Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre I, Partie II/Chapitre LXXXV

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CHAPITRE LXXXV.


Comment le connétable de France et le comte de Saint-Pol cuidèrent combattre messire Philippe de Navarre, lequel s’enfuit par nuit.


Encore étoient les seigneurs de France tous rangés, ni nul ne s’étoit parti, mais ils devoient partir ; si troussoient tentes et trefs et se délogeoient, quand les nouvelles leur vinrent que les Navarrois chevauchoient et étoient à moins de quatre lieues près d’eux. Quand le connétable de France, le comte de Saint-Pol, le sire de Chastillon, le sire de Poix, le sire de Beausaut, le sire de Helly, le sire de Creseques, messire Oudart de Renty, messire Baudouin d’Ennequins et les barons et chevaliers qui là étoient, entendirent ces nouvelles, si en furent par semblant tous réjouis, et eurent un bref conseil sur les champs entr’eux quelle chose en étoit bonne à faire. Si regardèrent pour le mieux et pour leur honneur au cas qu’ils savoient leurs ennemis si près d’eux, qu’ils les iroient combattre. Adoncques fut commandé de par le connétable que chacun se mit en arroi et en ordonnance pour chevaucher vers les ennemis. Donc se arroutèrent toutes manières de gens, chacun sire dessous sa bannière ou son pennon, et chevauchèrent ordonnément, ainsi que pour tantôt combattre ; et suivoient les bannières du connétable et du comte de Saint-Pol. Les Navarrois entendirent que les François chevauchoient et venoient à grand exploit sur eux, et étoient bien trente mille : si n’eurent mie conseil d’eux attendre, mais passèrent la rivière de Somme, au plus tôt qu’ils purent, et se boutèrent au châtel de Long en Ponthieu, chevaux et harnois et quant que ils avoient. Si y furent moult à étroit. À peine étoient-ils entrés dedans et descendus quand les François furent devant, qui les suivoient de grand’volonté, et pouvoit être heure de vespres. Et toujours venoient gens ; car les communautés des villes et des cités de Picardie ne pouvoient mie sitôt venir que les gens d’armes. Si eurent conseil là les seigneurs qu’ils se logeroient devant la forteresse celle nuit, et attendroient toutes leurs gens, qui venoient les uns après les autres ; et à lendemain ils assaudroient ; car ils les tenoient pour tous enclos.

Ainsi qu’il fut dit, il fut fait ; et se logèrent adoncques toutes manières de gens devant Long, à la mesure qu’ils venoient.

Les Navarrois qui là dedans étoient enclos à petit de pourvéances, n’étoient mie à leur aise ; et prirent un bref conseil et tout secret que à mie-nuit ils se partiroient et chevaucheroient devers Péronne en Vermandois. Tout ainsi comme ils ordonnèrent, ils le firent. Quand vint environ mie-nuit, que les François en leurs logis furent tous aquoisés, les Navarrois qui étoient dedans Long en Ponthieu, ensellèrent leurs chevaux et troussèrent et se armèrent ; et quand ils eurent ce fait, ils montèrent tout quoiement sans faire effroi ni noise, et issirent aux champs par derrière et prirent le chemin de Vermandois ; et furent bien éloignés deux grands lieues ainçois que on sçût leur département ni nouvelles d’eux ; et chevauchoient les Navarrois ainsi que messire Jean de Péquigny les menoit, qui connoissoit tout le pays. Les nouvelles vinrent en l’ost que les Navarrois s’en alloient et étoient partis secrètement. Adoncques s’armèrent toutes manières de gens et montèrent aux chevaux qui chevaux avoient, entrèrent ens ès esclos des Navarrois qui s’en alloient le grand trot. Encore en demeurèrent assez derrière pour charger les chars et les charrettes qu’ils avoient et qui les suivoient, et cheminèrent ainsi tant qu’il fut jour.