Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre I, Partie I/Chapitre LXXXIV

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Livre I. — Partie I. [1339]

CHAPITRE LXXXIV.


Comment le roi d’Angleterre défit son siége de Cambray et s’en vint vers le mont Saint-Martin pour entrer au royaume de France.


Entrementes que le roi d’Angleterre séoit devant la cité de Cambray à bien quarante mille hommes, et que moult la contraignoit d’assauts et de plusieurs faits d’armes, faisoit le roi Philippe son mandement à Péronne en Vermandois et là environ ; car il avoit intention de chevaucher contre les Anglois qu’il sentoit moult efforcément en Cambrésis. Dont les nouvelles en vinrent en l’ost d’Angleterre, que le roi de France faisoit un grand amas des nobles de son royaume. Si regarda le roi anglois et considéra plusieurs choses, et se conseilla principalement à ceux de son pays et à messire Robert d’Artois, en qui il avoit moult grand’fiance ; et leur demanda lequel étoit meilleur à faire, ou d’entrer au royaume de France et venir contre le roi Philippe son adversaire, ou de lui tenir devant Cambray, tant que par force il l’eût conquise. Les seigneurs d’Angleterre et son étroit conseil imaginèrent plusieurs choses, et regardèrent que la cité de Cambray étoit malement forte et bien pourvue de gens d’armes et d’artillerie, et aussi de tous vivres, selon leur espoir, et que longue chose seroit de là tant séjourner et être que ils l’eussent conquise ; duquel conquêt il n’étoit pas encore bien certain ; et si approchoit l’hiver, et si ils n’avoient encore fait nul fait d’armes, ni apparent n’étoit du faire, et séjournoient là à grands frais. Si lui conseillèrent que, tout considéré, il délogeât et chevauchât avant au royaume ; là trouveroient-ils largement à vivre et mieux à fourager.

Ce conseil fut cru et tenu : donc s’ordonnèrent tous les seigneurs à déloger ; et firent trousser tentes et trez et toutes manières de harnois, et se délogèrent tout communément ; et se mirent à voie, et chevauchèrent devers le mont Saint-Martin[1], qui à ce côté est l’entrée de France. Et chevauchoient ordonnément et par connétablies, chacun sire entre ses gens ; et étoient maréchaux de l’ost d’Angleterre le comte de Northantonne et de Colchestre et le comte de Suffole, et connétable d’Angleterre le comte de Warvich ; et passèrent assez près du mont Saint-Martin les Anglois, les Allemands et les Brabançons, la rivière d’Escaut, tout à leur aise, car elle n’est mie là endroit trop large.

  1. Ancienne abbaye de Prémontrés du diocèse de Cambray, sur les frontières de la Picardie.