Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre I, Partie II/Chapitre CCCLX

La bibliothèque libre.
Texte établi par J. A. C. Buchon (Ip. 662-663).

CHAPITRE CCCLX.


Du siége que messire Bertran du Guesclin mit en Poitou devant Chisech.


Quand la douce saison d’été fut revenue et qu’il fait bon hostoyer et loger aux champs, messire Bertran du Guesclin connétable de France, qui tout cel hiver s’étoit tenu à Poitiers et avoit durement menacé les Anglois, pour tant que leurs garnisons que ils tenoient encore en Poitou avoient trop fort cel hiver guerroyé et travaillé les gens et le pays, si ordonna toutes ses besognes de point et de heure, ainsi que bien le savoit faire, tout son charroi et son grand arroy, et rassembla tous les compagnons environ lui, desquels il espéroit à être aidé et servi ; et se départit de la bonne cité de Poitiers à bien quinze cents combattans, la greigneur partie tous Bretons ; et s’en vint mettre le siége devant la ville et le châtel de Chisech, dont messire Robert Miton et messire Martin l’Escot étoient capitaines. Avec messire Bertran étoient de chevaliers Bretons : messire Robert de Beaumanoir, messire Alain et messire Jean de Beaumanoir, messire Ernoul Limosin, messire Joffroi Ricon, messire Yvain Laconnet, messire Joffroy de Quaremiel, Thibaut du Pont, Allain de Saint-Pol, Aliot de Calais et plusieurs autres bons hommes d’armes. Quand ils furent tous venus devant Chisech, ils environnèrent la ville selon leur quantité et firent bons palis derrière eux, par quoi soudainement, de nuit ou de jour, on ne leur pût porter contraire ni dommage ; et se tinrent là dedans pour tout assegurés et confortés et que jamais n’en partiroient sans avoir la forteresse ; et y firent et livrèrent plusieurs assauts.

Les compagnons qui dedans étoient se défendirent vassalement et tant que à ce commencement riens n’y perdirent. Toutes fois, pour y être confortés et lever ce siége, car ils sentoient bien que à la longue ils ne se pourroient tenir, si eurent conseil du signifier à monseigneur Jean d’Éverues et aux compagnons qui se tenoient à Niort. Si firent de nuit partir un de leurs varlets qui apporta unes lettres à Niort, et fut tantôt accouru, car il n’y a que quatre lieues. Messire Jean d’Éverues et les compagnons lisirent cette lettre, et virent comment messire Robert Miton et messire Martin l’Escot leur prioient que ils leur voulsissent aider à dessiéger de ces François, et leur signifioient l’état et l’ordonnance si avant que ils les savoient ; dont ils se déçurent, et leurs gens aussi, car ils acertifioient par leurs lettres et par la parole du message, que messire Bertran n’avoit devant Chisech non plus de cinq cents combattans.

Quand messire Jean d’Éverues, messire d’Angousse et Cresuelle sçurent ces nouvelles, si affirmèrent qu’ils iroient celle part lever le siége et conforter leur compagnons, car moult y étoient tenus. Si mandèrent tantôt ceux de la garnison de Luzignan et de Gensay qui leur étoient moult prochains. Cils vinrent, chacun à ce qu’il avoit de gens, leur garnison gardée ; et s’assemblèrent à Niort. Là étoient avec les dessus dits, messire Aymery de Rochechouart et messire Joffroi d’Argenton, David Hollegrave et Richard Holmes. Si se départirent de Niort tout appareillés et bien montés, et furent comptés, à l’issir hors de la porte, sept cents et trois têtes armées, et bien trois cents pillards Bretons et Poitevins. Si s’en allèrent tout le pas sans eux forhâter par devers Chisech, et tant exploitèrent que ils vinrent assez près et se mirent au dehors d’un petit bois.