Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre II/Chapitre LXXXIX

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CHAPITRE LXXXIX.


Comment ceux de la ville d’Yppre se rendirent au comte Louis leur seigneur, et comment plenté de peuple fut désolé à Yppre.


Quand ils eurent ainsi par leur embûche rués jus les Gantois et bien morts trois mille ou environ, que de ceux de Gand que de ceux de Yppre, le comte eut conseil que il se trairoit devant la ville de Yppre, et y mettroit le siége. Si comme il fut conseillé il fut fait ; et se trait le comte celle part à tous ses gens et belle compagnie de chevaliers et écuyers de Flandre, de Hainaut et d’Artois, qui l’étoient venu servir. Quand ceux de Yppre entendirent que le comte leur sire venoit là si efforcément, si furent tous effrayés ; et orent conseil, les riches hommes et les notables de la ville, que ils ouvriroient leurs portes et s’en iroient devers le comte, et se mettroient du tout en son ordonnance, et lui crieroient merci ; car bien savoit que de ce que ils étoient et avoient été Gantois, ce avoit été par force et par le commun, si comme foulons et tisserands et tels méchans gens de la ville : si sentoient bien le comte si noble et si pitable que il les prendroit à merci. Si comme ils ordonnèrent ils firent ; et s’en vinrent plus de trois cents d’une compagnie au dehors de la ville d’Yppre, et avoient les clefs des portes avec eux ; et quand le comte de Flandre fut venu, ils se jetèrent tous à genoux devant lui, et lui crièrent merci, et se mirent du tout, eux personnellement et toute la ville, en sa volonté. Le comte en eut pitié et les fit lever et les prit à merci. Si entra, et toute sa puissance, en la ville de Yppre et y séjourna environ trois semaines, et renvoya ceux du Franc et ceux de Bruges. En ce séjour que le comte fit à Yppre, il en fit décoler plus de sept cents, foulons et tisserands et telles manières de gens, qui avoient mis premièrement Jean Lyon et les Gantois en la ville, et occis les vaillans hommes que il avoit établis là et envoyés, pour laquelle chose il étoit moult iré pour ses chevaliers. Et afin que ils ne fussent plus rebelles envers lui, il envoya trois cents des plus notables de la ville tenir prison à Bruges ; et quand il ot tout ce fait, il s’en retourna à Bruges, à belle compagnie de gens d’armes ; mais il prit le chemin de Courtray, et dit que il vouloit ceux de Courtray mettre en son obéissance.