Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre I, Partie II/Chapitre CV

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Texte établi par J. A. C. Buchon (Ip. 413-414).

CHAPITRE CV.


Comment tant de gens d’armes étrangers vinrent à Calais qu’on ne se savoit où loger et y furent les vivres moult chers.


Le roi d’Angleterre toute celle saison faisoit un si très grand appareil pour venir en France, que par avant on n’avoit point vu le semblable. De quoi plusieurs barons et chevaliers de l’empire d’Allemagne, qui autrefois l’avoient servi, s’avancèrent grandement en celle année, et se pourvurent bien et étoffément de chevaux et de harnois, chacun du mieux qu’il put selon son état, et s’envinrent du plus tôt qu’ils purent, par les côtières de Flandre, devers Calais, et là se tinrent en attendant le roi. Or avint que le roi d’Angleterre ni ses gens ne vinrent mie sitôt à Calais que on pensoit ; dont tant de manières de gens étrangers vinrent à Calais que on ne se savoit où herberger, ni chevaux establer. Et avecques ce, pains, vins, fuerres, avoines et toutes pourvéances y étoient si grandement chères que on n’en pouvoit point recouvrer pour or ni pour argent ; et toujours leur disoit-on : « Le roi viendra à l’autre semaine. » Ainsi attendoient tous ces seigneurs allemands miessenaires, Hesbegnons, Brabançons, Flamands et Hainuyers, povres et riches, la venue du roi d’Angleterre dès l’entrée d’aoùt jusques à la Saint-Luc, à grand’meschef et à grands coûts, et à si grand danger qu’il convint les plusieurs vendre la plus grand’partie de leurs chevaux. Et si le roi d’Angleterre fut adonc venu ni arrivé à Calais, il ne se sçut où herberger, ni ses gens, fors au chàtel ; car le corps de la ville étoit tout pris ; et si y avoit encore une doute par aventure que ces seigneurs qui avoient tout dépendu ne se voulussent point partir, pour roi ni pour autre, de Calais, si on ne leur eût rendu leurs dépens en deniers apareillés.