fores.
Magnis major erat, vita minimúsq ; Minorum.
Doctior & doctus, ah perit omne decus !
Trop cognoißons hæc nostra tempora
Estre remplis calamitatibus :
Cor nous voyons lites & iurgia.
Trop s’augmenter his nostris finibus.

Helas ! helas ! Páter à Cornibus,
Secourez-nous precibus sedulis :
Ou autrement, victi laboribus
Succomberons in rebus arduis.

Franciscana gravi proles orbata parente,
Tristior emißis questibus astra replet.
Deflet & insignis patrem virtute probatum,
Plangit, quem subito funere meta tulit.
 
Le cas va bien, gratia superis,
Vous cognoissez certa scientia
Les grands abus huiusce temporis,
Qu’un chacun fait magna licentia.
Ne voit-on pas cædes & vulnera,
Tant d’autres maux in Civitatibus,
Et qui pis est, Christi Ecclesia
Laboure fort falsis dogmatibus.
En celeri mœstos ut linquit sua morte μαθητας
Et sua profusis fletibus oririgant.
Sic fœlix miseros præcedi morte minores,
Hos ut moneat morte citante sequi.

Tant en voyons vanis erroribus
Estre aveuglez atque cupidine,
En outreplus congestis opibus
Quand nous faudra de cunctis actibus
Prendre plaisir nullo discrimine,
Que ferons nous statuto tempore
Rendre raison, illo examine,
Estre punis ignis ardoribus ?

Nos gemitus angunt, fletus, lamenta, dolores,
Et lachrymæ, luctus, cura, querela ; labor.

En procul abiectis risu, clamore, cachinno,
Plangimus occasus, optime Petre tuos.

Helas, helas ! Pater à Cornibus,
Pleurer nous faut privati magistro,
Pleurer nous faut, excussis fletibus :
Pleurer nous faut, periit relligio :
En tous estats regnat ambitio,
En vous estoit nostra fiducia,
Que pourriez juvante Domino
Nous secourir in re tam dubia.

An tuatam clarum fecerunt cornua numen ?
An pietas, mores, cum probitate decus ?
An sacra divini potius sapientia juris ?
An sudor, studium ? perpetuúsque labor ?

Las ! nous voyons mortis invidia
Qu’estes ravy ė mundi medio
Ensevely cum reverentia,
En grand honneur spectante populo.
Le corps cy-gift, in arcto tumulo :
L’esprit conjoinct choris cœlestibus,
Le monde estoit meo judicio
Indigne avoir Petrum à Cornibus.

Concava pergratas reddebant Cornua voces,
Gratus erat sanis auribus ille senus.
Gratior ille probis, probitas, generosaque virtus
Integritas juncta simplicitate fuit.
De vous pleurer fusis gemitibus
C’est temps perdu, non sunt qui nesciant
Qu’il nous faut tous naturæ legibus
Obtemperer, ecqui refugiant ?

Tant de labeurs, quos nobis præparint
Nos ennemis, jure injuria :
Helas ! belas ! tam nos præcipitant
Plaisirs mondains, caro, dæmonia,

Credere quis valeat quum diftunguntur amantes
Affligit tantùm ? mors levis ipsa foret.
Dulcia confracto sileant modulamina Cornu.
Tristior & tristi prodeat ore sonus,

Vous evitez mille discrimina
Par vostre mort ingratum fratribus,
Tant de labeurs, mille pericula,
Que nous voyons nostris temporibus :
Helas ! helas ! Pater à Cornibus,
Priez pour Dieu Deum & Angelos,
Que pour son sang, clauis, vulneribus,
Nous face tous in fine beatos.

Ad viatorem.

Disce mori quicunque legismea scripta viator,
Omnes æqua manent funera, disce mori.
Disce mori, frater, discat cum præsule clerus,
Cum juniore senex, cum sapiente rudus.

ADJONCTION
de l’Autheur.

Au commencement des Troubles plusieurs firent courir par forme de moquerie, ces vers, que l’on feignoit avoir esté trouvez en une Église, sur la tombe d’un Prestre, & neantmoins avoient esté fabriquez, comme croyent plusieurs, par Theodore de Beze, en ces mots,

Missalis missas cantabat sæpe remissas
Altas in festis semper, Deus est mihi testis,
Et pro sex alhis sic se poneba tin albis,
Quo non pro mille fecisset taliter ille :
Cantabundus erat cum morbus per latus errat,
Et cùm mors missa est contabat is, Ite miffa est :
Nunc cernens trinum, carnem nec habet neque vinum,
Ne dicat siccas, nullas quis dicere Lucas :
Sed quocunque modo Missas dicat celebrando,
Nunc precor in cunctis porat ipse momentis.

En contrechange de quoy un gaillard Catholic, qui ne veut estre nommé, fit courir ces vers, pour mettre au dessous de l’effigie d’iceluy de Beze, qui se vendoit lors publiquement avec celles de Calvin, & Luther, avec ceste inscription :

In effigiem Theodori Bezæ, ter
magni Ministri, Gallicè
tres grand Ministre.

En tibi in hac bella Theodora Beza Tabella ;
Qui cunctos inter bene dicitur esse minister :
Maluit ille mori quam non serviret Amoria,
Demessis Meßis servivit postea mensis.
Tum voto ex isto dixit se vivere Christo,
Ex his ergo ter magnis fuit ille minister.

ADJONCTION
d’autruy.

Un de mes pere grands m’a appris cestui-cy, que mon magister me donnoit en des Exemples, sans y mal penser. Flere, loqui, nere, bac Statuit deus in muliere : Hoc est, id eft, c’est à dire, en François, Filer, causer, pleurer, & braire, C’est tout ce que femme sçait faire.

Et cestui-cy quoy ?

Mensibus erratis, purißima vina libátis.
R. quibus est nullum diluat una merum,

Le grand sçauoir de nos bons peres-grands consistoit en ces vers Rimoiars, & n’estoient trouvez bons, s’ils n’estoient enrimez : comme,

Omnis mensa male ponitur absque falen
Deterius verò ponitur absque mero,
Vis fieri levis, sit tibi cæna brevis.

Lequel dernier je n’ay pas tousjours trouvé bien veritable. En voicy d’autres,

Vera quidem res est, patrem sequitur sua proles :
Et sequitur leviter filia matris iter.

Item & hoc,

Vulpes amat fraudem, lupus agnum, fæmina laudem,
Vulnus amat medicus, prebyter interitus.

Et illud.

Destruit os oris quicquid lucratur os oßis.

Mais il ne feroit jamais jour, si je voulois tout ramasser ceste vieille feraille, qui n’est mie de debit auiourd’uy, mais si est-ce que je prens plaisir d’en rire : aussi en ay-je ce bien, pour le moins,

ADJONCTION
d’autruy.

J’ay leu dans un vieil Legiste, barbare quidem à son parler, mais fort decisif, ce Quatrain mignard, troussé, veridique :

Annis mille iam peractis
Nulla fides est in pactis,
Mel in ore, verba lactis,
Fel in corde, fraus in factis.