Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre I, Partie I/Chapitre CLXI

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Livre I. — Partie I. [1342]

CHAPITRE CLXI.


Comment le roi d’Escosse prit la cité de Duremmes et fut toute arse, et hommes et femmes et petits enfans tous mis à mort.


Quand le roi David et son conseil virent que le demeurer là endroit ne leur pouvoit porter point de profit ni d’honneur, ils se partirent de là et entrèrent au pays de l’évêché de Duremmes : si l’ardirent et gâtèrent tout. Puis se trairent devant la cité de Duremmes et l’assiégèrent ; et y firent plusieurs beaux assauts, comme gens forcenés, pourtant qu’ils avoient perdu le comte de Moret ; et ils savoient bien qu’il avoit en la cité grand avoir assemblé ; car tout le pays d’entour y étoit affui. Si se pénoient d’assaillir chacun jour plus aigrement ; et faisoit le dit roi d’Escosse faire instrumens et engins pour venir assaillir jusques aux murs. Quand ils furent départis de devant le Neuf-Châtel, messire Jean de Neufville, châtelain pour le temps et souverain de Neuf-Châtel, se partit de nuit, monté sur fleur de coursier, et éloigna les Escots ; car il savoit les adresses et les refuites du pays, pour ce qu’il en étoit ; et fit tant que dedans cinq jours il vint à Chartesée[1], où le roi anglois se tenoit adonc, et lui conta et montra comment le roi d’Escosse, à grand’puissance, étoit entré en son pays, et ardoit et exilloit tout devant lui, et l’a voit laissé devant la cité de Duremmes.

De ces nouvelles fut le roi anglois tout courroucé. Si mit tantôt messages en œuvre, et les envoya partout ; et manda à toutes ses gens, chevaliers et écuyers, et autres gens dont il se pouvoit aider, dessus l’âge de quinze ans et par-dessous l’âge de soixante ans, que nul ne s’excusât, ains vinssent, ses lettres vues et son mandement ouï, tantôt devers lui sur les marches du Northonbrelande, pour le aider à défendre son royaume que les Escots détruisoient.

Adonc s’avancèrent comtes, barons, chevaliers et écuyers et communes des bonnes villes, et se hâtèrent durement pour obéir au mandement du roi leur seigneur ; et se mirent à voie de grande volonté par devers Bervich ; et mêmement le roi se partit tout premièrement et n’attendit nullui, tant avoit grand’hâte : mais toujours lui croissoient gens de tous côtés. Entrementes que ce roi se traioit vers la cité de Bervich, et que chacun le suivoit qui mieux pouvoit, le roi d’Escosse fit si durement assaillir la cité de Duremmes, par instrumens et engins qu’il avoit faits, que ceux de la cité ne la purent garantir ni défendre qu’elle ne fût prise par force, et toute robée et arse, et toutes manières de gens mis à mort sans mercy. Hommes et femmes, prêtres et moines, et chanoines, et petits enfans, qui étoient fuis à la grand’église, furent tous ars et péris dedans l’église ; car le feu y fut bouté. De quoi ce fut horrible pitié ; car en la cité de Duremmes ne demeura adonc ni homme, ni femme, ni petits enfans, maison ni église, que tous ne fussent mis à destruction : dont ce fut grande pitié et cruelle forcennerie et est quand on détruit ainsi sainte chrétienté et les églises où Dieu est servi et honoré.

  1. Chertsey, dans le comté de Surrey, près de la Tamise, à dix ou douze lieues au-dessus de Londres.