Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre I, Partie II/Chapitre CLXXXVII

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CHAPITRE CLXXXVII.


Comment messire Charles de Blois se partit de Nantes pour aller contre le comte de Montfort ; et des paroles que madame sa femme lui dit.


Nous retournerons à monseigneur Charles de Blois, qui se tenoit en la bonne cité de Nantes, et là faisoit son amas et son mandement de chevaliers et d’écuyers de toutes parts là où il les pensoit à avoir par prière ; car bien étoit informé que le comte de Montfort étoit durement fort et bien réconforté d’Anglois. Si prioit les barons, les chevaliers et les écuyers de Bretagne, dont il avoit eu et reçu les hommages, que ils lui voulussent aider à garder et défendre son héritage contre ses ennemis. Si vinrent des barons de Bretagne, pour lui servir et à son mandement, la vicomte de Rohan, le sire de Léon, messire Charles de Dynant, le sire de Roye, le sire de Rieux, le sire de Tournemine, le sire d’Ancenis, le sire de Malestroit, le sire de Quintin, le sire d’Avangour, le sire de Rochefort, le sire de Gargoulé, le sire de Loheac, le sire du Pont et moult d’autres que je ne puis mie tous nommer. Si se logèrent ces seigneurs et leurs gens en la ville de Nantes et ès villages d’environ. Quand ils furent tous ensemble, on les estima à vingt cinq cents lances, parmi ceux qui étoient venus de France. Si ne voulurent point là ces gens d’armes faire trop long séjour ; mais conseillèrent à monseigneur Charles de chevaucher devers les ennemis. Au département et au congé prendre, madame la femme à monseigneur Charles de Blois dit à son mari, présent monseigneur Bertran du Guesclin et aucuns barons de Bretagne : « Monseigneur, vous en allez défendre et garder mon héritage et le vôtre, car ce qui est mien est vôtre, lequel monseigneur Jean de Montfort nous empêche et a empêché un grand temps à tort et sans cause ; ce sçait Dieu, et aussi les barons de Bretagne qui ci sont, comment j’en suis droite héritière : si vous prie chèrement que nulle ordonnance, ni composition de traité ni d’accord, ne veuilliez faire, ni descendre que le corps de la duché de Bretagne ne nous demeure. » Et son mari lui eut en convenant. Adoncques se partit, et se partirent tous les barons et les seigneurs qui là étoient, et prirent congé à leur dame que ils tenoient pour duchesse. Si se arroutèrent et cheminèrent ces gens d’armes et cet ost pardevers Rennes ; et tant exploitèrent qu’ils y parvinrent. Si se logèrent dedans la cité de Rennes et environ, et se reposèrent et rafraîchirent pour apprendre et mieux entendre du convine de leurs ennemis, et aviser aucun lieu suffisant pour combattre leurs ennemis, au cas qu’ils trouveroient tant ni quant de leur avantage sur eux ; et la furent dites ni pourparlées plusieurs paroles et langages à cause de ce, des chevaliers et écuyers de France et de Bretagne, qui là étoient venus pour aider et conforter messire Charles de Blois, qui étoit moult doux et moult courtois, et qui par aventure se fût volontiers condescendu à paix, et eût été content d’une partie de Bretagne à peu de plait. Mais en nom Dieu, il étoit si bouté de sa femme et des chevaliers de son côté, qu’il ne s’en pouvoit retraire ni dissimuler.