Les Bijoux fatals/Chapitre II

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L’Édition populaire (p. 9-12).

II.


Baptiste n’avait pas tort de s’alarmer. À cette époque, en effet, Paris était le théâtre des crimes les plus audacieux, auxquels des imaginations diaboliques se plaisaient à donner un véritable caractère de terreur.

On avait arrêté ce célèbre empoisonneur italien nommé Elixi qui était parvenu à composer une substance vénéneuse, sans odeur et sans goût, provoquant une mort lente, ne laissant aucune trace dans le corps humain et déjouant tout l’art et toute la science des médecins qui attribuaient la mort à une cause naturelle. Dans sa prison de la Bastille, Elixi avait trouvé un élève dans un autre prisonnier, le capitaine Gaudin de Sainte-Croix. Celui-ci, au sortir de la Bastille, entra en relations avec la marquise de Brinvilliers : il la poussa peu à peu dans la voie du crime.

Les poisons préparés par Sainte-Croix étaient si subtils que quiconque les respirait était frappé de mort. Sainte-Croix en faisant ses préparations devait se couvrir le visage d’un masque de verre ; un jour son masque se détacha, il respira la poussière du poison et tomba raide mort. Quand on fit l’inventaire de son mobilier on retrouva des pièces qui attestèrent la culpabilité de sa complice, la marquise de Brinvilliers. Celle-ci fut arrêtée, condamnée à mort et brûlée vive.

Peu de temps après, une autre empoisonneuse, La Voisin, fut arrêtée par le lieutenant de la maréchaussée Desgrais. Elle fut envoyée devant la « Chambre ardente », instituée spécialement pour la recherche de ces crimes mystérieux et présidée par La Reynie. La Voisin avoua tout et la Chambre ardente la condamna aussi à mort. Bientôt de hauts personnages, parmi lesquels se trouvaient des ducs, des duchesses et un maréchal du royaume, furent soupçonnés d’avoir eu des rapports avec elle et poursuivis. La Reynie se montra d’une sévérité qui égalait la cruauté et peu s’en fallut que ducs et duchesses n’eussent le sort des deux suppliciées.

À peine l’affaire des poisons fut-elle terminée que Paris fut affolé par une autre terreur. On racontait que toutes les personnes qui achetaient des bijoux s’exposaient à être assassinées. Une mystérieuse bande de voleurs semblait avoir pris à tâche de les dévaliser et ne reculait devant aucune audace. La police ne parvenait pas à mettre la main sur ces bandits. Fait étrange à noter : les victimes que l’on trouvait chaque matin dans les rues ou dans les maisons avaient toutes la même blessure mortelle : un coup de poignard dans le cœur.

La Reynie avait mis tout en œuvre pour découvrir les coupables ; mais en dépit des sentinelles et des patrouilles, la trace des assassins demeurait introuvable. Aussi ne sortait-on plus qu’armé jusqu’aux dents.

Ce qu’il y avait aussi d’incompréhensible dans tous ces crimes, c’est qu’on ne retrouvait pas le moindre indice des objets volés. Les malfaiteurs devaient être exactement renseignés sur les allées et venues de la police, puisque chaque fois qu’un surveillait un quartier, il ne s’y passait rien, alors que sur tous les autres points les vols et les assassinats redoublaient.