Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre I, Partie I/Chapitre XVI

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Livre I. — Partie I. [1326]

CHAPITRE XVI.


Comment messire Jean de Hainaut fit sa semonce de gens d’armes pour la roine d’Angleterre remener en son royaume.


Ainsi Madame d’Angleterre, la roine Isabelle de France, trouva reconfort en monseigneur Jean de Hainaut, quand tout le monde lui faillit ; et demeura à Valenciennes par l’espace de huit jours de-lez le bon comte et madame la comtesse Jeanne de Valois ; et endementres fit appareiller son œuvre et ses besognes. Et le dit messire Jean de Hainaut fit écrire lettres moult affectueusement aux chevaliers et aux compagnons de qui il se fioit le plus en Hainaut, en Brabant, et en Hasbain[1], et leur prioit si acertes qu’il pouvoit à chacun, sur toutes amitiés, qu’ils vinssent avec lui en cette entreprise. Si en y eut grand plenté d’un pays et d’autres qui y allèrent pour l’amour de lui, et grand plentë qui n’y allèrent mie combien qu’ils en fussent priés. Et mêmement le dit messire Jean de Hainaut en fut durement repris de son propre frère et de son propre conseil, pourtant qu’il leur sembloit que l’emprise étoit si haute et si périlleuse, selon le discord et les grands haines qui étoient adonc entre les hauts barons et les communes d’Angleterre, et selon ce que les Anglois sont communément envieux sur toutes étranges gens, quand ils sont à leur dessus, espécialement quand ils sont en leur pays, que chacun avoit peur et doutance que le dit messire Jean de Hainaut, ni nul de ses compagnons, pût jamais revenir. Mais, quoiqu’on lui blamât ni déconseillât, le gentil chevalier ne s’en voulut oncques delaier ; ainçois dit : « Qu’il n’avoit qu’une mort à souffrir, qui étoit en la volonté Notre Seigneur, mais il avoit promis à celle gentille dame de la conduire jusques en son royaume ; si ne lui en fauldroit pour mourir ; et aussi cher avoit-il prendre la mort avec celle noble dame, qui déchassée et déboutée étoit hors de son pays, si mourir y devoit, comme autre part ; car tous chevaliers doivent aider à leur loyal pouvoir toutes dames et pucelles déchassées et déconfortées, à leur besoin, mêmement quand ils en sont requis. »

  1. Cette province, connue sous le nom de Hasbanie et plus récemment d’Hesbaie, comprenait le pays situé sur la rive gauche de la Meuse et borné par le Démer, la Dyle et la Mehaigne.