Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre II/Chapitre CLXII

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Texte établi par J. A. C. Buchon (IIp. 214-215).

CHAPITRE CLXII.


Comment un nombre de Flamands partirent du siége devant Audenarde, et des maux qu’ils commirent en Flandre et en Tournesis.


Entrementes que on séoit devant Audenarde se départirent bien onze cents hommes de l’ost ; et se avisèrent que ils iroient voir le pays et abattre et fuster les maisons des chevaliers qui issus de Flandre étoient et venus demeurer en Hainaut, en Brabant et en Artois, eux et leurs femmes et leurs enfans. Si accomplirent tout leurs propos ; et firent ces routiers moult de desroys parmi Flandre, et ne laissèrent oncques maison ni hôtel de gentilhomme que tous ne fussent ars et rués par terre ; et s’en vinrent de rechef à Male, l’hôtel du comte, séant à demi lieue de Bruges, et quand ils l’eurent fusté ils le par-abatirent. Et trouvèrent le repos où le comte avoit été mis d’enfance, et le dépécèrent pièce à pièce, et la cuvelette où on l’avoit baigné, et la dépécèrent aussi toute ; et abattirent la chapelle et apportèrent la cloche. Depuis s’en vinrent à Bruges, et là trouvèrent Piètre du Bois et Piètre le Vintre qui leur firent bonne chère et leur sçurent bon gré de ce que ils avoient fait, et leur dirent que ils avoient bien exploité.

Quand ces routiers se furent rafreschis à Bruges quatre jours, ils prirent leur chemin vers le Pont Warneston et passèrent la rivière du Lys, et s’en vinrent devant la ville de Lille ; et abattirent aucuns moulins à vent ; et boutèrent le feu en aucuns villages devers Flandre. Adonc s’armèrent et s’en vinrent à pied et à cheval plus de quatre mille de ceux de Lille après ces routiers ; et y ot de ces Flamands de ratteints : si en y ot de morts et de pris à qui on trancha depuis les têtes à Lille ; et s’ils eussent été bien poursuivis, jà pied n’en fût échappé. Toutes fois ces routiers de Gand entrèrent en Tournésis et y firent moult de desroys ; et ardirent la ville de Selchin et autres villages environ qui sont du royaume de France, et retournèrent atout grand’proie au siége d’Audenarde.

Ces nouvelles vinrent au duc de Bourgogne qui se tenoit à Bapeaumes en Artois, comment les Gantois avoient couru, pillé et ars aucuns villages sur le royaume de France. Si en escripsit tantôt tout le convenant le duc de Bourgogne devers son neveu le roi de France qui se tenoit à Compiègne, et aussi au duc de Berry son frère, au duc de Bourbon et au conseil du roi, afin que ils eussent avis. Et ne voulsist mie le duc de Bourgogne que ce ne fût advenu, ni que les Flamands n’eussent autrement fait ; car il pensoit bien que il en convenoit ensoigner le roi de France ; autrement son sire, le comte de Flandre, ne reviendroit jamais à l’héritage de Flandre. Et aussi, tout considéré, celle guerre le regardoit trop grandement ; car il étoit de par sa femme, après la mort de son seigneur le comte, héritier de Flandre.