Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre II/Chapitre XLIX

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CHAPITRE XLIX.


Comment messire Sevestre Bude et aucuns Bretons entrèrent en Rome et tuèrent plusieurs Romains.


Ainsi étoient les royaumes chrétiens en variation par le fait de ces deux papes, et les églises aussi en différend. Urbain avoit la greigneur partie. Mais la plus profitable tant comme à revenue, à pleine obéissance Clément la tenoit. Si envoya Clément, par le consentement des cardinaux, en Avignon, pour appareiller le lieu et le palais : si étoit bien son entente que par delà il se trairoit au plus tôt qu’il pourroit. Et s’en vint séjourner Clément en la cité de Fondes et là ouvrit ses grâces ; et si se trairent toutes manières de clercs, qui ses grâces vouloient avoir, celle part. Et tenoit sur les champs ès villages grand’foison de souldoiers qui guerrioient et hérioient Rome et le bourg Saint-Pierre, et les travailloient jour et nuit d’assauts et d’escarmouches. Et aussi ceux qui étoient au châtel de Saint-Angle, au dehors Rome, faisoient moult de destourbiers aux Romains ; mais ceux de Rome se fortifièrent de souldoiers allemands, et en avoient grand’foison, avec la puissance de Rome que ils assemblèrent, si que un jour ils conquirent le bourg Saint-Pierre. Adonc se boutèrent, qui bouter se purent, au châtel Saint-Angle, et là se recueillirent. Toutes fois par force d’armes ils[1] menèrent tellement les Bretons que ils rendirent le châtel, sauves leurs vies : si s’en partirent les Bretons et se trairent tous vers Fondes et là environ sur le plat pays : et les Romains abattirent le châtel Saint-Angle et ardirent tout le bourg Saint-Pierre, Quand messire Sevestre Bude, qui se tenoit sur le pays, entendit que ses gens avoient ainsi perdu le châtel de Saint-Angle, si en fut durement courroucé, et avisa comment il pourroit sur ces Romains soi contrevenger. Toute fois il lui fut dit par ses espies que les Romains, tous les plus notables de la cité, devoient être rassemblés au Champdole en conseil. Sitôt comme il fut informé de ces nouvelles, il mit une chevauchée de gens d’armes sus, que il tenoit de-lez lui, et chevaucha ce jour par voies couvertes secrètement vers Rome : sur le soir il entra ens par la porte de Naples. Et quand ces Bretons furent entrés ens, ils prirent le chemin du Champdole, et là vinrent si à point que tout le conseil de Rome étoit issu hors de la chambre et se tenoit sur la place. Ces Bretons abaissèrent leurs glaives et éperonnèrent leurs coursiers et se boutèrent en ces Romains, et là en occirent et abattirent trop grand’foison, et tous les plus notables de la ville ; et en y eut de morts sur la place sept bannerets et bien deux cents d’autres riches hommes, et grand’foison de meshaigniés et de navrés. Quand ces Bretons orent fait leur emprise, ils se retrairent sur le soir ; et tantôt fut tard, si ne furent poursuivis, tant par la nuit que pour ce que ils furent si effréés dedans Rome, que ils ne savoient à quoi entendre, fors à leurs amis qui étoient morts ou blessés. Si passèrent la nuit en grand’angoisse de cœur, et ensepvelirent les morts, et mistrent à point tous les navrés. Quand ce vint au matin, pour eux contrevenger, ils s’avisèrent d’une grand’cruauté ; car les povres clercs qui à Rome séjournoient, et qui en ce fait nulle coulpe n’avoient, ils assaillirent, et en occistrent et meshaignièrent plus de trois cents ; et par espécial nuls Bretons qui eschéoient en leurs mains n’étoient pris à merci. Ainsi étoient les choses ès parties de Rome, par le fait des papes, en grands tribulations, et le comparoient tous les jours ceux qui coulpe n’en avoient.

  1. Les soldats allemands.