Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre I, Partie II/Chapitre CCCLXXXVII

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Texte établi par J. A. C. Buchon (Ip. 704-705).

CHAPITRE CCCLXXXVII.


Ci parle des parlements qui de rechef furent assignés à Bruges, et des fêtes qui furent données à Gand.


Or parlerons des parlements qui furent assignés à Bruges. Et est vérité que à la Toussaints le duc de Lancastre et le duc de Bretagne, pour la partie du roi d’Angleterre, y vinrent moult étoffément et en grand arroy : aussi firent le duc d’Anjou et le duc de Bourgogne. Et remontroit chacun de ces seigneurs sa grandeur et sa puissance.

Si fit le duc de Bourgogne en ce temps une très grand’fête de joûte en la ville de Gand en Flandres, de cinquante chevaliers et de cinquante écuyers de dedans. Et furent à celle fête grand’foison de hauts seigneurs et de nobles dames, tant pour honorer le duc de Bourgogne que pour voir l’état des ducs qui là étoient, le duc d’Anjou, le duc de Lancastre et le duc de Bretagne. Si y furent le duc de Brabant et madame sa femme, et le duc Aubert et sa femme, et la ducoise de Bourgogne. Si furent ces joûtes bien fêtées et dansées, et par quatre jours joûtées. Et tint là adonc le comte de Flandre grand état et puissant, en honorant et exhaussant la fête de son fils et de sa fille, et en remontrant sa richesse et sa puissance à ces seigneurs étrangers de France, d’Angleterre et d’Allemagne. Quand ces joûtes furent passées et les seigneurs retraits, si retournèrent à Bruges le duc d’Anjou, le duc de Bourgogne et leurs consaux : ainsi firent le duc de Lancastre, le duc de Bretagne et les consaux d’Angleterre et les deux légats traiteurs. Si se commencèrent à entamer et à proposer parlement et traité, et les légats à aller de l’un à l’autre, qui portoient ces paroles qui peu venoient à effet ; car chacun se tenoit si fier et si grand que raison n’y pouvoit descendre. Le roi d’Angleterre demandoit choses impossibles pour lui, ce que les François n’eussent jamais fait : toutes les terres que le roi de France ou ses gens avoient conquis sur lui, et tout l’argent qui étoit à payer quand la devant dite paix fut rompue, délivré le captal de Buch hors de prison. D’autre part le roi de France vouloit avoir la ville et le châtel de Calais abattue, quelque traité que il fît, et de cel argent tout l’opposite, mais toute la somme entièrement que le roi son père et il avoient payée, il vouloit ravoir ; ce que le roi d’Angleterre n’eût jamais fait, l’argent rendu et Calais abattu. Si furent grand temps sur cel état, et les légats alloient, proposoient et à leur pouvoir imaginoient et amoyennoient ces besognes et demandes ; mais se approchoient trop mal. Si furent les parties, tant de France comme d’Angleterre, un grand temps en Flandre ; et fus adonc informé que finablement Bretagne et Espaigne rompirent tous les traités. Si furent les trêves ralongées jusques au premier jour d’avril l’an mil trois cent soixante et seize, et se départirent de Bruges tous ces ducs. Les uns s’en allèrent en Angleterre et les autres en France, et les légats demeurèrent à Bruges ; mais chacune de ces parties devoient à la Toussaints renvoyer gens pour eux qui auroient plein pouvoir et autorité, autel comme les deux rois auroient si ils étoient personnellement, de faire paix ou accord ou de donner trêves.