Les Bijoux fatals/Chapitre XII

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L’Édition populaire (p. 76-78).

XII.


Mlle de Scudéri vécut plus d’un mois dans ses perplexités. Un jour Mme de Maintenon la fit mander en lui annonçant que le roi désirait la voir ; elle comprit que le moment décisif était arrivé et que le sort de Brusson allait se décider. Elle partit en recommandant à Madelon de prier avec ferveur la Vierge et tous les saints.

Mlle de Scudéri fut bien surprise quand le roi, au lieu de lui parler d’Olivier, parut avoir oublié complètement cette affaire. La conversation enjouée au lieu d’être sérieuse comme elle s’y attendait, roula sur des sujets frivoles. Un moment Bontems, le valet de chambre de confiance de Louis XIV, entra et parla au roi si bas, que personne ne l’entendit, puis le valet de chambre se retira. Mlle de Scudéri tremblait de tous ses membres. Le roi se leva, s’avança vers elle et lui dit d’un air radieux :

— Je vous félicite, mademoiselle, votre protégé Olivier Brusson est libre.

Des larmes jaillirent des yeux de la vieille demoiselle ; elle voulut parler et en fut incapable ; elle voulut se jeter aux pieds du roi, mais Louis XIV la retint.

Il y eut un moment de silence, et lorsque Mlle de Scudéri parvint à trouver des paroles pour remercier le roi, celui-ci l’interrompit en disant qu’Olivier et Madelon devaient être impatients de la serrer dans leurs bras.

— Bontems, dit le roi en terminant, doit vous remettre mille louis, mon cadeau de noce à la petite ; qu’elle épouse Brusson qui ne mérite peut-être pas ce bonheur, mais qu’aussitôt après, il quitte Paris ; c’est notre volonté.

À peine Mlle de Scudéri fut-elle rentrée chez elle, que La Martinière accourut à sa rencontre.

Derrière la femme de chambre venait Baptiste, tous deux étaient rayonnants :

— Il est ici ! s’écrièrent-ils. Il est libre.

Deux minutes après, Olivier et Madelon étaient aux genoux de Mlle de Scudéri.

— Ah ! s’écria Madelon, je savais bien que vous le sauveriez.

— J’ai foi en vous, ma mère, dit Olivier ; j’étais sûr que vous ne m’abandonneriez pas.

Et tous deux baisèrent les mains de la respectable dame et les inondèrent de larmes brûlantes.

Le mariage eut lieu quelques jours après. Brusson partit pour Genève avec sa jeune femme. Grâce à la dot de Madelon et à sa propre habileté dans sa profession, il fit fortune et mena une vie heureuse.



FIN