Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre I, Partie I/Chapitre CCXLIV

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Texte établi par J. A. C. Buchon (Ip. 202-203).
Livre I. — Partie I. [1345]

CHAPITRE CCXLIV.


Comment le comte Derby prit plusieurs châteaux ; et puis assiégea la cité d’Angoulême ; et se composèrent ceux de la cité à eux rendre dedans un mois s’ils n’avoient secours.


Quand le comte Derby eut à sa volonté Ville-Franche, il chevaucha vers Miremont en approchant Bordeaux ; car oncques ses coureurs pour cette fois ne passèrent point outre le port Sainte-Marie[1]. Si fut trois jours devant Miremont. Au quatrième il se rendit ; et le donna le comte Derby à un sien écuyer qui s’appeloit Jean de Bristo. En après ses gens prirent une petite ville fermée, sur la Garonne, qu’on appelle Thonneins, et après le fort château de Damassen[2] : si le garnit et rafraîchit bien de gens d’armes et d’archers, et puis chevaucha outre devers la cité d’Angoulême. Quand il fut venu devant, il l’assiégea de tous points et dit qu’il ne s’en partiroit, si l’auroit à sa volonté. Ceux de la cité d’Angoulême ne furent mie bien assurs quand ils se virent assiégés du comte Derby, et n’eurent mie conseil d’eux tenir trop longuement ; car ils ne véoient nul secours apparent de nul côté.

Si se composèrent, parmi tant qu’ils envoyèrent à Bordeaux vingt quatre des plus riches de leur cité en otage, sur certain traité qu’ils demeureroient en souffrance de paix un mois ; et si dedans ce mois le roi de France envoyoit au pays homme si fort qui pût tenir les champs contre le comte Derby, ils r’auroient leurs otages, et seroient quittes et absous de leur traité ; et si ce n’avoient, ils se mettroient en l’obéissance du roi d’Angleterre. Ainsi demeura la cité d’Angoulême en paix, et passa le comte Derby outre, et vint devant Blayes, et l’assiégea de tous points. Dedans étoient gardiens et capitaines deux chevaliers de Poitou, dont on appeloit l’un messire Guichard d’Angle, jeune chevalier pour le temps de lors et appert durement, et l’autre messire Guillaume de Rochechouart. Cils se tinrent franchement et richement, et dirent qu’ils ne se rendroient à homme. Entrementes que on séoit devant Blayes, chevauchèrent les Anglois devant Mortaingne en Poitou, dont messire Boucicaut étoit capitaine pour le temps de lors ; et y eut là un très grand assaut. Mais ils n’y firent rien : ainçois y laissèrent-ils foison des leurs morts et blessés. Si s’en retournèrent et furent devant Mirabel et devant Ausnay, et puis revinrent au siége de Blayes, où presque tous les jours il y avoit aucune appertise d’armes.

  1. Petite ville d’Agénois, sur la rive de la Garonne.
  2. Damasan, petite ville du Bazadois sur les confins de l’Agénois.