Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre I, Partie I/Chapitre XXVI

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Livre I. — Partie I. [1326]

CHAPITRE XXVI.


Comment il fut ordonné en plein conseil que le roi qui étoit prisonnier n’étoit point digne de porter la couronne.


Après ce que le plus des compagnons de Hainaut s’en furent partis et le sire de Beaumont demeuré, la roine d’Angleterre donna congé aux gens de son pays que chacun rallât en sa maison et en leurs besognes, exceptés aucuns barons et chevaliers qu’elle détint pour la conseiller ; et leur commanda que tous vinssent à Londres le jour de Noël[1], à une grand’cour qu’elle vouloit tenir ; et tous ceux qui se partirent lui enconvenancèrent, et encore plusieurs autres à qui la fête fut mandée.

Quand ce vint à Noël elle tint une grand’cour, ainsi qu’elle l’avoit dît, et y vinrent tous les comtes, barons, chevaliers et nobles d’Angleterre, les prélats et conseil des bonnes villes. À cette fête et à cette assemblée fut ordonné, pourtant que le pays ne pouvoit longuement demeurer sans seigneur, que on mettroit en écrit tous les faits et les œuvres que le roi, qui en prison étoit, avoit faits par mauvais conseil, et tous ses usages et ses mauvais maintiens, et comment il avoit gouverné son pays, par quoi on le pût lire en plein palais devant tout le peuple, et que les sages du pays pussent sur ce prendre bon avis et accord comment et par qui le pays seroit gouverné de là en avant. Ainsi que ordonné fut, il fut fait ; et quand tous les cas et les faits que le roi avoit faits et consenti à faire, et tout son maintien et son usage, furent lus et bien entendus, les barons et chevaliers et tout le conseil du pays se trairent ensemble à conseil ; et s’accorda la plus saine partie, et mêmement les grands barons et nobles avec le conseil des bonnes villes, selon ce qu’ils avoient là ouï lire et qu’ils savoient la plus grand’partie de ses faits et de ses maintiens de certain et par pure vérité ; et dirent que tel homme n’étoit mie digne de jamais porter couronne ni avoir nom de roi : mais ils s’accordèrent à ce que son ains-né fils, qui là étoit présent et étoit son droit hoir, fût tantôt couronné au lieu du père, mais que il prit bon conseil et sage entour lui et féal, par quoi le royaume et le pays fût de là en avant mieux gouverné que été n’avoit[2], et que le père fût bien gardé et honnêtement tenu, tant que vivre pourroit, selon son état.

  1. La reine célébra la féte de Noël à Wallingford et ne vint à Londres que peu avant l’Épiphanie 1327. Ce fut alors seulement que le parlement s’assembla, déclara Édouard II incapable de régner, et proclama roi son fils Édouard III.
  2. On nomma un conseil de régence composé de douze personnes. La reine en eut la présidence ; Mortimer gouverna sous sa direction ; et ce fut le règne d’un favori substitué à celui d’un autre.