Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre I, Partie I/Chapitre CLXIV

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Texte établi par J. A. C. Buchon (Ip. 144-145).
Livre I. — Partie I. [1342]

CHAPITRE CLXIV.


Comment le roi d’Escosse, quand il sçut la venue du roi d’Angleterre, se partit de devant Salebrin et s’en retourna en Escosse.


Le roi anglois se partit lendemain de la cité de Bervich moult liement, pour les nouvelles que messire Guillaume lui avoit apportées ; et avoit bien avec lui six mille armures de fer, dix mille archers et bien quatre-vingt mille hommes de pied, qui tous le suivoient ; et toujours lui venoient gens. Quand les barons d’Escosse et les maîtres du conseil du roi sçurent que le dit messire Guillaume de Montagu avoit ainsi passé parmi leur ost, et qu’il s’en alloit quérir secours au roi anglois, et savoient bien que le roi anglois étoit à grand’gent, et le tenoient de si grand courage et de si gentil qu’il ne laisseroit aucunement qu’il ne vînt sur eux pour secourir la dame et ceux du châtel, ils parlèrent ensemble, entrementes que le roi faisoit souvent et ardemment assaillir ; et virent bien que le roi faisoit ses gens navrer et martirer sans raison ; et véoient bien que le roi anglois viendroit bien combattre à eux, ainçois que le roi pût avoir conquis ce châtel, ainsi qu’il cuidoit. Si parlèrent tous ensemble au roi David d’un accord ; et lui dirent que demeurer là n’étoit point son profit, ni son honneur, car il leur étoit moult honorablement avenu de leur emprise, et avoient fait grand dépit aux Anglois, quand ils avoient geu en leur pays par douze jours, et ars et exillié tout autour, et pris par force la cité de Duremmes, et mis tout à grand’destruction. Si que, tout considéré, c’étoit bon qu’il se partit et se retrait vers son royaume, et y menassent à sauveté ce que conquis avoient ; et que une autre fois il retourneroit en Angleterre quand il lui plairoit. Le roi, qui ne voulut pas issir hors du conseil de ses hommes, s’y accorda, combien qu’il le fit moult ennuis ; car volontiers eût attendu à bataille le roi d’Angleterre, si on ne lui eût conseillé le contraire. Toutes fois il se délogea le matin, et tout son ost aussi ; et s’en allèrent les dits Escots droit pardevers la grande forêt de Gédours, où les sauvages Escots se tiennent, tout bellement à leur aise ; car ils vouloient savoir que le roi anglois feroit en avant, ou s’il se retrairoit arrière, ou s’il iroit avant et trairoit en leur pays.