Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre II/Chapitre XC

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Texte établi par J. A. C. Buchon (IIp. 135-136).

CHAPITRE XC.


Comment ceux de Courtray furent reçus à merci du comte leur seigneur, et comment le comte alla mettre le siége à grand effort devant Gand ; et du confort que les Gantois avoient des Brabançons et Liégeois.


Quand ceux de Courtray entendirent que le comte, leur seigneur, venoit si efforcément sur eux, et que ceux de Yppre s’étoient mis en son obéissance, ils se doutèrent grandement, car ils ne véoient point de confort apparent en ceux de Gand. Si se devisèrent que ils se rendroient légèrement à leur seigneur ; et trop mieux leur valoit à être de-lez le comte, quand ils lui devoient foi et loyauté, que de-lez les Gantois. Adonc s’ordonnèrent trois cents de la ville, tous des plus notables, et se mirent tous à pied sur les champs, contre la venue du comte, les clefs de la ville avec eux. Quand le comte dut passer, ils se jetèrent tous à genoux, et lui crièrent merci. Le comte en eut pitié ; si les reçut à merci et entra en la ville moult joyeusement ; et tous et toutes lui firent honneur et révérence. Si prit des bourgeois de Courtray environ trois cents des plus notables, et les envoya à Lille et à Douay en hostagerie, afin que ceux de Courtray ne se rebellassent plus ; et quand il eut été à Courtray six jours, il s’en alla à Douze, et de là à Bruges, et s’y rafraîchit environ quinze jours. Et adonc fit-il un grand mandement partout pour venir assiéger la ville de Gand ; car toute Flandre pour ce temps étoit appareillée à son commandement. Si se partit le comte de Flandre de Bruges moult efforcément, et s’en vint mettre le siége devant Gand, et se logea en un lieu que on dit en la Biette. Là vint messire Robert de Namur servir le comte à une quantité de gens d’armes, ainsi que il lui étoit escript et mandé ; mais messire Guillaume de Namur n’y étoit adonc point, ains étoit en France de-lez le roi et le duc de Bourgogne. Ce fut environ la Saint-Jean decolace[1] que le siége fut mis à Gand ; et étoit maréchal de tout l’ost de Flandre le sire d’Enghien, qui s’appeloit Gaultier, qui pour ce temps étoit jeune, hardi et entreprenant, et ne ressoignoit peine ni péril qui lui pût advenir. Quoique le comte de Flandre fût logé devant Gand à grand’puissance, si ne pouvoit-il si contraindre ceux de la ville que ils n’eussent trois ou quatre portes ouvertes, par quoi tous vivres sans danger leur venoient. Et aussi ceux de Brabant, et par espécial ceux de Bruxelles leur étoient moult favorables. Aussi étoient les Liégeois ; et leur mandèrent ceux du Liége pour eux réconforter en leur opinion : « Bonnes gens de Gand, nous savons bien que pour le présent vous avez moult à faire, et êtes fort travaillés de votre seigneur le comte et des gentilshommes, et du demeurant du pays, dont nous sommes moult courroucés ; et sachez que si nous étions à quatre ou à six lieues près marchissans à vous, nous vous ferions tel confort que on doit faire à ses frères, amis et voisins : mais vous nous êtes trop loin, et si est le pays de Brabant entre vous et nous ; pourquoi il faut que nous nous souffrions. Et pour ce, si vous êtes maintenant assiégés, ne vous déconfortez pas ; car Dieu sait, et toutes bonnes villes, que vous avez droit en cette guerre : si en vaudront vos besognes mieux. » Ainsi mandoient les Liégeois à ceux de Gand pour eux donner bon confort.

  1. Décollation de saint Jean, le 29 août. Voyez, dans l’Addition qui suit ce livre, quelques détails nouveaux sur cette guerre des Flamands.