Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre I, Partie II/Chapitre LXI
CHAPITRE LXI.
Encore en ce temps s’éleva une autre compagnie de gens d’armes et de brigands assemblés de tous pays ; et conquéroient et roboient de jour en jour tout le pays entre la rivière de la Seine et la rivière de Loire : par quoi nul n’osoit aller entre Paris et Vendôme, ni entre Paris et Orléans, ni entre Paris et Montargis ; ni nul n’y osoit demeurer ; ains étoient tous les gens du plat pays affuis à Paris ou à Orléans. Et avoient fait ces dits compagnons un capitaine d’un Gallois que on appeloit Ruffin[1] ; et le fit faire chevalier ; et devint si riche et si puissant d’avoir, que on n’en pouvoit trouver le nombre. Et chevauchoient souvent ces dites compagnies près de Paris, un autre jour vers Orléans, une autre fois vers Chartres ; et ne demeura place, ville, ni forteresse, si elle ne fut trop bien gardée, qui ne fût adonc toute robée et courue[2] ; c’est à savoir, Saint-Arnoul, Galardon, Bonneval, Clois, Estampes, Chastres[3], Montlehéry, Peviers en Gastinois, Larchant, Milly, Château-Landon, Montargis, Yevre[4], et tant d’autres grosses villes que merveilles seroit à recorder. Et chevauchoient à val le pays par troupeaux, ci vingt, ci trente, ci quarante ; et ne trouvoient qui leur détournât ni encontrât pour eux porter dommage. D’autre part, au pays de Normandie sur la marine, avoit une plus grand’compagnie de pilleurs et de robeurs Anglois et Navarrois, desquels messire Robert Canolle étoit maître et chef, qui en telle manière conquéroit villes et châteaux ; et ne leur alloit nul au devant. Et avoit le dit messire Robert Canolle jà de long-temps tenu celle ruse ; et finât dès lors bien de cent mille écus ; et tenoit grand’foison de soudoyers à ses gages, et les payoit si bien que chacun le suivoit volontiers.