Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre I, Partie II/Chapitre XI

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CHAPITRE XI.


Comment le château de Ghines, les trêves durant, fut vendu aux Anglois.


Assez tôt après la mort du comte de Ghines, dont toutes manières de bonnes gens furent courroucées, fut pris et enlevé le fort et le beau château de Ghines, qui est un des beaux châteaux du monde ; et fut acaté à bons deniers de monseigneur Jean de Beauchamp capitaine de Calais, et délivré de ceux qui le vendirent aux Anglois, qui en prirent la saisine et possession, et ne l’eussent rendu pour nul avoir. Quand les nouvelles en vinrent à Paris, le roi de France en fut durement courroucé ; ce fut raison, car de force il n’étoit mie à reprendre. Si en parla à son cousin le cardinal de Boulogne, en priant que il voulût mander à ceux de Calais qu’ils avoient mal fait, quand dedans trêves ils avoient pris et emblé le château de Ghines, et que par ce fait ils avoient les trêves enfreintes.

Le cardinal à l’ordonnance du roi obéit, et envoya certains et espéciaux messages à Calais devers messire Jean de Beauchamp, en lui remontrant que il avoit trop mal fait, quand il avoit consenti à faire telle chose que prendre et embler en trêves le châtel de Ghines, et que par ce point il avoit les trêves enfreintes. Si lui mandoit que ce fût défait et le château remis arrière en la main des François. Messire Jean de Beauchamp fut tantôt conseillé du répondre, et répondit qu’il n’eskievoit nul homme en trêves et hors trêves acheter châteaux, terres, possessions et héritages ; et pour ce ne sont mie trêves enfreintes ni brisées.

Ils n’en purent, cils qui envoyés y furent, autre chose avoir. Si demeura la chose en cel état ; et obtinrent les Anglois le fort châtei de Ghines qu’ils n’eussent rendu pour nul avoir.