Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre I, Partie I/Chapitre CLXXXIX

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Livre I. — Partie I. [1342]

CHAPITRE CLXXXIX.


Comment le sire de Landernaux et le châtelain de Guinganp furent pris à l’assaut de Hainebon, qui puis se tournèrent de la partie messire Charles de Blois.


Encore se combattirent les Anglois et les Bretons qui étoient devant les barrières et ensonnioient de fait avisé ceux de l’ost, tant que les deux chevaliers fussent rescous, qui jà l’étoient, quand les nouvelles en vinrent aux seigneurs de France qui se tenoient à l’escarmouche, et leur fut dit : « Seigneurs, seigneurs, vous gardez mal vos prisonniers ; jà les ont rescous ceux de Hainebon et remis en leur forteresse. »

Quand messire Louis d’Espaigne, qui là étoit à l’assaut, entendit ce, si fut durement courroucé et se tint ainsi que pour déçu, et demanda quel part les Anglois et les Bretons étoient qui rescous les avoient. On lui répondit qu’ils étoient jà presque retraits en leur forteresse et en leur garnison. Dont se retrait messire Louis d’Espagne vers les logis tout mautalentif, et laissa la bataille, si comme par ennui. Aussi se commencèrent à retraire toutes manières de gens. En ce retrait furent pris deux chevaliers bretons de la partie de la comtesse, qui trop s’avançèrent ; ce fut le sire de Landernaux et le châtelain de Guinganp, dont messire Charles de Blois eut grand’joie. Depuis que ceux de Hainebon furent retraits, et ceux de l’ost aussi, menèrent grand’joie les Anglois et grand revel de leurs deux chevaliers qu’ils avoient, et en louèrent grandement messire Gautier de Mauny, et dirent bien que par son sens et sa hardie entreprise ils avoient été rescous. Ainsi se portèrent eux d’une part et d’autre. Celle même nuit furent en la tente messire Charles de Blois tant prêchés et si bien les deux chevaliers bretons prisonniers, qu’ils se tournèrent de la partie messire Charles de Blois, et lui firent féauté et hommage, et relenquirent la comtesse, qui maint bien leur avoit fait et plusieurs dons donnés : de quoi on parla moult et murmura sur leur affaire dedans la ville de Hainebon.

Trois jours après cette avenue, tous ces seigneurs de France qui là étoient devant Hainebon s’assemblèrent devant la tente messire Charles de Blois pour avoir conseil qu’ils feroient ; car ils véoient bien que la ville et le châtel de Hainebon étoient si forts qu’ils n’étoient mie à gagner, tant avoit dedans bonnes gens d’armes qui moult petit les doutoient, ainsi qu’il étoit apparu ; et leur venoient tous les jours pourvéances et vitailles par la mer. D’autre part, le pays d’entour étoit si gâté qu’ils ne savoient mais où aller fourrer ; et si leur étoit l’hiver prochain, pourquoi ils ne pouvoient là longuement demeurer : si que, tous ces points considérés, ils s’accordèrent qu’ils se partiroient de là, et conseillèrent en bonne foi à messire Charles de Blois qu’il mît par toutes les cités, les bonnes villes et les forteresses qu’il avoit conquises, bonnes garnisons et fortes, et si vaillans capitaines qu’il se pût fier en leur garde ; par quoi ses ennemis ne les pussent reconquérir ; et aussi, si aucun vaillant homme se vouloit entremettre de prendre et donner trêve jusques à la Pentecôte, qu’il s’y accordât légèrement.