Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre I, Partie I/Chapitre CCLXXIV

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Texte établi par J. A. C. Buchon (Ip. 227-228).
Livre I. — Partie I. [1346]

CHAPITRE CCLXXIV.


Comment messire Godefroy de Harecourt déconfit ceux d’Amiens ; et comment le roi d’Angleterre entra au pays de Beauvoisin.


Ainsi que le roi d’Angleterre chevauchoit[1] et qu’il alloit, son ost traînant, messire Godefroy de Harecourt chevauchoit d’autre part d’un côté, et faisoit l’avant-garde atout cinq cents hommes et douze cents archers. Si encontra le dit messire Godefroy d’aventure grand’foison de bourgeois d’Amiens, à cheval et à pied, et en grand arroy, qui s’en alloient au mandement du roi Philippe vers Paris. Si furent assaillis et combattus vîtement de lui et de sa route ; et ceux se défendirent assez vaillamment, car ils étoient grand’plenté de bonnes gens bien armés et bien ordonnés, et avoient quatre chevaliers du pays d’Amiénois à capitaines. Si dura cette bataille assez longuement, et en y eut de première venue plusieurs rués jus d’un côté et d’autre : mais finablement les Anglois obtinrent la place ; et furent les dits bourgeois déconfits et presque tous morts et pris ; et conquirent les Anglois tout leur charroy et leur harnois où il avoit grand’foison de bonnes choses ; car ils alloient â ce mandement devers le roi moult étoffément, pourtant qu’ils n’avoient été de grand temps hors de leur cité. Si en y eut bien morts sur la place douze cents. Et retourna le dit messire Godefroy sur le vespre devers le gros ost du roi, et lui recorda son aventure, dont il fut moult lie, quand il entendit que la besogne avoit été pour ses gens[2]. Si chevaucha le roi avant et entra au pays de Beauvoisin ardant et exillant le plat pays, ainsi qu’il avoit fait en Normandie ; et chevaucha tant en telle manière qu’il s’en vint loger en une moult belle et riche abbaye que on appelle Saint-Lucien, et siéd assez près de la cité de Beauvais : si y geut le roi une nuit.

Lendemain, sitôt qu’il s’en fut parti, il regarda derrière lui, et vit que l’abbaye étoit toute enflammée : de ce fut-il moult courroucé, et s’arrêta sur les champs ; et dit que ceux qui avoient fait cet outrage, outre sa défense, le comparroient chèrement ; car le roi avoit défendu, sur la hart, que nul ne violât église, ni boutât feu en abbaye, ni en moûtier. Si en fit prendre vingt de ceux qui le feu y avoient bouté, et les fit tantôt et sans délai pendre, afin que les autres y prissent exemple.

  1. Il partit de Poissy, pour s’acheminer vers la Picardie, le 16 août, lendemain de l’Assomption.
  2. Les autres historiens racontent avec beaucoup plus de détails les ravages que fit le roi d’Angleterre dans les environs de Paris, et les efforts de Philippe de Valois pour l’engager à combattre.