Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre I, Partie II/Chapitre CCCXXXIII

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Texte établi par J. A. C. Buchon (Ip. 630-631).

CHAPITRE CCCXXXIII.


Comment messire Bertran prit plusieurs villes et châteaux en Rouergue, et comment il assiégea la cité d’Usson.


Nous retournerons à parler de monseigneur Bertran du Guesclin, connétable de France, qui s’étoit tenu à Paris de-lez le roi, depuis la revenue de Pont-Volain, où lui et le sire de Cliçon avoient rué les Anglois jus, si comme ci-dessus est dit. Et bien avoit entendu que les Anglois en Poitou et en Guyenne tenoient les champs ; si que, tantôt après la Chandeleur, que le printemps commença à retourner, le dit messire Bertran s’avisa qu’il mettroit sus une grand’armée et assemblée des seigneurs et de gens d’armes, et chevaucheroit d’autre part, ainsi que les Anglois chevauchoient au pays de Poitou, de Quersin et de Rouergue ; car là avoit aucuns Anglois qui se tenoient trop honorablement, et étoient tenus depuis la guerre renouvelée : et encore les gens de monseigneur Jean d’Évreux se tenoient de nouvel au pays de Limosin, et avoient en Auvergne pris un châtel, cité et ville tout ensemble, qui s’appelle Uzès[1] qui mie ne faisoit à souffrir. Si disoit le connétable qu’il vouloit traire de celle part. Si fit, par le congé du roi, un grand mandement de seigneurs, de gens d’armes et d’archers, et se partit de Paris à grand’route, et toujours lui croissoient gens ; et tant exploita le dit connétable qu’il vint en Auvergne.

Adonc étoient de-lez lui et en sa compagnie, le duc de Berry, le duc de Bourbon, le comte d’Alençon, le comte du Perche son frère, le comte de Saint-Paul, le comte Dauphin d’Auvergne, le Comte de Vendôme, le comte de Porcien, le sire de Sully, le sire de Montagu, messire Hugues Dauphin, le sire de Beaujeu, le sire de Rochefort, le sire de Chalençon et grand’foison de bons barons et chevaliers des marches de France : si exploitèrent tant ces gens d’armes avec le dessus dit connétable qu’ils vinrent devant la cité d’Uzès. Si se logèrent et y furent quinze jours. Là en dedans y eut plusieurs assauts grands et forts ; mais oncques en celle empainte ils ne purent prendre la forteresse, car il y avoit dedans Anglois qui trop vaillamment la gardèrent. Si se partirent ces gens d’armes et chevauchèrent outre avec le connétable ès parties de Rouergue, et les aucuns chefs des seigneurs vinrent en Avignon, vote le pape Grégoire, et le duc d’Anjou qui se tenoit de-lez lui[2].

Tantôt après celle visitation, que ces seigneurs eurent parlé au pape et au duc d’Anjou, ils se départirent de la cité d’Avignon et se retrairent devers le connétable, qui chevauchoit en Rouergue et conquéroit villes et châteaux sur les Anglois. Si s’en vinrent devant la ville de la Millau et l’assiégèrent ; laquelle messire Thomas de Veulkefaire tenoit[3] et avoit tenue tout le temps, et aussi la Roche Vauclère : mais les dessus dits chevaliers anglois par composition, à ce donc quand messire Bertran fut venu au pays, s’en partirent, et les Anglois qui de sa route se tenoient ; et lui rendirent, et encore aucuns autres châteaux sur les frontières de Limosin. Et quand messire Bertran les eut rafraîchis, il prit son chemin et son retour, et tous les seigneurs de France en sa compagnie, pour venir de rechef devant la cité d’Usson, en Auvergne, et l’assiégèrent ; et firent là le duc de Berry, le duc de Bourbon et le connétable, amener et charrier grands engins de Rion et de Clermont, et dresser devant la dite forteresse, et avec tout ce appareiller grands atournemens d’assauts.

  1. Usson, ancienne ville d’Auvergne, peu éloignée de Brioude.
  2. Ceci dut se passer à la fin de mars ou au commencement d’avril ; car le duc d’Anjou n’arriva à la cour d’Avignon que postérieurement au 18 mars, et en partit le 11 avril, pour revenir en France.
  3. Froissart se trompe certainement. Thomas de Veulkefaire ou plutôt de WalkeFare avait été pendu à Toulouse par l’ordre du duc d’Anjou, au mois de septembre de l’année précédente.