Les Bigarrures/Chapitre 18

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Les Bigarrures et Touches du seigneur des Accords (1572)
chez Loys Du Mesnil (p. 233-242).


DES VERS
COUPPEZ

CHAP. XVIII.


AYANT parlé de ces vers Leonins, qui au milieu se riment, je parleray des vers couppez, qui se font si gentillement, que ne lisant que la moitié du vers, vous trouverez de petits vers François de quatre & six syllabes, qui se riment au milieu du vers, & le plus souvent contiennent le contraire de ce qui est exprimé au vers entier. J’en ay veu plusieurs scandaleux & seditieux : de tous lesquels j’ay choisi ce suivant, pour exemple, duquel je prie tous lecteurs de ne se point scandaliser : Car on peut voir que c’est l’esbat de quelque timide Castor Amphivie, qui voudroit bien revirer sa robbe,

Je ne veux plus — La Messe frequenter
Pour mon repos — C’est chose bien loüable
Des Huguenots — Les presches escouter
Suivre l’abus —— C’est chose miserable
Ores je voy ——— Combien est detestable
Ceste finesse —— En ce siecle mondain
Parquoy je doy — Voyant la saincte Table
Tenir la Messe —— En horreur & desdain.

(A. I. R. Pour preuve que l’on se donne encore du contentement a faire de ceste sorte de vers coupéz, je mettray icy ces suivans, qui furent faits durant le Procez de l’Université de Paris avec les Jesuites.

Soit du Pape maudit — Qui hait les Jesuites
Celuy qui en eux croit — soit mis en Paradis,
À tous les Diables soit — Qui brusle leurs escrits
Qui leur science suit — Acquiert de grands merites
En Enfer soit conduis — Qui les nomme hypocrites,
Qui pour saincts les reçoit — Ses pechez soient remis
Soit chastié du foüet — Qui ne suit leurs advis
Qui sages ne les fait — Sont ames bien conduites
Soit lié d’un licol — Qui les nomme Meurtriers
Soit pendu par le col — Qui dit qu’ils sont sorciers
Qui adhere à leurs vœux — Se sont Ames damnées
Qui les honore tous — Ô qu’il est bien instruit
Qui veut faire leur coup — Que c’est un bel esprit
Ô qu’il est malheureux — Qui ne suit leur doctrine.

Une Damoiselle nommée Charlotte, noble & vertueuse & d’un vif esprit, m’a donné la copie du Huictain qui s’ensuit : Les censures feminines duquel ne sont pas bien faites, au second, penultiesme & dernier vers,

Je n’ay aymé onc — Anne ton accointance
À te desplaire — Je quiers incessamment
Je ne veux onc — À toy prendre alliance
Ennuy te faire — Est tout mon pensement
Te donner blasme — Est mon esbatement
Je ne prie ame — À te faire service
Le diable entraine — Cil qui est ton amant
Qui t’a en haine — Dieu conserve & benisse.

C’est autre m’a esté donné par un jeune Advocat, qui. l’avoit pris en la touche de la maistresse, noire comme un charbon, & mauvaise comme un beau diable pour recompense : mais les censures feminines qui sont au milieu du vers,

Qui vous dit belle — Il ne dit verité
Il dit bien vray — Qui laide vous appelle
Vous estes telle — En fait de loyauté
Comme bien sçay — Estes la nom pareille
Tousjours auray — À vous haine mortelle
A vous fiance — N’ayrai jour de ma vie
Et aymeray — Qui vostre mal revele,
Vostre accointance — Dieu confonde & maudie.

L’on peut adjouster aux vers Couppez les subtilitez curieusement monstrueuses de Rabanus, desquelles Cardan en rapporte une en son liure des Subtilitez. Mais il est impossible, je pense, d’en voir un qui soir, en tout & par tout, parfait pour la quantité & bons sens : Comme le monstre bien Scaliger advesas Cardanum : quoy qu’il se jacte en avoir faict infinis curieux & semblables, mais je ne les ay jamais veu. Si le lecteur en trouve quelqu’un en ses œuvres, qui soit bien fait, comme j’estime qu’il ne sçauroit rien sortir que parfaict d’ya si grand personnage, il le pourra icy faire adjouster. Page:Tabourot - Les Bigarrures et Touches du seigneur des Accords - 1640.djvu/266 Scaliger, parce que Cardan n’a extrai & de la 13. figure que treize vers ; combien qu’il y en ayt trente-cinq, qui comprennent quatre croix, au lieu qu’és treize vers il n’y en a qu’une. Et quant à Scaliger, il le monstre bien en ce qu’il se jacte d’avoir trouvé une autre subtilité de Raban, qui a mis quatre A, un en chacun angle du vers.

Et neantmoins ny l’un ny l’autre n’a pas observé comme chaque vers consiste en trente cinq lettres seulement, de sorte que ces lettres se rapportent au nombre des vers : & font un quarré parfaict. : D’avantage le premier vers commence & finit par A : le dernier commence & finit par I. & celuy du milieu se commence & finit par E. Cela vrayement pour sa contrainte est admirable, & à mon jugement, inimitable. Mais ce bon Abbé de Folden, qui vesquit environ l’an huict cens quarante a bien fait plus, parce que (comme luy-mesme le declare) il a si bien proportionné ses quatre Croix esgales, qu’elles consistent chacune de 69. lettres lesquels nombres de lettres assemblez font 276. qui font neuf mois 6. jours, le vray temps que l’Église tient, selon sainct Augustin en son livre de la Trinité, que Jesus Christ nostre Sauveur, a esté porté aux ventre virginal : car sa conception est le xxv. Mars, & sa Nativité le xxv. Decembre. Aussi Raban sur l’inscription de ladite figure l’a ainsi inscrite, De diebus conceptionis Christi in utero Virginis quatuor crucibus demonstratis, hoc est 276. & ciusdem numeri significatione. Il ne faut pas donc trouver estrange, si la quantité n’est pas entierement & exactement observee ausdicts vers, encor que j’attribuë cela à l’ignorance du siecle, plustost que du bon Abbé, comme aussi s’il usurpe q ; & ú pour une lettre. Or à fin que l’on voye plus clairement quels sont les vers contenus en ce quadrangle, apres que je l’auray mis en la figure en ceste sorte, je mettray l’explication apres : de maniere que lesdits vers leus de suite sans s’amuser vont ainsi :

Arbor odore potens frondoso vertice lato,
Quasumma vere sacro vfluit ordine bertas,
Orrus ditatus & par cui nullus in orbe est
Floribus & foliis milleno germine dives.
Omnes excedens altas gravit udine sylvas,
Cum totam pie magnus vestit honorque decusque
Carpit verus honor, latus loquitur ea voto
Stans homo, livor hoc nationi denegat atri
Dæmon horrendus, remsciri laude moveri
Arbor sola tenens varios virtute colores,
Purpureo regis sub tactu roscida fulgens
Æterno es radio, stant in te nam pie vinetæ
Aides turritæ, ex hoc dudum est nonne beata
Machina & ipse Dei ara & qui usu supremæ
Lar hoc ne est & mira lucerna, hoc otin tota
Agnus hoc statuit signans quoque rite viando
Vera salus ista, quos verus fons bonitatis
Est benedictio quæ sacravit amor, pietasque,
Sancta salutis lux & vita redemptio vera
Inque domu princeps donum dat pacis in orbem.
Juraque amicitiæ hinc firmavit deposuitque ;
Ascita antiqui nisus, qua texit yems mors, cum
Illecebri lusu circa ignem noxid, enim fic
Pellax decipit ; & socordem ubi inquietate
Conspexi voto iam arridens vinxit apertis ;
Ota crux speciosa ; ô pinus pulchrior omnia
Quæ vincis nemora, cedris altior ipsis
Monstrans é numero radianti dona beata

Aventus Hiesus que intus probas otia nuta
Is tulerit dabat tisse beate cum pie venit :
Egrediens vulva huc & blando numine semet
Signavit, cœlos terrena & condere regna :
Ut dudum sancti lingua, cecinere prophetæ
Fecerit hic cella doctior, dum condidit ima
Imperium in nuneris tanto sit quo bene regi.

Or remarquez qu’en la longueur de la premiere Croix il y a un vers parfait de trentehuict lettres

Forma sacrata Crucis venerando fulget amictu.

Et au travers un autre vers, d’autant de lettre où la premiere de natio est breve,

Magnus vestit honor latus loquor hoc nationi.

Es lettres de la longueur de la Croix basse est un vers d’autant de lettres que les deux susdits,

Corporis ergo sacri constructio in arte beata

Et en la ligne qui traverse, cest autre de mesme curiosité,

Enumero radians qua intus probat lisse beate.

À la Croix mise à dextre, sont ainsi que dessus, ces deux vers,

Nunc canam at exorans lesum abdere & uda piare Vera salus ista benedictio sancta salutis.

En la quatriesme Croix à gauche, sont aussi ces deux,

Fons bonit atis, amor, pietasques redemptio veram

Fin de l’Adjonction.

De ceste façon laborieuse l’autheur a composé 30. figures aussi penibles, mais il n’y a aucun arbre, comme dit Cardan : Je feroy volontiers imprimer l’œuvre entier en un volume, avec Christus Crucifixus, n’agueres mis en lumiere, dont j’ay fait mention és vers Lettrisez, & les Centons qui se trouvent à present. Ce que je croy seroit bien recueilly par les curieux.

Frere Nicolas Percher de son vivant bon & sçavant Religieux de sainct Benigne de Dijon, fit ces vers :

A summum sadaï sive cunctipotentem dominum,
Qui est Acrostiche.

Posco secla quam Æqua
mihi sit mens Recta Se
qui dones Corpus &
acta regens Hostes hinc
tollas Esto mihi fa-
tor triste fugans totu
comprendere laeta &

Sa-
dai

sani rogo sēsus prae-
bens bene tuta mala
cuncta repellas coeli
moderator velut es sa-
tor atque cor diriga
ad alta.

Aux Croix sainct André vous avez deux vers Rotrogrades bien faicts, qui en font quatre ingenieux, scaoir.

Pasco mihi dones sadaï cœli sator alta
Alta sator cæli sadaï dones mihi posco.
Leta togo præbens sadaï tolltas mihi triste,
Trifte mibi tollas sadaï præbens rogolæta.

J’ay trouvé ce suivant François, en des vieilles Heures, où il y a une Croix Bourguignonne à mon advis tres-bien faicte :

D U L  ustre  supernél  Princesse  reves T U e
Mer C I S je te requiers pour péché qui M E tue
DechAsse d’entour moy tous ces dards MOR tiferes
Brise & M I ne  les  tous  en  ostant  mES miseres
Car le s C A y seurement que tu es T O ute pleine
De douceur & D E paixe & la Mer & fontaine

Où tous pauvres humains pu I sent l’eau favorable
Pour laver les maux g R O S D U M onde miserable
Or donc Royne des cieux, ✠ des pecheurs l’asseurance,
Je te prie qu’a ma M O R T A yes la souvenance
De ces miens pe T I S mots en V E R s ton fils & Pere
Fais tant qu’aVecques luy ma N A N S en heur prospere
Au thros N E haut soyons en cele S T E Lumiere
Noz espRITs tous contens comme en sçais LA maniere
Enb H O R te  donc  celuy  qui  tant  te   D E C O ra
d’Abolir les pechez que mon ame encou R A.

Au milieu se lisent ces vers entrelassez en croix Sainct André, que les heraux & poursuivans d’armes appellent, Sauteur ou Sautueil.

Dulcis amica Dei rosa vernans stella decora,
Tu memor esto mei dum mortis veneris hora.

L’on peut adjouster à ces vers Couppez ces vers Accordans, qui sont de bonne grace.

Et canis
Et lupus

in sylvis


venatur
nutritur

& omnia

servat
vastat

Qui se peut ainsi rendre François.

Le chien
Le loup

au bois

va chasser
se nourrit

tout

gardant
perdant

Et celuy suyvant selon mon advis a tres bonne graces

Quanditrimulpa
osguis   russticedine  vit
Hsanmichridulla

Quos angnis dirus tristi mulcedine pavit,
Hos sanguis mirus Christi dulcedine lavit.