Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre II/Chapitre XXXIX

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CHAPITRE XXXIX.


Comment les Anglois prirent plusieurs forts en Gascogne, et comment les Espaignols, sachant la venue des Anglois, levèrent leur siége de Pampelune.


Depuis ne demeura-t-il guères de temps que messire Thomas Trivet ordonna toutes ses besognes et se partit de la cité de Bordeaux à toute sa charge de gens d’armes et d’archers, et prit le chemin de Dax en Gascogne. En sa compagnie étoient messire Guillaume Cendrine, messire Thomas Abreton, messire Jean Afuselée, messire Henry Paule, messire Guillaume Croquel, messire Louis Malin, messire Thomas Foucques, messire Robert Haston, Andrieu Hauderac et Mouret de Plaisac, Gascons. Quand ces gens d’armes furent venus en la cité de Dax, ils ouïrent nouvelles que le roi Charles de Navarre étoit à Saint-Jean du Pied des Ports et faisoit là son mandement de gens d’armes : si en furent plus réjouis. De la cité de Dax étoit capitaine un chevalier d’Angleterre, oncle à messire Thomas Trivet, qui s’appeloit messire Mathieu de Gournay, lequel reçut son neveu liement et tous les autres, et les aida tous à loger. L’intention de messire Thomas Trivet étoit telle, que d’aller tout droit son chemin et sans arrêt ; mais messire Mathieu de Gournay lui dit : « Beau nieps, puisque vous êtes si à puissance de gens d’armes, il faut délivrer le pays d’aucuns Bretons et François qui tiennent bien douze forts entre ci et Bayonne ; autrement, si vous laissez ce derrière, ils nous feroient en cet hiver trop de contraires ; et là où vous le ferez, le pays vous en saura gré, et je vous en prie aussi, » — « Par ma foi, répondit messire Thomas, je le vueil. »

Assez tôt après ces paroles il fit ordonner ses besognes ; et se mirent toutes manières de gens d’armes et d’archers sur les champs ; et vinrent devant un fort que on clamoit Montpin, que Bretons tenoient, et en étoit capitaine un écuyer de la comté de Foix qu’on clamoit Taillardon. Sitôt que ces gens d’armes furent là venus, ils commencèrent à assaillir for et dur ; et fut apertement continué l’assaut, et tant que de force le fort fut pris ; si furent morts tous ceux qui dedans étoient, excepté Taillardon ; mais il demeura prisonnier. Si fut le château rafraîchi de nouvelles gens ; et puis passèrent outre, et vinrent devant un fort que on clamoit Carelach, et le tenoient Gascons. Quand ces gens d’armes furent venus jusques là, ils l’assaillirent tantôt, mais ils ne l’eurent mie de cel assaut ; si se logèrent. Quand ce vint à lendemain, ils retournèrent tous à l’assaut, et l’aissaillirent de si grande volonté que de force ils le prirent. Si furent morts tous ceux qui dedans étoient, hors-mis le capitaine qui étoit Breton bretonnant et s’appeloit Yvonnet Aprisedi, qui devers les Anglois demeura prisonnier, et le château tout ars. Et puis passèrent outre et vinrent devant un autre fort que on nommoit Besenghen ; et en étoit capitaine un écuyer gascon qui s’appeloit Roger de Morelac. Les Anglois furent deux jours devant avant qu’ils l’eussent ; et quand ils l’eurent, ce fut par traité ; et s’en partirent tous ceux qui dedans étoient sans dommage ; et se retrait chacun où il aimoit le mieux.

De ce châtel vinrent-ils devant Tassegnon, un châtel séant à trois lieues de Bayonne, et mirent là le siége. Si tôt que ils vinrent là, les Bayonnois sçurent que le châtel étoit assiégé : si en furent moult réjouis ; et vinrent là au siège bien cinq cents hommes de la ville à lances et à pavais, et y firent porter le plus grand engin de Bayonne. Ceux de la garnison de Tassegnon avoient tant porté de contraires aux Bayonnois que pour ce les désiroient-ils moult à détruire, et jamais ne les eussent eus si le sens et l’avis des Anglois n’eût été. Encore à toute leur force ils furent là quinze jours ainçois que ils les pussent avoir ; et quand ils l’eurent, ce fut par traité : encore s’en partirent-ils sans dommage et sur le conduit et sauveté de messire Thomas Trivet, qui les fit conduire et mener jusques à Bergerac qui se tenoit françoise. Si achaptèrent le châtel, ceux de Bayonne, des Anglois, quatre mille francs ; et puis l’abattirent et en firent mener la pierre à Bayonne, ni oncques depuis n’y eut châtel. Si s’en vinrent les Anglois rafraîchir à Bayonne, où ils furent recueillis à grand’joie, et eurent toutes choses à leur volonté, parmi leurs deniers payans.