Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre I, Partie II/Chapitre CXVII

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Texte établi par J. A. C. Buchon (Ip. 424-425).

CHAPITRE CXVII.


Comment le sire de Roye et sa route déconfirent les gens du sire de Gommignies, et furent tous morts ou pris.


Quand les chevaliers et écuyers qui pris avoient le sire de Gommignies l’eurent rué jus et ceux qui étoient avec lui issus du village, ils ne voulurent pas là arrêter, mais brochèrent chevaux des éperons et se boutèrent au village dessus dit en écriant ; « Roye au seigneur ! Roye ! » Dont furent tous ceux qui là étoient moult ébahis, quand ils sçurent leurs ennemis si près d’eux ; et étoient la plus grand’partie d’eux tous désarmés et tous épars : si ne se purent rallier ni mettre ensemble. Là les prirent les François à volonté, en granges, en logis et en fours ; et y eut le dit chanoine de Robertsart plusieurs prisonniers, pour tant que les Hainuyers le connoissoient mieux que nul des autres. Bien est vérité qu’il en y eut aucuns qui se recueillirent en une petite forte maison avironnée d’eau, qui siéd en ce village de Herbegny ; et conseillèrent les aucuns qui dedans étoient que on se défendit, et y mettoient bonne raison. « Cette maison est assez forte pour nous tenir tant que le roi d’Angleterre, qui est devant Reims, orra nouvelles de nous ; et sitôt qu’il pourra savoir que nous sommes si appressés des François, il n’est nulle doute qu’il nous envoiera conforter. » Là répondirent les autres qui n’étoient mie assurés : « Nous ne nous pouvons tenir ni jour ni heure, car cette maison est toute plate et avironnée de nos ennemis. Et si n’avons homme qui sçut aller quérir aide devers le roi d’Angleterre notre seigneur, qui ne fut en péril de mort. »

Ainsi étoient les compagnons là en débat et eu estrief entr’eux. Là vinrent le seigneur de Roye et les chevaliers, qui leur dirent : « Écoutez, seigneurs, si vous vous faites assaillir tant ou petit, vous serez tous morts sans mercy ; car tantôt vous prendrons de force. » Si que ces paroles et semblables ébahirent les plus hardis ; et se rendirent tous ceux qui dedans étoient, sauves leurs vies. Si furent tous pris prisonniers et envoyés en la terre de Coucy et ens ès garnisons prochaines dont les François étoient partis. Cette avenue avint à monseigneur Jean de Gommignies et à sa route environ Noël, l’an mil trois cent cinquante neuf. De quoi le roi d’Angleterre, quand il le sçut, fut moult courroucé ; mais amender ne le put tant comme à cette fois.

Or retournerons au siége de Reims et parlerons d’une avenue qui avint à monseigneur Berthelemieu de Bruves qui avoit assiégé la tour et le châtel de Courmicy, et un chevalier Champenois dedans qui s’appeloit messire Henry de Vaus ; et se armoit le dit messire Henry, de noir à cinq anneaux d’argent, et crioit : Vienne !