Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre III/Chapitre LXVII

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Texte établi par J. A. C. Buchon (IIp. 590-591).

CHAPITRE LXVII.

Comment nouvelles vinrent au roi de France des parties d’Allemagne, lesquelles lui furent moult déplaisantes et à ses oncles aussi.


En ces jours, en la propre semaine que les nouvelles de la prise du connétable vinrent à Paris, vinrent aussi autres nouvelles des parties d’Allemagne, lesquelles furent grandement déplaisantes au roi, à ses oncles et à leurs consaulx, et je vous dirai de quoi et comment. Le duc de Guerles, fils au duc de Juliers, s’étoit allié avecques le roi d’Angleterre pour faire guerre au roi de France, et avoit pris les profits et la pension d’argent, quatre mille francs par an. Lesquels profits et pension le duc de Juliers, son père, avoit eus du temps passé sur les coffres du roi d’Angleterre, mais il y avoit renoncé ; et son fils, qui étoit jeune, les avoit pris à la requête du roi d’Angleterre et de son conseil ; et parmi tant il devoit défier le roi de France et faire guerre à son loyal pouvoir.

Cil à être de la partie des Anglois s’étoit incliné le plus, pour ce que il tenoit en guerre madame de Brabant et le duché de Brabant, et sentoit de tous points que son pays étoit favorable au roi de France, car il devoit au temps à venir retourner au duc de Bourgogne ou à ses enfans. Si vouloit montrer le duc de Guerles que la chose lui touchoit et que il porteroit contraire et dommage au roi de France et à son royaume, et à tous ses conjoints et alliés. Si envoya, en ces jours que les nouvelles étoient fresches du connétable de France, défier le roi de France par unes lettres scellées de son scel moult dures et moult felles, et qui ne furent pas scellées ni acceptées en plaisance du roi ni de ses oncles, si comme je vous dirai ça en avant en l’histoire, quand il en appartiendra à parler, et je vous éclaircirai la guerre de Brabant et de Guerles. Si n’en montra le roi de France nul semblant, mais fit bonne chère à l’écuyer de Guerles, qui la défiance avoit apportée. Si cuida-t-il bien mourir, telle fois fut ; car il vint par la cité de Tournay, et ne vouloit aller plus avant ; et avoit montré la défiance au prévôt et aux seigneurs de la ville et s’en vouloit passer, parmi tant que il disoit que il suffisoit quand il étoit adressé en une cité si notable comme la cité et la ville de Tournay est ; mais il ne suffit pas aux seigneurs, quoique Tournay soit au roi de France. Si prirent et arrêtèrent l’écuyer, et le mirent en prison fermée, et puis envoyèrent par devers le duc de Bourgogne à savoir que il en vouloit faire, et que telles choses étoient venues avant.

Le duc escripsit au prévôt de Tournay que ils lui amenassent l’homme qui les défiances portoit. Ils lui amenèrent. Si cuida bien être mort, quand il vint à Paris, mais non fut ; car le roi et ses oncles, et les seigneurs, ne lui firent oncques que toute courtoisie ; et lui donna le roi de France un gobelet d’argent pesant bien quatre marcs, et cinquante francs dedans, et le tinrent tout aise. Les seigneurs lui donnèrent un bon sauf-conduit pour retourner en son pays. Si que pour ces nouvelles, la cour de France étoit toute troublée, et le conseil du roi tout troublé quand le connétable de France vint faire sa plainte du duc de Bretagne, car ils véoient que peines et frais leur venoient et sourdoient de tous côtés. Si convenoit bien qu’ils eussent sens pour eux savoir chevir et dissimuler. Mais toute fois le conseil du roi, quoique fût du duc de Guerles, ne se vouloit point passer que le connétable de France, qui si loyaument avoit servi le roi et le royaume, en Flandre et ailleurs, ne fut adressé des duretés que le duc de Bretagne lui avoit faites, rançonné son corps, pris ses châteaux sans nul titre de raison ; et par espécial le sire de Coucy et l’amiral de France y rendoient grand’peine.

Or retournerons-nous au duc de Lancastre et au roi de Portingal, qui étoient en Gallice, et faisoient guerre forte et belle, et conterons comment ils persévérèrent.