Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre I, Partie I/Chapitre XXXVI

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Livre I. — Partie I. [1327]

CHAPITRE XXXVI.


Comment les Anglois se logèrent, tous armés, en un bois jusque à mie-nuit, moult travaillés de poursuir les Escots.


Quand ce vint après nonne sur le vespre, gens, chevaux et charroi, et mêmement gens à pied étoient si travaillés qu’ils ne pouvoient mais aller avant ; et les seigneurs se perçurent et virent clairement qu’ils se travailloient en cette manière pour néant ; et fut encore ainsi que[1] les Escots les voulussent attendre, si se mettroient si bien sur tel avantage, sur telle montagne, ou sur tel pays, qu’ils ne se pourroient à eux combattre sans trop grand meschef. Si fut commandé, de par le roi et les maréchaux, qu’on se logeât là en droit, chacun ainsi qu’il étoit, jusques à lendemain, pour avoir conseil comment on se maintiendroit. Ainsi fut l’ost logé toute nuit en un bois, sur une petite rivière ; et le roi fut logé en une pauvre cour d’abbaye de moines noirs qui là étoit. Ses gens d’armes, uns et autres, chevaux, charroi et l’ost en suivant, furent logés moult loin, travaillés outre mesure. Quand chacun eut pris pièce de terre pour loger, les seigneurs se trairent ensemble pour avoir conseil comment ils se pourroient combattre aux Escots, selon le pays où ils étoient ; et leur sembla, selon ce qu’ils voyoient, que les Escots s’en r’alloient leur voie en leur pays, tout ardant, et que nullement ils ne se pourroient combattre à eux entre ces montagnes, fors que à grand meschef, et si ne les pouvoient aconsuir ; mais passer leur convenoit cette rivière de Tyne. Si fut là dit en grand conseil que, si on se vouloit lever devant mie-nuit, et lendemain un petit hâter, on leur touldroit le passage de la rivière, et conviendroit qu’ils se combattissent à leur meschef, ou ils demeureroient tous coys en Angleterre pris à la trappe.

  1. C’est-à-dire, au cas où les Écossais les voudraient attendre.