Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre I, Partie I/Chapitre CI

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Livre I. — Partie I. [1340]

CHAPITRE CI.


Comment le comte de Hainaut assembla son parlement en la ville de Mons et comment il envoya défier le roi de France.


Sitôt que le comte de Hainaut vit son oncle venu, il vint contre li et lui dit : « Bel oncle, votre guerre aux François est grandement embellie. » — « Sire, ce répondit le sire de Beaumont, Dieu en soit loué ! De votre ennui et dommage serois-je tout courroucé ; mais ceci me vient assez à plaisance ; or avez-vous ceci de l’amour et du service des François que vous avez tout temps portés. Or nous faut faire une chevauchée sur France ; regardez de quel côté. » Dit le comte : « Vous dites voir, et si sera bien brièvement. »

Si se tinrent depuis, ne sais quans jours, à Valenciennes ; et quand le jour du parlement, qui étoit assigné à Mons, fut venu, ils y furent : là fut tout le conseil du pays et aussi de Hollande et de Zélande. À ce parlement, qui fut en la ville de Mons en Hainaut, eut plusieurs paroles proposées et remontrées ; et vouloient les aucuns des barons du pays que on envoyât suffisans hommes devers le roi de France, à savoir si il avoit accordé ni consenti à ardoir en Hainaut, et envoyé les soudoyers de Cambrésis en la terre du comte, ni à quels titres cils l’avoient fait, pourtant qu’on n’avoit point défié le comte ni le pays. Et les autres chevaliers qui proposoient à l’encontre vouloient tout le contraire, mais que on se contrevengeât en telle manière comme les François avoient encommencé.

Entre ces paroles des uns aux autres eut plusieurs détris, estrifs et débats : mais finalement il fut regardé, tout considéré et imaginé, que le comte de Hainaut et le pays ne pouvoient nullement issir de cette besogne, sans faire guerre au royaume de France, tant pour l’arsure de la terre de Chimay comme pour celle de Haspre. Si fut là ordonné que on défieroit le roi de France, et puis entreroit-on au royaume à effort. Et de porter ces défiances fut prié et chargé l’abbé de Crespy, qui pour le temps s’appeloit Thibaut[1]. Si furent les lettres de défiance écrites et scellées du comte et de tous les barons et chevaliers du pays. En après le dit comte remercia très grandement tous ses hommes pour la bonne volonté dont il les vit ; car ils lui promirent confort et service en tous états.

Je n’ai que faire de demener cette matière trop longuement. L’abbé de Crespy se partit, et vint en France apporter au roi Philippe les défiances, qui n’en fit pas trop grand compte ; et dit que son neveu était un fol outrageux, et qu’il marchandoit bien de faire ardre tout son pays. L’abbé retourna arrière devers le comte et son conseil ; il leur conta comment il avoit exploité, et les réponses que le roi en avoit faites. Assez tôt après, le comte se pourvéy de gens d’armes, et manda tous chevaliers et écuyers parmi son pays, et aussi en Brabant et Flandre ; et fit tant qu’il eut dix mille armures de fer de bonne étoffe, tous à cheval. Si se partirent de Mons en Hainaut, et de là environ, et chevauchèrent vers la terre de Chimay : car l’intention du comte et de son oncle le seigneur de Beaumont étoit telle qu’ils iroient ardoir et essilier la terre du seigneur de Vervins, et aussi Aubenton en Thiérasche.

  1. Thibaud Gignos.