Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre III/Chapitre LXXXI

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Texte établi par J. A. C. Buchon (IIp. 626-627).

CHAPITRE LXXXI.

Comment, de par le roi et ses oncles, et par les seigneurs du conseil d’Angleterre, furent mandés ducs, comtes, prélats, barons, chevaliers et écuyers d’Angleterre, pour être au conseil général qui devoit être à Westmoustier, et illec relever leurs hommages au palais du roi.


Un parlement général fût ordonné à être à Westmoustier : et y furent escripts et mandés tous prélats, comtes, barons, chevaliers et le conseil des cités et bonnes villes d’Angleterre, et tous les fiéfés, qui tenoient du roi, eussent relevé ou à relever, et vous dirai pourquoi. L’archevêque de Cantorbie avoit ainsi dit et remontré en conseil, aux oncles du roi et à ceux qui députés et ordonnés y étoient pour le conseil, que, quand on couronna le roi Richard d’Angleterre leur seigneur, et on lui fit serment, et cils relevèrent de lui qui à relever y avoient, et il reçut les fois et les hommages de ses gens, pour ces jours il étoit dessous son âge ; car un roi, par droit, avant qu’il doie venir à terre ni possession, ni gouverner royaume, doit avoir vingt et un an : et doit être jusques en cet âge au gouvernement de ses oncles, si il les a, ou plus prochains, ou de ses hommes. Pourquoi l’archevêque de Cantorbie avoit dit ainsi, que ores-primes étoit le roi fourni d’âge et de sens, et étoit venu le terme accompli, qu’il avoit vingt et un an d’âge. Pour quoi il conseilloit, pour le plus sûr, que tous renouvelassent leur relief et serment de lui, et que tous ceux de son royaume, qui de lui tenoient, le reconnussent à seigneur.

Ce conseil et avis de l’archevêque avoit été accepté des oncles du roi, et de ceux du conseil du palais : et sur tel état étoient mandés tous les comtes barons, prélats et chevaliers, et chefs et regards des cités et bonnes villes d’Angleterre, à être à Londres, à un jour qui assigné y fut. Tous y vinrent, et nul n’y désobéit. Et y eut moult de peuple, je vous dis, à Londres et au palais à Westmoustier ; et fut le roi Richard en la chapelle du palais qui est moult belle et moult riche et moult noble, royaument en état royal, la couronne au chef ; et fit ce jour le divin office l’archevêque de Cantorbie, et disoit la messe, qui fut moult solemnelle ; et prêcha l’archevêque qui la messe dite avoit ; si fut moult volontiers ouï, car bien sçut faire la prédication.

Après la messe, en cause d’hommage, les oncles du roi baisèrent le roi comme ses tenans et fiéfés, et lui firent et jurèrent foi et hommage à tenir à perpétuité. Après, les comtes et barons lui jurèrent ; et aussi les prélats, et ceux qui tenus étoient de relever ; et baisoient, par foi et hommage, leurs mains jointes, ainsi comme il appartient, le roi en la bouche. Là véoit-on bien au baiser, lesquels le roi baisoit de bonne volonté, et lesquels non ; car quoi qu’il le fît, tous n’étoient pas en son amour ; mais faire le lui convenoit ; car il ne vouloit pas issir du conseil de ses oncles. Mais bien sachez, que si il eût pu autant dessus eux que pas ne pouvoit, il n’en eût rien fait ; mais eût pris cruelle vengeance de la mort de messire Simon Burlé et de ses autres chevaliers qu’on lui avoit ôtés et fait mourir, et sans desserte[1]. Là fut ordonné, du conseil du roi, que l’archevêque d’Yorch seroit mandé, et se viendroit purger des œuvres qu’il avoit faites, au conseil général ; car on disoit qu’il avoit toujours été de la partie, faveur et conseil du duc d’Irlande, à l’encontre les oncles du roi. Quand les nouvelles furent venues à l’archevêque d’Yorch, il se douta, car point ne se sentoit bien en la grâce ni amour des oncles du roi ; et s’envoya excuser par un sien nepveu, fils au seigneur de Neufville ; lequel s’en vint à Londres, et se trait, tout premièrement, devers le roi ; et lui remontra l’excusance de son oncle l’archevêque ; et lui fit hommage, ainsi comme il appartenoit, au nom de l’archevêque. Le roi tint tout à bon, car il aimoit assez l’archevêque, plus que celui de Cantorbie ; et lui-même l’excusa et porta outre au conseil, car autrement il eût mauvaisement finé ; mais pour l’amour et honneur du roi on se dissimula ; et fut bien excusé ; et demeura en son archevêché. Mais un grand temps il ne s’osa tenir en la cité d’Yorch ; ainçois se tenoit au Neuf-Chastel, sur la rivière de Tin, près des chastels de son frère le sire de Neufville, et de ses cousins.

Ainsi demourèrent les besognes d’Angleterre en leur état : mais depuis le roi, un long temps, ne fut pas maître ni souverain dessus son conseil, ainçois l’étoient ses oncles, et les barons et les prélats dessus nommés.

Nous nous souffrirons, pour l’heure présente, un petit à parler des besognes et affaires du roi et du royaume d’Angleterre : et parlerons de celles de Portingal et de leurs guerres.

  1. Sans qu’ils le méritassent ; du mot desservir, mériter.