Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre II/Chapitre LXXXVIII

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Texte établi par J. A. C. Buchon (IIp. 134-135).

CHAPITRE LXXXVIII.


Comment Jean Boulle fut par les Gantois occis à Courtray, et comment Jean de Lannoy eut la garde du château de Gavres.


Vous avez plusieurs fois ouï recorder que c’est dure chose que de rapaiser commun quand il est ému : je le dis pour ceux de Gand. Quand ils furent ce jour retraits à Courtray, les déconfits sçurent que Jean Boulle étoit en la ville ; si se mirent plus de mille ensemble et dirent : « Allons au faux et très mauvais traître Jean Boulle qui nous a trahis ; car par lui, et non par autre, fûmes-nous menés au chemin dont nous entrâmes en l’embûche. Si nous eussions cru Arnoux Clerc, nous n’eussions eu garde ; car il nous vouloit mener droit sur nos gens ; et Jean Boulle, qui nous avoit vendus et trahis, nous a menés là où nous avons été déconfits. » Or regardez comment ils l’accusèrent de trahison : je ne cuide mie que il y eût cause ; car si il fût ainsi comme ils disoient, et que il les eût vendus et trahis au comte, il ne fût jamais retourné devers eux, et fût demeuré avec le comte et ses gens. Toutefois ne se put oncques excuser Jean Boulle, puisque il étoit accueilli, que il ne fût mort : je vous dirai comment. Les Gantois l’allérent prendre et querre en son hôtel et l’emmenèrent en-my la rue ; et là fut despiécé pièce à pièce : chacun en emportoit une pièce. Ainsi fina Jean Boulle. À lendemain les Gantois se départirent de Courtray et s’en retournèrent en Gand, et envoyèrent Jean de Lannoy au châtel de Gavres, qui est châtel du comte séant sur la rivière de l’Escaut. Et le prit Jean en garde et en garnison. Or parlerons-nous du comte de Flandre et de ses gens.