Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre I, Partie I/Chapitre CCLXXXIII

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Texte établi par J. A. C. Buchon (Ip. 233-234).
Livre I. — Partie I. [1346]

CHAPITRE CCLXXXIII.


Comment le roi de France envoya ses maréchaux pour savoir le convenant des Anglois ; et comment il donna à souper à tous les seigneurs qui avecques lui étoient ; et leur pria qu’ils fussent amis ensemble.


Le venredi[1] tout le jour se tint le roi de France dedans la bonne ville d’Abbeville, attendant ses gens qui toudis lui venoient de tous côtés ; et faisoit aussi les aucuns passer outre la dite ville et traire aux champs, pour être plus appareillés lendemain ; car c’étoit son intention d’issir hors, et combattre ses ennemis, comment qu’il fut. Et envoya le dit roi ce venredi ses maréchaux, le sire de Saint-Venant et messire Charles de Montmorency, hors d’Abbeville, découvrir sur le pays, pour apprendre et savoir la vérité des Anglois. Si rapportèrent les dessus dits au roi, à heure de vespres, que les Anglois étoient logés sur les champs, assez près de Crécy en Ponthieu, et montroient, selon leur ordonnance et leur convenant, qu’ils attendoient là leurs ennemis. De ce rapport fut le roi de France moult lie, et dit que, s’il plaisoit à Dieu, lendemain ils seroient combattus. Si pria le dit roi au souper, ce venredi, de lez li tous les hauts princes qui adonc étoient dedans Abbeville ; le roi de Behaigne premièrement, le comte d’Alençon son frère, le comte de Blois son neveu, le comte de Flandre, le duc de Lorraine, le comte d’Aucerre, le comte de Sancerre, le comte de Harecourt, messire Jean de Hainaut et foison d’autres ; et fut ce soir en grand’récréation et en grand parlement d’armes, et pria après souper à tous les seigneurs qu’ils fussent l’un à l’autre amis et courtois, sans envie, sans haine et sans orgueil : et chacun lui enconvenança. Encore attendoit le dit roi le comte de Savoie et messire Louis de Savoie son frère, qui devoient venir à bien mille lances de Savoyens et du Dauphiné ; car ainsi étoient eux mandés et retenus et payés de leurs gages à Troyes en Champagne, pour trois mois. Or retournerons-nous au roi d’Angleterre, et vous conterons une partie de son convenant.

  1. Ce vendredi fut le 25 août, jour de la fête de saint Louis.