Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre I, Partie II/Chapitre XIX

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Texte établi par J. A. C. Buchon (Ip. 313-322).

CHAPITRE XIX.


Comment le prince de Galles se départit de Bordeaux avec son armée et courut tout le pays de Toulousain, de Narbonnois et de Carcassonnois, ardant et exilant tout en deça et au delà de l’Aude.


Or, nous reposerons-nous à parler une espace du roi d’Angleterre, et prierons de son ains-né fils monseigneur Édouard, prince de Galles, qui fit en celle saison et mit sus une grande et belle chevauchée de gens d’armes Anglois et Gascons, et les mena en un pays où ils firent grandement bien leur profit, et où oncques Anglois n’avoient été. Et tout ce fut par l’ennort et ordonnance des Gascons, que le dit prince avoit de-lez lui de son conseil et en sa compagnie.

Vous avez bien ci-dessus ouï recorder comment aucuns barons de Gascogne vinrent en Angleterre, et firent prière au roi d’Angleterre qu’il leur voulsist bailler son fils le prince de Galles pour aller en Gascogne avec eux, et que tous ceux de par delà qui pour Anglois se tenoient, en seroient trop grandement réjouis et réconfortés ; et comment le roi leur accorda, et délivra à son fils mille hommes d’armes et onze mille archers, où il avoit grand’foison de bonne chevalerie, desquels de nom et de surnom et les plus renommés j’ai fait mention. Si que, quand le prince fut venu à Bordeaux, ce fut environ la Saint-Michel, il manda tous les barons et chevaliers de Gascogne desquels il pensoit à être servi et aidé. Premièrement, le seigneur de Labreth et ses frères, les trois frères de Pommiers, messire Jean, messire Hélie et messire Aymon, messire Aimery de Tarste, le seigneur de Mucident, le seigneur de Courton, le Seigneur de Langheren, le seigneur de Rosem, le seigneur de Landuras, messire Bernardet de Labreth, le seigneur de Gironde, messire Jean de Grailly captal de Buch, messire le Souldich de l’Estrade et tous les autres.

Quand ils furent tous venus à Bordeaux, il leur remontra son entente, et leur dit qu’il vouloit chevaucher en France, et qu’il n’étoit mie là venu longuement séjourner. Cils seigneurs répondirent qu’ils étoient tous appareillés d’aller avec lui, et que aussi en avoient-ils grand désir. Si jetèrent leur avis l’un par l’autre, que en cette chevauchée ils se trairoient vers Toulouse, et iroient passer la rivière de Garonne d’amont dessous Toulouse, au port Sainte-Marie ; car elle étoit durement basse et la saison belle et sèche. Si faisoit bon hostoier.

À ce conseil s’accordèrent les Anglois ; et fit chacun son appareil du plutôt qu’il put. Si se départit le prince de Bordeaux belles gens d’armes ; et étoient bien quinze cents lances, onze mille archers et trois mille bidaus, sans les varlets que les Gascons menoient avec eux. Si n’entendirent ces gens d’armes à prendre ni à assaillir nulle forteresse, jusques à tant que ils eurent passé la Garonne au port Sainte-Marie, à trois lieues près de Toulouse ; et la passèrent adonc à gué. Ni, passé avoit vingt ans, ceux du pays ne l’avoient vue si petite que elle fut en celle saison.

Quand les Anglois et les Gascons furent outre et logés au pays toulousain, ceux de Toulouse se commencèrent durement à ébahir quand ils sentirent les Anglois si près d’eux. En ce temps, étoit en la cité de Toulouse le comte d’Armignac auquel ceux de Toulouse avoient grand’fiance, et c’étoit raison ; autrement ils fussent trop déconfortés et à bonne cause, car ils ne savoient adonc que c’étoit de guerre. Pour ce temps, la cité de Toulouse n’éloit roie grandement menre que la cité de Paris ; mais le comte d’Armignac fit abattre tous les faubourgs. Ni en un seul lieu il avoit plus de trois maisons. Et le fit pour ce qu’il ne vouloit mie que les Anglois se vinssent loger ni bouter le feu.

Ce premier jour que les Anglois eurent passé la rivière de Garonne, le prince et tout son ost se logèrent dessus le pays en un très beau vignoble, et les coureurs vinrent courir jusques aux barrières de Toulouse ; et là y eut forte escarmouche des uns aux autres, des gens le comte d’Armignac et des Anglois ; et quand ils eurent fait leur entreprise, ils retournèrent à leur ost et emmenèrent aucuns prisonniers. Si passèrent celle nuit tout aise, car ils avoient bien trouvé de quoi. À lendemain au matin, le prince et tous les barons de l’ost et leurs suivans s’armèrent et montèrent aux chevaux ; et se mirent en ordonnance de bataille et chevauchèrent tout arréement, bannières déployées, et approchèrent la cité de Toulouse. Lors cuidoient bien ceux de Toulouse avoir l’assaut, quand ils virent ainsi en bataille les Anglois approcher : si se mirent tout en ordonnance aux portes et aux barrières par connétablies et par métiers[1], et se trouvèrent bien, de communautés, quarante-neuf mille hommes qui étoient en grand’volonté de combattre les Anglois ; mais le comte d’Armignac leur défendoit et leur alloir au devant ; et disoit que, si ils issoient hors, ils seroient tous perdus, car ils n’étoient mie usés d’armes aini qpe les Anglois et les Gascons, et ne pouvoient faire meilleur exploit que de garder leur ville.

Ainsi se tinrent tons cois ceux de Toulouse et ne voulrent désobéir au commandement du comte d’Armignac qu’il ne leur en mesvenist, et se tinrent devant leurs barrières. Le prince de Galles et ses batailles passèrent tout joignant Toulouse, et virent bien une partie du convenant de ceux de Toulouse, que si on les assailloit ils se défendroient. Si passèrent outre tout paisiblement sans rien dire, et ne furent ni traits ni bersés, et prirent le chemin de Mont-Giscar, à trois lieues avant, en allant vers Carcassonne. Si se logèrent ce second jour les Anglois et les Gascons assez près de là sur une petite rivière, et le lendemain bien matin se délogèrent et approchèrent la forteresse qui n’étoit fermée, fors de murs de terre et de portes de terre couvertes d’estrain, car on recouvre ens ou pays, à grand dire, de pierre nequedent[2].

Ceux de Mont-Giscar se cuidoient trop bien tenir, et se mirent tout à défense sur les murs et sur les portes. Là s’arrêtèrent les Anglois et les Gascons, et dirent que cette ville étoit bien prenable. Si l’assaillirent fièrement et vitement de tous lez ; et là eut grand assaut et dur et plusieurs hommes blessés du trait et du jet des pierres. Finablement elle fut prise de force et le mur rompu et abattu ; et entrèrent tous ceux ens qui entrer y voulrent. Mais le prince n’y entra point, ni tous les seigneurs, pour le feu, fors que pillards et robeurs. Si trouvèrent en la ville grand avoir. Si en prirent duquel qu’ils voulurent, et le remenant ils ardirent. Là eut grand’persécution d’hommes, de femmes et d’enfans, dont ce fut pitié.

Quand ils eurent fait leur entente de Mont-Giscar, ils chevauchèrent devers Avignonet, une grosse ville et marchande et où on fait foison de draps ; et bien y avoit adonc quinze cents maisons, mais elle n’étoit point fermée ; et au dehors, sur un tertre, avoit un châtel de terre assez fort, où les riches hommes de la ville étoient retraits et cuidoient être là bien asségur ; mais non furent, car on les assaillit de grand randon. Si fut le château conquis et abattu, et ceux qui dedans étoient prisonniers aux Anglois et aux Gascons qui venir y purent à temps. Ainsi fut Avignonet prise et détruite, où ils eurent grand pillage ; et puis chevauchèrent devers le Neuf-Châtel d’Aury[3].

Tant exploitèrent les Anglois, que ils vinrent à Neuf-Châtel d’Aury, une moult grosse ville et bon châtel, et remplie de gens et de biens ; mais elle n’étoit fermée, ni le château aussi, fors de murs de terre selon l’usage du pays. Quand les Anglois furent venus devant, ils le commencèrent à environner et à assaillir fortement, et ceux qui dedans étoient à eux défendre. Ces archers, qui devant étoient arroutés, traioient si fort et si ouniement que à peine se osoit nul apparoir aux défenses. Finablement, cet assaut fut si bien continué, et si fort s’y éprouvèrent Anglois, que la ville de Neuf-Châtel d’Aury fut prise et conquise. Là eut grand’occision et persécution d’hommes et de bidaus ; si fut la ville toute courue, pillée et robée, et tout le bon avoir pris et levé. Ni les Anglois ne faisoient compte de pennes, fors de vaisselle d’argent ou de bons florins ; et quand ils tenoient un homme, un bourgeois ou un paysan, ils le retenoient à prisonnier et le rançonnoient, ou ils lui faisoient meschef du corps, si il ne se vouloit rançonner.

Si furent la dite ville et le château de Neuf-Châtel d’Aury tout ars et abattu, et renversés les murs à la terre ; et puis passèrent outre les Anglois devers Carcassonne, et cheminèrent tant que ils vinrent à Ville-Franche en Carcassonnois, une bonne ville et grosse et bien séant, où demeuroient grand’foison de riches gens.

Sachez que ce pays de Carcassonnoîs et de Narbonnois et de Toulousain, où les Anglois furent en celle saison, étoit en devant un des gras pays du monde, bonnes gens et simples gens qui ne savoient que c’étoit de guerre, car oncques ne furent guerroyés, ni n’avoient été en devant ainçois que le prince de Galles y conversât. Si trouvoient les Anglois et les Gascons le pays plein et dru, les chambres parées de kieutes et de draps, les écrins et les coffres pleins de bons joyaux. Mais rien ne demeuroit de bon devant ces pillards. Ils emportoient tout, et par espécial Gascons, qui sont moult convoiteux.

Ce bourg de Ville-Franche fut tantôt pris, et grand avoir dedans conquis. Si se logèrent et reposèrent demi jour et une nuit le prince et toutes ses gens. À lendemain, ils s’en partirent et cheminèrent devers la cité de Carcassonne.

La ville de Carcassonne siéd sur une rivière que on appelle Aude et tout au plain, un petit en sus à la droite main en venant de Toulouse. Sur un haut rocher siéd la cité, qui est belle et forte et bien fermée de bons murs de pierre, de portes, de tours, et ne fait mie à prendre. En la cité que je dis, avoient ceux de Carcassonne mis la plus grand’partie de leur avoir, et retrait femmes et enfans ; mais les bourgeois de la ville se tenoient en la ville, qui pour ce temps n’étoit fermée que de chaînes. Mais il n’y avoit rue où il n’en y eût dix ou douze ; et les avoit-on levées, par quoi on ne pouvoit aller, ni chevaucher parmi. Entre ces chaînes, et bien assegurés par batailles, se tenoient les hommes de la ville, que on appelle ens ou pays bidaus à lances et à pavais, et tous ordonnés et arrêtés pour attendre les Anglois.

Quand les deux maréchaux de l’ost virent celle grosse ville, où bien par semblant avoit sept mille maisons, et la contenance de ces bidaus qui se vouloient défendre, si s’arrêtèrent en une place devant la ville, et se conseillèrent comment à leur plus grand profit ils pourroient assaillir ces gens. Si que, tout considéré, conseillé et avisé, ils se mirent tous à pied, gens d’armes et autres, et prirent leurs glaives, et s’en vinrent, chacun sire dessous sa bannière ou son pennon, combattreparmi ces chaînes à ces bidaus, qui les recueillirent faiticement à lances et à pavais. Là eut fait plusieurs grands appertises d’armes, car les jeunes chevaliers Anglois et Gascons qui se désiroient à avancer s’abandonnoient et se mettoient en peine de saillir outre ces chaînes et de conquérir leurs ennemis. Et me semble que messire Eustache d’Aubrecicourt, qui pour ce temps étoit un chevalier moult able et moult vigoureux et en grand désir d’acquérir, fut un des premiers, selon ce que je fus adonc informé, qui le glaive au poing saillit outre une chaîne, et s’en vint combattre, ensonnier et reculer les ennemis. Quand il fut outre, les autres le suivirent et se mirent entre ces chaînes, et en conquirent une, puis deux, puis trois, puis quatre ; car avec ce que gens d’armes s’avançoient pour passer, archers traioient si fort et si ouniement, que ces bidaus ne savoient au quel entendre, et en y eut de tels qui avoient leurs pavais si cargés de sajettes que merveilles seroit à recorder. Finablement ces gens de Carcassonne ne purent durer, mais furent reculés et leurs chaînes gagnées sur eux et boutés tous hors de leur ville et déconfits. Si en y eut plusieurs qui se sauvèrent par derrière quand ils virent la déconfiture, et passèrent la rivière d’Aude, et s’en allèrent à garant en la cité.

Ainsi fut le bourg de Carcassonne pris, et grand avoir dedans, car les gens n’avoient mie tout vidé ; et par espécial de leurs pourvéances n’avoient-ils rien vidé. Si trouvoient Anglois et Gascons ces celliers pleins de vins ; si prirent desquels qu’ils voulurent, des plus forts et des meilleurs ; des petits ne faisoient-il compte ; et ce jour que la bataille y fut, ils prirent plusieurs riches bourgeois que ils rançonnèrent bien et cher.

Si ordonnèrent le prince et ses gens en la ville de Carcassonne, pour les grosses pourvéances qu’ils y trouvèrent, onze nuits et un jour, et aussi pour eux et leurs chevaux rafraîchir, et pour aviser comment ni par quelle voie ils pourroient faire assaut à la cité qui leur fût profitable. Mais elle siéd si haut et est si très bien fermée de grosses tours et de bons murs de pierre, que, tout considéré, il n’y pouvoient trouver voie que à l’assaillir ils ne dussent plus perdre que gagner.

Cette cité de Carcassonne, dont je vous parole fut anciennement appelée Carsaude, car la rivière d’Aude y keurt au pied dessous ; et la firent fermer et édifier Sarrasins. Oncques depuis on ne vit les murs, ni le maçonnement démentir. Et est celle où le grand roi de France et d’Allemaigne, Charlemaigne, sist sept ans ainçois que il la pût avoir[4].

Quand ce vint au matin à heure de tierce, que le prince et ses seigneurs eurent ouï messe et bu un coup, ils montèrent à cheval et se mirent en ordonnance pour passer le pont et la rivière d’Aude ; car ils vouloient encore aller avant. Si passèrent tout à pied et à cheval et assez près au trait d’un arc de la cité de Carcassonne. Au passer on leur envoya des tours de la forteresse en canons et en espringalles, carreaux gros et longs qui en blessèrent aucuns en passant, car d’artillerie la cité étoit bien pourvue. Quand le prince et tout son ost furent outre, ils prirent le chemin de Cabestain, mais ils trouvèrent ainçois deux villes fermées Ourmes et Trèbes, séantes sur une même rivière qu’ils pouvoient passer et repasser à leur aise. Ces deux villes étoient bien fermées de bons murs et de bonnes portes et tout à plaine terre. Si furent les gens qui dedans étoient si effrayés des Anglois qui avoient pris Carcassonne et plusieurs villes en devant, que ils s’avisèrent qu’ils se racateroient à non ardoir et assaillir. Si que quand les coureurs furent venus à Ourmes, ils trouvèrent aucuns bourgeois de la ville qui demandèrent si le prince ou les maréchaux étoient en leur route. Cils répondirent que nennil : « Et pourquoi le demandez-vous ? » — « Pour ce que nous voulons entrer en traité d’accord, si ils y vouloient entendre. »

Ces paroles vinrent jusques au prince. Si envoya le dit prince le seigneur de Labreth, qui vint jusques à là et en fit la composition, parmi douze mille écus qu’ils durent payer au prince, dont ils livrèrent bons ôtages ; et puis chevauchèrent vers Trèbes, qui se rançonna aussi ; et tous le plat pays d’environ étoit ars et brisé sans nul déport. Et sachez que, ceux de Narbonne, de Béziers et de Montpellier n’étoient mie bien asségur quand ils sentoient les Anglois ainsi approcher. Et par espécial ceux de Montpellier, qui est ville puissante, riche et marchande, étoient à grand’angoisse de cœur, car ils n’étoient point fermés. Si envoyèrent les riches hommes la greigneur partie de leurs joyaux à sauveté en Avignon ou au fort châtel de Beaucaire.

Tant exploitèrent les Anglois que ils vinrent à Cabestain une bonne ville et forte, séant à deux lieues de Béziers et à deux de Narbonne. Et vous dis que cette ville de Cabestain est durement riche, séant sur la mer[5], et ont les salines dont ils font le sel par la vertu du soleil. Si doutèrent ces gens de Cabestain à tout perdre, corps et biens, car ils étoient faiblement fermés et murés. Si envoyèrent au devant du prince et de son ost pour traiter, que il les laissât en paix et ils se racateroient selon leur puissance. Le sire de Labreth, qui connoissoit auques le pays, faisoit ces traités quand le prince y vouloit entendre. Si rançonnèrent ceux de Cabestain à payer quarante mille écus, mais que ils eussent cinq jours de pourvéances, et de ce livrèrent-ils ôtages. Depuis me fut dit qu’ils laissèrent prendre leurs ôtages et ne payèrent point d’argent, et se fortifièrent tellement de fossés et de palis que pour attendre le prince et toute son ost. Je ne sais de vérité comment il en alla, si ils payèrent ou non, mais toute fois ils ne furent point ars ni assaillis ; et s’en vinrent les Anglois à Narbonne et se logèrent au bourg.

À Narbonne[6] a cité et bourg. Le bourg, pour ce temps étoit une grosse ville non fermée séant sur la rivière d’Aude qui descend d’amont vers Carcassonne ; et dessous Narbonne, à trois lieues, elle chiet en la mer qui va en Chipre et par tout le monde.

La cité de Narbonne qui joint au bourg étoit assez bien fermée de murs, de portes et de tours, et là dedans est l’hôtel le comte Aimeri de Narbonne qui, pour ce temps que le prince de Galles et les Anglois se vinrent loger au bourg, y étoit, et grand’foison de chevaliers et d’écuyers du pays Narbonnois et d’Auvergne que le dit comte y avoit fait venir pour aider à garder sa cité. En la cité a canonneries moult grandes et moult nobles ; et sont en une église on dit de Saint-Vist, et valent par an bien cinq mille florins. Cette marche de Narbonne est un des bons et des gras pays du monde, et quand les Anglois et les Gascons y vinrent ils le trouvèrent durement riche et plein. Voir est que ceux du bourg de Narbonne, avoient retrait en la cité leurs femmes et leurs enfans et partie de leur avoir, et encore en trouvèrent les Anglois et les Gascons assez. Quand les Anglois eurent conquis le bourg de Narbonne sur les Narbonnois, desquels il y eut morts et pris assez, ils se logèrent à leur aise en ces beaux hôtels dont il y avoit à ce jour plus de trois cents, et trouvèrent ens tant de biens, de belles pourvéances et de bons vins, qu’ils n’en savoient que faire.

Et étoit l’intention du prince que de faire assaillir la cité ainsi qu’il fit, et du prendre ; car dit lui fut que, s’ils la prendoient, ils trouveroient tant d’or et d’argent dedans, de bons joyaux et de riches prisonniers que le plus povre des leurs en seroit riche à toujours. Et aussi le prince attendoit la redemption de ceux de Cabestain et d’aucunes villes et châteaux en Narbonnois qui s’étoient rançonnés à non ardoir. Si se tenoient tout aises sur celle belle rivière d’Aude, eux et leurs chevaux, et buvoient de ces bons vins et de ces bons muscades, et toudis en espoir de plus gagner.

Si devez savoir que ces cinq jours que le prince fut au dit bourg de Narbonne, il n’y eut oncques jour que les Anglois et Gascons ne fissent et livrassent cinq ou six assauts à ceux de la cité, si grands, si forts et si merveilleux, que grand’merveille seroit à penser comment de chacun assaut ils n’étoient pris et conquis. Et l’eussent été, il n’est mie doute, si ne fussent les gentilshommes qui en la cité étoient ; mais ceux-ci en pensèrent si bien, et s’y portèrent si vassamment, que les Anglois ni les Gascons n’y purent rien conquerre. Si s’en partirent le prince avec toutes ses gens ; mais à leur département, les Anglois, varlets et pillards, payèrent leurs hôtes, car ils boutèrent en plus de cinq lieux le feu au bourg, par quoi il fut tout ars.

Si chevauchèrent le prince et ses gens, en retournant vers Carcassonne, car ils avoient tant conquis d’avoir et si en étoient chargés, que pour celle saison ils n’en vouloient plus ; de quoi ceux de Béziers, de Montpellier, de Lunel et de Nîmes, qui bien cuidoient avoir l’assaut, en furent moult joyeux, quand ils sçurent que les Anglois leur tournoient le dos. Et vinrent les Anglois en une bonne grosse ville par delà la rivière d’Aude, car ils l’avoient passée au pont de Narbonne en Carcassonnois, que on appelle Limoux, et y fait-on pennes plus et meilleurs que d’autre part.

Cette ville de Limoux pour le temps d’adonc étoit foiblement fermée. Si fut tantôt prise et conquise et grand avoir dedans ; et y eut ars et abattu à leur département plus de quatre cents maisons et beaux hôtels, dont ce fut grand dommage.

Ainsi fut en ce temps ce bon pays et gras de Narbonnois, de Carcassonnois et de Toulousain pillé, dérobé, ars et perdu par les Anglois et par les Gascons. Voir est que le comte d’Armignac étoit à Toulouse et faisoit son amas de gens d’armes à cheval et à pied pour aller contre eux, mais ce fut trop tard ; et se mit aux champs à bien trente mille hommes, uns et autres, quand les Anglois eurent tout exillié le pays. Mais le dit comte d’Armignac attendoit monseigneur Jacques de Bourbon qui faisoit son amas de gens d’armes à Limoges et avoit intention d’enclorre les Anglois et Gascons ; mais il s’émut aussi trop tard, car le prince et son conseil, qui ouïrent parler de ces deux grandes chevauchées que le comte d’Armignac et messire Jacques de Bourbon faisoient, s’avisèrent selon ce et prirent à leur département de Limoux le chemin de Carcassonne pour repasser la rivière d’Aude, et tant firent qu’ils y parvinrent. Si la trouvèrent en l’état où ils la laissèrent, ni nul ne s’y étoit encore retrait. Si fut tellement pararse et détruite des Anglois, que oncques n’y demeura de ville pour herberger un cheval, ni à peine savoient les héritiers ni les manans de la ville rassener ni dire de voir : « Ci sist mon héritage. » Ainsi fut-elle menée.

Quand le prince et ses gens eurent repassé la rivière d’Aude, ils prirent leur chemin vers Mont-royal, qui étoit une bonne ville et fermée de murs et de portes et sied en Carcassonnois. Si l’assaillirent fortement quand ils furent là venus, et la conquirent de force, et grand pillage dedans que ceux du pays y avoient attrait sur la fiance du fort lieu ; et là eut morts grand’foison de bidaus, hommes de la ville, pourtant qu’ils s’étoient mis à défense et qu’ils ne s’étoient voulu rançonner ; et fut au département des Anglois la ville toute arse ; et puis prirent le chemin des montagnes, ainsi que pour aller vers Fougans et vers Rodais, toudis ardant et exillant pays, et rançonnant aucunes villes fermées et petits forts qui n’étoient mie taillés d’eux tenir. Et devez savoir que en ce voyage le prince et ses gens eurent très grand profit ; et repassèrent les Anglois et les Gascons tout paisiblement dessous la bonne cité de Toulouse au port Saînte-Marie la rivière de Garonne, si chargés d’avoir que à peine pouvoient leurs chevaux aller avant. De quoi ceux de Toulouse furent durement émus et courroucés sur les gentilshommes, quand ils sçurent que les Anglois et les Gascons, sans eux combattre, avoient repassé la rivière de Garonne, et s’étoient mis à sauveté ; et en parlèrent moult vilainement sur leur partie ; mais tout ce se passa. Les pauvres gens le comparèrent qui en eurent adonc, ainsi qu’ils ont encore maintenant, toudis du pire.

Ces chevauchées se dérompirent, car le prince s’en retourna à Bordeaux et donna une partie de ses gens d’armes congé, et espécialement les Gascons, pour aller visiter les villes et leurs maisons ; mais telle étoit l’intention du prince, et si leur disoit bien au partir, que à l’été qui revenoit, il les mèneroit un autre chemin en France, où ils feroient plus grandement leur profit qu’ils n’avoient fait, ou ils y remettroient tout ce qu’ils avoient conquis et encore du leur assez. Les Gascons étoient tout confortés de faire le commandement du prince et d’aller tout partout là où il les voudroit mener.

  1. Les corporations de métiers étaient formées en autant de compagnies commandées par leurs doyens.
  2. Car, à vrai dire, on ne recouvre jamais de pierre dans ce pays.
  3. Castel-nau-d’Ari.
  4. Froissart, qui était un grand lecteur de romans, confond souvent les traditions des légendes historiques avec l’histoire. L’histoire de Charlemagne avait été, autant que celle d’Arthur, défigurée par les romanciers, et peu à peu les jeux et leur imagination avaient usurpé le crédit qui n’est dû qu’à la vérité. Le fait mentionné ici par Froissart est purement du domaine de la fable, aussi bien que le voyage de Charlemagne à Jérusalem et tant d’autres histoires fabuleuses dont ce souverain a été l’objet. Les hauts faits de Charlemagne à Carcassonne et à Narbonne sont tirés d’un roman intitulé de captione Carcassonnæ et Narbonæ, publié récemment par M. S. Ciampi à Florence, d’après un manuscrit de la bibliothèque Laurentienne, sous le titre de Gesta Caroli magni ad Carcassonam et Narbonam et de œdificatione monarterii Cressensis. Ce roman, attribué à un certain Philumena, que l’auteur prétend contemporain de Charlemagne, est en effet l’œuvre de quelque moine du treizième siècle, qui aura voulu relever le mérite de son abbaye de La Grasse, en lui donnant Charlemagne pour fondateur. L’abbé Le Bœuf a parfaitement démontré (Voy. les Mém. de l’Académie des Belles-Lettres) que l’ouvrage qui porte le nom de Philumena n’a été composé que vers le règne de saint Louis, c’est-à-dire au milieu du treizième siècle.
  5. Capestan n’est pas sur la mer, mais près d’un lac.
  6. Robert d’Avesbury a publié trois pièces en français, qui montrent avec quelle exactitude Froissart était informé des détails des événemens de son temps, pour lesquels nous n’avons souvent que son témoignage. Voici ces pièces qui sont d’un grand intérêt historique, nos historiens et les historiens anglais n’ayant parlé que fort succinctement de cette campagne.
    Lettre du prince de Gales à l’évêque de Winchester.

    « Reverent piere en Dieux et tres-foiable amy, endroit des novelx ceaundroites, voiliez savoir qe puis la feisance de nos darreins lettres queux nous vous envoiasmes, accordé est par avys et conseil de touz les seignours esteauntz entour nous et de seignours et de barouns de Gascoigne, par cause que le counte d’Ermynake estoit cheveteyn des guerres notre adversarie et son lieutenant en tut la païs de Lange-de-oke, et pluis avoit grevé et destruit les lieges gentz notre très honouré seigneur et piere le roy et sa païs que nul aultre en ycelles parties, que nous deveroms trere vers son païs d’Ermynake. Si alasmes l’aundroit parmy le païs de Juylac la quele se rendi a nous od les forteresces que dedeins estoient. Si chivachasmes après parmy la païs d’Erminake, grevauntz et destruiauntz la païs, de quoy les lieges notre dit très honouré seigneur as queux il avoit devaunt grevé estoient mult reconfortez ; et d’illesqes passâmes parmy la terre de la viscounté de la ryvere. Si chivachasmes après la païs du counte d’Astrack, et d’illesques parmy la counte de Comenges, tanqe à une ville appelé Seint-Matan q’estoit la meillour ville du dit countée, la quelle ceaux qui dedeinz estoient voideront à la venue de noz gentz. Et puis passasmes par la terre le counte de Isle, tanqe nous venismes à une leage de Tholouse, où le dit counte d’Ermynake et aultres grauntz noz enemys estoient assemblés, où nous demurrasmes par II jours. Et d’illesqes prismes notre chemyn et passasmes en un jour les ryvers de Gerounde et de Ariage à une leage par amount Tholouse, qe sount assetz reddes et fortz à passer, saunz gaires parde de nos gentz, et loggasmes la nuyt à une leage de l’autre lée de Tholouse. Et prismes notre chemyn parmye Tholousane où estoient meyntes bones villes et forteresces arz et destruitz, qar la terre estoit mult riche et plenteouse ; et si n’estoit nulle journé qe villes, chasteaux et forteresces n’etoient prises par ascune de noz batailles ou par chescune. Et d’illesqes alasmes à la ville de Avinonetes q’estoit bien graunt et fort, et fust par force dedeinz quelle estoient loggez toutz nos batailles. Si alasmes d’illeosqes à Chastielnaudary où nous venismes la veille de Toutz Seintes, et demurrasmes illesqes le jour de le feste tout l’ost dedeinz loggé. Et d’ilesqes prismes notre chemyn à Carcasson q’estoit belle ville et graunt, et grauntz cheveynteyns dedeinz et des gentz d’armes et comunes à graunt nombre, qar tut le pluis de gentz du païs de Tholousane tant qe là estoient fuis ; mais à notre venue ils guerpèrent la ville et s’enfuirent à l’auncien ville q’esfoit mult fort chastiel. Si demurrasmes illesqes II jours tut l’ost dedeinz loggé ; et le tierce jour entier demurrasmes sour l’ardour de la dite ville, si q’ele estoit netement destruit et defet. Et puis chivachasmes tut la païs de Carcassées, tant qe neus venismes à la ville de Nerbone q’estoit noble ville et graunt assetz pluis qe n’estoit Carcassone laquelle les gentz d’icelle guerperount et mistrent en chastiel dedeintz qe le estoit le vicounte de Nerbone od D cent hommes d’armes, à ceo come dist est, où nous demurrasmes II jours, l’ost dedeinz loggé ; à quelle heure le Seint Piere le pape maunda devers nous II evesques, les queux maunderent à nous pour conduyt avoir, lequele nous ne lor vodroms ottroier ; qar nous ne vorroms entrer en treté nul tanqe nous sussoms la volunté notre très honouré seigneur et piere le roy d’Engleterre, et nomément par cause que nous avoms novelx qe notre seigneur estoit passé la mear ovesqe sa poar. Einz lour ranandasmes par noz letres qe s’ils vorront treter ils se treassent devers luy, et ceo q’il nous vorroit comaunder nous le ferrons, et en tiele manere ils se retournerent. Et illeosqes prismes notre consail vers où nous purrons meultz trere ; et par cause qe nous avoms novels de prisoners et aultres qe noz ennemys estoient assemblez et venoient après nous pour nous combattre, nous retournasmes devers eaux d’aver en la bataille deinz les treiz jours en suauntz, et sour notre retourn devers eaux ils se retournèrent devers Tholouse. Si les pursuismes à graunte journés tanqe près Tholouse où nous prismes notre chemyn à passer Gerounde à une ville appellé Calboun à trois leages de Tholouse, où nous demurrasmes un jour. Et la nuyt suaunt devaunt la my nuyt nous viendrent novelx qe les ennemys od tut lour poair, c’est assavoir, le counte d’Erminake, le constable de France, le mareschal Clermound et le prince d’Orenge, ensemblement od plusours aultres grauntz de ycelles parties, estoient venuz de Tholouse et se loggerent à II leages près de notre rere-gard où ils pardrent de lour gentz et cariages sous lour loggier. Sour quelles novels nous treismemes devers eaux ; et sour ceo mandasmes hors hors mounseir Barth. de Burgwesh, mounseir Johan Chandos, mounseir James d’Audelé, mounseir Bawdewin Botour, mounseir Thomas de Filtoun et aultres de nôtres, à la mountance de XXX gleyves, de noz certifier de certeinté desditz enemys ; les queux chivachoient devers eux tanqe ils viendrent à une ville où ils trovèrent CC hommes d’armes de lour, ove les queux ilsavoient à feare, et pristerount de eaux XXX et V hommes d’armes. Sour quele busoigne les ennemis se hastoient mult affrément à lour logges et tendrent lour ebaâyn tout droit à les villes de Lombeys et Sauveterre, lesquelles villes n’estoient l’une de l’autre que dimi liege engleie ; devaunt quelles nous nous loggasmes la nuyt, si près de eaux que nous purroms véer lour fewes en lour logges ; mais il y avoit entre eaux et nous une grande profounde ryver ; et de nuyt devaunt notre venue ils ont debrusé les pounts, si que nous ne pourroms passer tanqe lendemayn que nous mandasmes nos gentz devaunt pour feare les dilz pounlz. Et d’illesqes les enemys se treerent à la ville de Gymound où nous venismes le jour qu’ils y viendrount ; et devaunt q’ils purroient entrer la dite ville, noz gens pristrent et tuerent tut plein de lour ; et mesme celle nuyt nous loggasmes devaunt la dite ville et demurrasmes illeosqes lendemayn tout la jour, entendauntz d’aver es la bataille. Et le dit jour estoioms armez od toutz nos batailles ès champs devaunt le solail levaunt, où nous vendrent novelx qe devaunt jour la pluis graunt partie de lour ost estoient departez ; mais les cheveyntey ens demurrerent en pées en la dite ville q’estoit graunt et forte pour tenir encountre multz des géntz. Et après celes novels nous retournasmes à nos logges et prismes consail que meult nous seroit à feare. Sour qoi, nous n’entendismes pas q’ils vorront aver le bataille, accordez estoit qe nous nous deverons trere devers noz marches, en manere et solonc ceo que mounseir Richard de Stafforde vous savera plus pleinement dire qe nous ne vous puissoms escrivere ; à qi voiliez de cestes choses et toutz aultres q’il dira et monstera de par nous doner plein foie et credence. Reverent piere en Dieux et très fiable amy, luy tut puissaunt vous eit toutz jours en sa garde. Doné soutz notre secré sceal à Burdeaux le jour de Noel. »

    Lettre de J. Wingfeld, commandant dans l’armée du prince de Galles et un de ses principaux conseillers.

    Mounseir, quaunt as novels devers noz partiez vous please entendre qe mounseir le prince et toutz les countes, barons, banerets, chivalers et esquiers estoient en fesaunce du ceste en bone sanité, et mounseir n’ad en toute cestes viage pardue nul chivaler ne esquier sinoun mounseir Johan de Lisle qe fust tuez moult merveilousment d’un quarel, le tierce jour qe nous entrasmes en les terres de nos enemys, et morrust le xve jour octobre. Et, mounseir, vous please savoir qe mounseir ad chiachée parmye le countée d’Ermynake et ad pris illesqes plusours villes encloses et les ad arz et destruitz, hors pris certayns villes qu’il ad estably. Et puis il ala en la viscounté de Ryver et prist une bonne ville qu’au à noun Pleasaunce, q’est chief ville du païs, et l’ad arz et destruit et tut la païs environ. Et puis il alla en la countée d’Astryk et prist plusours villes, et gasty et destruit tut la païs. Et puis en la countée de Comenge, et prist illeosques plusiours villes et les fit ardre et détruire et tout la païs, et prist la chief ville q’ad à noun Seint Matan et est auxi graunde ville comme Norwiche. Et puis entra en le countée de Lille et prist graunt partie des villes encloses, et fist ardre et destruire plusours bonnes villes tresparses. Et puis entra en la seigneurie de Tholouse à là, et passâmes la ryver de Gerounde à une aure ryver, une leage amount Tholouse, q’est mult graunt ; qar nos enemys avoient debrusé toutz les pountz d’une partie Tholouse et d’autres, fors pris les pounts en Tholouse que la ryver va parmy la ville. Et le constable de Fraunce, le marschal de Clermound, le counte d’Erminake étoient od graunt poar en la dite ville à mesme le heure. Et la ville de Tholouse est moult graunt et forte et beale et bien enclose ; et il n’avoit nully en notre host qe unques savoit gué illesqes ; mais par là grâce de Dieux qe homme le trovast. Et puis il ala parmi la seigneurie de Tholousane et prist plusours bonnes villes encloses, et les ad ars et destruitz et tout la païs envyroun. Et puis entrasmes en la seigneurie de Karkasone, et plusours bonnes villes prismes avant que nous venismes à Carcasoun ; et prist la ville de Carcasoun q’est plus graunt, plus fort et plus beale qe Everwick ; et tut celle ville et toutz les altres villes et païs fusrent arz et destruitz. Et puis passasmes, et par plusours journées fusmes passez la païs de Carcasoun, et entrasmes en la seigneurie de Nerbone et prismes plusours villes et les gastames tanque nous venismes à Nerbone. Et la ville de Nerbone se teneit et fust gagné par force ; et la dite ville est poi meyndre de Loundres, et est sour la mear de Grece et y n’ad de la dite ville à la haute mear de Grece, qe deux petitz leages, et il y a port de mear et arivalle où les navires abordent aisément, dount la eawe vient à Nerbone, et Nerbone n’est qe quinze leages de Mountpelleres et dix-huit de Eguemort et trente de Avynon, Et vous please savoir que le Seint Piere maunda ses messagers à mounseir qe ne fusrent qe sept leages de luy ; et les messages maunderent un serjaunt d’armes qe fust serjaunt d’armes des huys de la chambre le Seint Piere od lour lettres à moinseir, em pryauntz qu’ilz purroient aver conduyt de venir à mounseir, mounstrantz a luy lour messages del Seint Piere, qe fust pour treter entre mounseir et sez adversaries de Fraunce. Et le dit messager estoit deux jours en l’ost avaunt qe mounseir luy volei véer ou rescevre ses lettres.

    Et ceo fust l’encheison qe mounseir eust ne velx qe la poair de Fraunce estoit venuz hors de Tholouse d’encoste Carcasoun ; issint qe mounseir voudroit turner ariere sour eaux sodeignement ; et ensi fist. Et le tierce jour, quaunt nous deveroms avoir venir sour eaux, ils avoient novelx de nous devaunt le jour, et lour retreerent et disparirent devers les mountaygnes et les forées et alerent à graundes journées devers Tholouse. Et les gentz du païs qe fusrent lour guydes de lour amener cele chemyn partie de eux fusrent pris à lour retourner de eaux. Et pour ceo qe le serjaunt d’armes le Seint Piere fust en ma garde, jeo luy fice examyner les guydes qe fusrent ensi prises, qar le guyde q’il examyna fust le guyde le constable de Fraunce celle native ; et il purreit bien véer el counstre le contenaunce de les Fraunceis par l’examinement. Et jeo disoi al dit serjaunt q’il purroit bien dire à Seint Piere et à toutz les aultres de Avynoun ceo q’il avoit veu et oye. Et quaunt al respounse qe mounseir fist as messages, vous tiendrés bien paiés si vous seussez tout le manère ; qar il ne voleit soffrer en nul manère lez dits messages venir pluis près de lui, mais s’ils voudront treter q’ils maundassent au roy mounseir, et qe mounseir ne voleit rien feare si ne soit par comandement du roy ; mounseir ne voleit oyer nul tretée saunz soun maundement ; et del retourner mounseir après ses enemys, et del passage de Gerounde et de lez prises chastiels et villes en celle chemyn et d’autres choses q’il ad fait sour ses enemys en poursuaunt de eux, qe sount muilt beales et honourables, come plusours gentz entendount, en manere come mounseir Richarde de Stafforde et mounseir William de Burtoun saevrount pluis pleinement monstrer qe jeo ne vous puisse par letres maunder ; qar ceo seroit trop pour escrivere la manere. Et mounseir chivacha sour ies enemys huit semaygnes entiers et ne sojourna en toutz lieus forsqe onze jours. Et entenk in certain qe, pus qe caste guerre commencea devers le roy de Fraunce, y n’ont unqes tiel part en tiele destruccion come il ad eu à ceste chivaché ; qar la païs et les bones villes qe sount destruitz à ceste chivaché trova à roy de Fraunce pluis chescun an à maintenir sa guerre qe ne fist la moitié de son roialme, hors pris l’eschounge q’il fist chescun an de sa moneie et l’avantage et custume q’il prent du celle de Peyto, come jeo vous saveray monstrer par bone remembrance qe fusrent trovez en diverses villes en les hostès de resceivours ; qar Carcasoun, et Lémoignes q’est ausci graunt come Carcasoun, et deux aultres villes de costé Carcasoun troverount chescun an au roy de Fraunce les gages de mil hommes d’armes et oultre ceo C mil escutz veux pour maintener la guerre. Et entenk, par les remembraunces qe nous trovasmes, qe les villes en Tholousane qe sount destruitz et les villes en Carcasoun et la ville de Nerbone et de Nerbondoys troverent chescun an, ove la summe suisdite, en ayde de sa guerre, CCC mil escutz veux, come bourgeos de les graundes villes et autres gentz du païs, qe deveroient aver bone conissaunce, nous ount dist. Et par l’ayde de Dieux, si mounseir eust de qey de maintener ceste guerre et de feare le proffit du roy et soun honour, il enlargisseroit bien les marches et gaigneroit plusours lieux, qar noz enemys sount mult estonez. Et à feisaunce du ceste mounseir avoit ordeigné de maunder toutz les countes et toutz les barons à demurrer à diverses lieus sour les marches pour faire chivachés et grever ses enemys. Mounseir, aultres novelx à présent ne vous say maunder ; mès voz volentés qe vous plerra devers moy toutz jours le moy voilletz par voz letres comaunder come à le votre à tout ma poair. Moun très honourable seigneur, bone vie, joye et sanité vous doigne Dieu et long. Escrite à Burdeaux le meskerdy proschein devaunt Noël*.

    Autre lettre de Wingfeld à Richard de Stafford, qui, après être venu faire la guerre en Gascogne, était retourné en Angleterre.

    Très cher, S. et très fyable amy, endroit des novels ; puis votre departir voiliez savoir qe sount pris et rendutz cinq villes encloses, c’est assavoir, port Seinte-Marie, Cleyrak, Tonynges, Burgh Seint-Piere, Chastiel Sacra et Brassak ; et dix-sept chastiels, c’est assavoir, Coiller, Buset, Levinak, deux chastiels appeliez Boloynes qe sount bien près l’un de l’autre, Mounjoye, Viresch, Frechenet, Mountaundre, Pusdechales, Mounpoun, Mountanak, Valeclare, Benavaunt, Lystrak, Plasak, Contdestablisoun et Mounrivel. Et voiliez savoir qe Mounseir Joban Chaundos, mounseir James d’Audelé et voz gentz qe sount ovesqe eaux, et les aultres Gascoignes qe sount en lour companye, et mounseir Baldewyn Botort et celle companye, et mounseir Renaud Cobham, pristrent la dite ville q’ad à noun Chastiel Sacrat, par assaut ; et le bastard de Lisle, qe fust capitain de la dite ville, fust tué auxi come ils assaillerent, qe fust feru od un saete parmy la teste. Et mounseir Renaud est retourné arere vers Lanedak, et mounseir Bawdewin vers Brassak od lour compagnye et mounseir Johan et mounseir James et ceaux de lour compagnye sount demurrez en Chastiel Sacrat et ount assez de toutz maners vivres entre cy et le Seint-Johan, si ne soit de pessoun frès et clowes, come nous ount maundé par lour letres.

    Sour quoy y ne covient pas que vous pensez de vos bones geantz ; et sount en celle ville plus qe CCC gleyves et de CCC servauntz et CL archiers ; et ount chivaché devaunt Agente, et arz et destruitz toutz leur molyns, et auxi ont debrusé et arz lour pounlz qe aloient oultre Gerounde, et ount pris un chastiel hors de la dite ville, et là ount estabiy. Et mounseir Johan d’Ermynake et le seneschal d’Agenois q’estoient en la ville de Agente ne voillent une foitz butere hors lour teste ne nulle de lour gentz, unqore ount-ils esté devaunt la dite ville II foitz. Et mounseir Busicaud estoit venuz, et mounseir Ernald d’Espaigne et Grymoton de Chamblue od CCC gleyves et CCC servauntz Lombardes, et sount en la ville de Muschak q’est en Cressy, et n’est forsqe une leage de Chastiel Sacra et une leage de Brassak ; et vous purretz bien penser q’il avera illesqes bon companye pour assaier chescun compaignon aultre. Et voillez savoir qe mounseir Bartheu est à Coniak od VI vingt hommes de armes de l’hostel mounseir et VI vingt archiers, et le capitan le la Buche, le sire Mountferraunt et le site de Crotoin q’ount bien ovesque eaux CCC gleyves et VI vingt archiers et CC servauntz ; et sount en Tailburgh, Tanney et Rocheford des gentz d’armes, issint qu’ils poient bien entre quaunt ils sount ensemble DC gleyves. Et à feisaunce du cestes estoient hors sour une chivaché vers Ango et Peyto. Et les countes de Suthfolk, d’Oxenforde et de Salusbury, le sire de Mussenden, mounmsire Elys de Pomers et aultres Gascoignes ovesqe eaux, qe sount bien pluts qe D cents gleyves et CC servauntz et CCC archiers ; et estoient à feisaunce du cestes vers les parties de Notre Dame de Rochemade, et ount esté hors pluis que XII jours, et n’estoient revenuz au départir de cestes. Mounsire Johan Chaundos, mounsire James et mounsire Baudewin et ceaux qe sount en leur companye sount auxi hors sour une chivaché devers lour parties. Mounsire Renaud et ceux de Mesoun od les Gascoignes qe sount en lour companye sount auxi hors sour une chivaché devers lour parties. Le counte de Warewyk ad esté à Tonynges et à Clerak au prendre ycelles villes, et est au feisance de cestes devers Mermande pour destruire lour vines et tout aultre chose q’il purra destruire de eux. Mounsire est à Leybourne, et le sire de Pomers à Frensak qe n’est qe un quarter de une leage de Leybourne. Et les gentz mounsire gisoient auxi bien à Seint Milioun come à Leybourne. Et mounsire Berarde de Bret est illesqes ovesqe luy. Et, mounsire gaite novels lesquelles il deit aver ; et solone les novels qu’il avera il se tretera od il semble que meultz soit sour soun honour. Au feisaunce du cestes le counte d’Ermynake estoit à Avynoun, et le roi d’Arragon est illesqes. Et toutz aultres parlaunces qe fusreut en diverses lieus dount vous eu avez conisaunce jeo ne vous say maunder. À fesaunce du cestes, très cher sire, aultre chose ne vous say maunder à vous, mais qe vous pensés d’envoier novels à mounsire â le pluistot come en nul manere bonement purretz. Très cher sire, Notre Sire vous doigne bone vie et long. Escré à Leybourne le XXIIe jour de janever (1356).

    * Le jour de Noël, en 1355 était un vendredi ; ainsi le mercredi précédent était le 23 décembre.