Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre III/Chapitre XXV

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Texte établi par J. A. C. Buchon (IIp. 448-453).

CHAPITRE XXV.

Comment le roi de Chypre fut tué et meurtri en son lit par son propre frère, par l’enortement des mescréans pour la bonté et la hardiesse qui étoit au roi.


En ce temps vinrent autres nouvelles en France, car le roi Lyon d’Arménie y vint[1], non pas en trop grand arroi, mais ainsi comme un roi échassé et bouté hors de son pays, car tout le royaume d’Arménie dont il se nommoit étoit conquis et gagné, excepté un fort chastel séant en mer, que on dit Courch[2] et le tiennent les Gennevois, pourtant que le chastel leur est une clef et une issue et entrée par mer en allant en Alexandrie et en la terre du soudan ; car partout vont Gennevois et Vénitiens marchander, parmi les treus que ils payent, jusques en la grande Inde, la terre au prêtre Jean[3] ; et partout sont-ils bien-venus pour l’or et l’argent qu’ils portent ou pour les marchandises que ils échangent en Alexandrie, au Caire, à Damas ou ailleurs, qui besognent aux Sarrasins ; car ainsi faut-il que le monde se gouverne, car ce qui point n’est en un pays est en l’autre ; parmi tant sont connues toutes choses. Et ceux qui vont le plus loin et qui le plus s’aventurent sont Gennevois ; et vous dis que ils sont par-dessus les Vénitiens seigneurs des ports et des mers, et les crèment plus et doutent les Sarrasins que nuls autres, car par mer ce sont vaillans hommes et de grand fait ; et oseroit bien envahir et assaillir une galée de Gennevois armée quatre galées de Sarrasins. Et eussent porté les Turcks et les Tartres trop grand dommage par plusieurs fois à la chrétienté, si Gennevois ne fussent ; mais pourtant que ils ont la renommée de être seigneurs des mers qui marchissent aux mescréans, ils ont toujours cinquante, que galées, que grosses naves, armées, courant par mer, qui gardent les îles. Premièrement l’île de Chipre, l’île de Rodes, l’île d’Escie et toutes les bandes de mer et de Grèce jusques en la Turquie ; et tiennent la ville et le chastel de Père qui siéd en mer devant la cité de Constantinople, et le font garder à leurs frais, et le rafreschissent trois ou quatre fois l’an de ce qui leur est de nécessité. Les Tartes et les Turcks y ont aucunes fois essayé comment ils le pussent avoir, mais ils n’en purent venir à chef ; ainçois, quand ils y sont venus, ils y ont plus mis que pris, car le chastel de Père siéd sus une vive roche ; et n’y a que une seule entrée ; et celle les Gennevois l’ont fortifiée trop grandement. Encore tiennent les Gennevois un petit par delà Père la ville et le chastel de Jaffon[4] qui est trop noble chose et trop grand profit pour eux et pour les pays chrétiens marchissans, car sachez que si Père et Jaffon, Escie et Rodes n’étoient, avecques l’aide des Gennevois, les mescréans venroient courir jusques à Gaëte, voire jusques à Naples, au port de Corvet ou à Rome, mais ces garnisons qui sont toudis bien pourvues de gens d’armes et de Gennevois, de naves et de galées armées, leur saillent au devant. Par quoi, pour celle doute, ils ne s’osent aventurer fors que sus les frontières de Constantinoble en allant vers la Honguerie et la Bougerie. Et si le noble roi de Chipre Pierre de Lusignan[5], qui fut si vaillant homme et de si haute emprise et qui conquit la grand’cité d’Alexandrie et Satalie[6], eût longuement vécu, il eût tant donné à faire au soudan et aux Turcks que, depuis le temps Godefroi de Bouillon, ils n’eurent tant à faire que ils eussent eu. Et bien le savoient les Turcks et les Tartres et les mescréans, qui connoissoient les prouesses de lui et les hautes emprises ; et pour lui détruire marchandèrent-ils à son frère Jacques de le occire et murdrir, lequel leur livra bien ce qu’il leur ot en convenant, car il fit occire devant lui le gentil roi son frère gisant en son lit[7] : ce fut bien ennemie chose et mauvaise de occire et murdrir si vaillant homme comme le roi de Chipre, qui ne tendoit ni imaginoit nuit ni jour à autre chose fors que il pût acquitter la sainte Terre et mettre hors des mains des mescréans. Et quand les Gennevois, qui moult l’aimoient, c’étoit raison, il faisoit moult à aimer, sçurent les nouvelles de sa mort, ils armèrent douze galées et les envoyèrent en Chipre et prirent de fait la cité de[8] Famagouse et Jacques dedans[9] ; et coururent la greigneur partie du royaume ; et si ils n’en cuidassent pis valoir, ils l’eussent détruit ; mais pour tant que les villes y sont fortes et font frontières aux Turcks, ils les laissèrent ès mains des hommes des lieux, excepté la cité de Famagouse, mais celle tiennent-ils pour eux et la gardent. Et quand ils l’eurent conquise premièrement, ils en ôtèrent si grand avoir que sans nombre et amenèrent avecques eux en Gennes ce Jacques qui avoit mourdri son frère, pour savoir que les Gennevois en voudroient faire. Voir est que le roi de Chipre avoit un beau-fils lequel ils marièrent[10] et couronnèrent à roi[11] ; et mirent ce Jacques en étroite prison et n’eurent point conseil de le faire mourir, mais toudis tinrent-ils Famagouse. Je ne sais si ils la tiennent encore. Or mourut sus son lit le jeune fils au roi de Chipre[12] dont les Gennevois furent moult courroucés, mais amender ne le purent. Et demeura la terre sans hoir. Je ne sais qui la gouverne maintenant, mais en l’an que je fus en l’hostel du comte de Foix[13], il me fut dit d’un chevalier de Berne, le seigneur de Valencin, que les Gennevois y avoient grand’part et tenoient Famagouse ; et avoit le pays courronné à roi ce Jacques par défaut de hoir. Ne sais comment ni par quelle manière il étoit issu et délivré hors des mains et de la prison des Gennevois.

Quand le roi Léon d’Arménie vint premièrement en France devers le roi et les seigneurs, on lui fit bonne chère ; ce fut raison, car il étoit venu de lointain pays ; et sçut-on par lui et par ses gens toutes nouvelles du royaume de Grèce et de l’empire de Constantinoble ; car bien sachez, il fut enquis et examiné justement de la puissance des Turcks et des Tartres, et lesquels l’avoient mis et bouté hors de son royaume. Tant comme à ces enquêtes et demandes le roi d’Arménie répondit que le grand Cakem[14] de Tartarie lui avoit toujours fait guerre et lui avoit tollu son royaume. « Et ce Cakem de Tartarie, demandèrent ceux qui parloient à lui, est-il si puissant homme ? » — « Oil voir, dit-il, car par puissance il a soumis, avecques l’aide du soudan, l’empereur de Constantinoble. » — « Est donc Constantinoble, demandèrent les seigneurs, à la loi des Tartres ? » — « Nennil, dit-il, mais le Cakem et le soudan ont guerrié longuement l’empereur de Constantinoble ; et a convenu enfin, autrement l’empereur ne pouvoit avoir paix, que l’empereur de Constantinoble, qui fut fils madame Marie de Bourbon et fils de l’empereur Hugues de Lusignan[15] ait donné par mariage sa fille au fils du Cakem[16] ; mais l’empereur demeure en sa loi, et tous les siens aussi, parmi la conjonction de ce mariage.

Adonc fut demandé quelle chose le comte Amé de Savoie, qui fut si vaillant homme, quand il fut par delà à grand’puissance de gens d’armes chevaliers et écuyers, y avoit fait. Il en répondit ainsi : « Quand le comte de Savoie fut en l’empire de Bouguerie et il fit guerre aux Turcs et aux Tartres si avant comme il pot, plenté ne fut-ce pas, toutefois par vaillance il conquit sur les Tartres et sur la terre du soudan la bonne ville et grosse de Kalipoli, et la obtint, et y laissa gens pour la garder et défendre ; et se tint la ville toujours, le comte de Savoie retourné en son pays[17], tant que le bon roi Pierre de Chypre vesqui. Mais sitôt que le soudan et le Cakem de Tartarie sçurent que il étoit mort[18], ils ne doutèrent en rien l’empereur de Constantinoble, et mistrent sus bien cent mille chevaux, et vindrent courir devant Constantinoble ; et de là ils allèrent mettre le siége devant Kalipoli, et le reconquirent de force, et occirent tous les Chrétiens qui dedans étoient. Et depuis ont-ils fait à l’empereur de Constantinoble si grand’guerre que toute sa puissance n’a pu résister encontre eux ; et lui eussent tollu son empire, si ne fut par le moyen de sa fille, que le fils du grand Cakem de Tartre convoita pour avoir à femme. Et est dure chose pour le temps avenir, car les officiers du Cakem sont jà en Constantinoble, et ne vivent les Grieu qui là demeurent fors que par eux et par treu. Et si le roi et les princes de la marche de Ponent n’y remédient, les choses iront si mal que les Turcks et les Tartres conquerront toute Grèce et convertiront à leur loi ; et jà s’en vantent-ils, et ne se font que gaber et desriser des papes qui sont l’un à Rome et l’autre en Avignon ; et disent que les deux dieux des Chrétiens s’entreguerroient, parquoi leur loi est plus foible et plus légère à détruire et à condempner et y mettent la raison telle, quand ceux qui la devroient exaulser l’amenrissent et détruisent. »

Adonc fut demandé au roi d’Arménie, si le soudan de Babylone et le grand Cakem étoient les plus grands des royaumes mescréans dont on eut la connaissance en Grèce ni par de là les mers et les monts. Il répondit : « Nennil, car toujours ont été les Turcks les plus nobles, les plus grands, les plus doutés et les plus sages de guerre, quands ils ont eu bon chef ; et ils l’ont eu bien cent ans. Et si comme le Cakem de Tartarie tient en subjection l’empereur de Constantinoble, le sire de Turquie tient cil Cakem en subjection ; et s’appelle cil sire l’Amorath-Bakin[19]. Et au voir dire il est moult vaillant homme aux armes et moult prud’homme en sa loi. De l’Amorath-Bakin ne me dois ni ne puis en rien plaindre ; car oncques ne me fit mal : il a toujours tenu la guerre sur l’empereur de Bouguerie et sur le roi de Honguerie. » — « Et celui Amorath-Bakin dont vous nous parlez, est-il de puissance si grand, si cremu et si renommé ? » — « Oil voir, dit le roi d’Arménie, plus que je ne dis ; car si l’empereur de Constantinoble et l’empereur de Bouguerie le crèment, autant bien le doutent et craignent le soudan de Babylone et le Cakem de Tartarie. Et eut le Cakem, si comme on suppose et que j’ai ouï dire aux Tartres, trop plus soumis l’empire et l’empereur de Constantinoble, si ce ne fut ce que il doute l’Amorath-Bakin ; car il connoit bien la nature de l’Amorath que, sitôt que il sçait un plus grand de lui, il n’aura jamais joie ni bien si l’aura soumis et subjugué ; et pour ce ne veut pas le Cakem faire sur Constantinoble tout ce que faire bien pourroit. » — « Et cel Amorath-Bakin a-t-il grand’gent avecques lui ? » — « Oil voir ; il n’est oncques si seul, ni ne fut, passé a trente ans, que il ne mène bien cent mille chevaux en sa compagnie ; et toujours est-il logé aux champs ni jà ne se mettra en bonne ville. Et pour son corps, il a dix mille Turcks qui le servent et gardent, et où qu’il voise il mène son père avecques lui. » — « Et quel âge peut avoir l’Amorath-Bakin ? » — « Il a d’âge bien soixante ans[20] et son père quatre vingt dix[21]. Et aime l’Amorath-Bakin grandement la langue françoise et ceux qui en viennent ; et dit que de tous les seigneurs du monde il verroit le plus le roi de France et aussi l’état et ordonnance du roi de France ; et quand on lui en parole, on lui fait grand bien ; et en recommande très grandement les seigneurs. » — « Et cel Amorath-Bakin pourquoi tient-il en paix le Cakem quand il est si grand conquereur ? » — « Pourtant, dit-il, que le Cakem le craint et ne lui oseroit faire guerre ; et a certaines villes et certains ports en Tartarie qui rendent à l’Amorath-Bakin grand treu tous les ans ; et aussi ils sont d’une loi ; si ne veut pas détruire sa loi. Et la chose dont il s’est plusieurs fois émerveillé, c’est de ce que les Chrétiens guerroyent et détruisent ainsi l’un l’autre ; et disent entr’eux que ce n’est pas chose due ni raisonnable à détruire gens d’une loi et d’une foi l’un l’autre ; et pourtant s’est-il mis en grand’volonté plusieurs fois de venir à grand’puissance en chrétienté et conquérir tout devant lui. Et mieux me vaulsit assez que il m’eùt accueilli et conquis de guerre, aussi fit-il à tout mon pays, que le Cakem de Tartarie. » On demanda au roi d’Arménie pourquoi et il répondit ainsi :

« L’Amorath-Bakin est un sire de noble condition, et si il étoit plus jeune trente ans que il n’est, il seroit taillé de moult faire grands conquêtes là où il se voudroit traire ; car, quand il a conquis un pays ou une ville ou une seigneurie, il n’en demande que l’hommage ; il laisse ceux en leur créance, ni oncques ne bouta, ni jà ne fera, homme hors de son héritage. Il n’en demande que à avoir la souveraine domination. Pourquoi je dis que, si il eût conquis le royaume d’Arménie, si comme les Tartres[22] ont fait, il m’eût tenu en paix, et mon royaume en notre foi et en notre loi, parmi la reconnaissance que je lui eusse faite de le tenir à souverain seigneur, si comme hauts barons qui marchissent à lui font, qui sont Grecs et Chrétiens, qui l’ont pris à souverain seigneur pour leur ôter hors de la doute du soudan et du Cakem de Tartarie. » — « Et qui sont cils seigneurs, » fut-il demandé au roi d’Arménie ? « Je vous dirai, dit-il, tout premièrement le sire de Saptalie y est, et puis le grand sire de la Palati et tiercement le sire de Hauteloge[23]. Ces trois seigneurs et leurs terres, parmi le treu que ils lui rendent tous les ans, demeurent en paix ; et n’est Turc ni Tartre qui mal leur fasse. »

Adonc fut demandé au roi d’Arménie si son royaume étoit si nettement perdu que on n’y pût avoir nul recouvrance. « Oil voir, dit-il, il ne fait pas à recouvrer, si puissance de Chrétiens ne vont pas delà qui soient plus forts que les Turcks ni les Tartres. Et plus viendra et plus conquerront sur Grèce, si comme je vous ai dit ; car excepté la ville que on dit de Courch, qui est la première ville de mon royaume, qui se tient, tout le pays est aux mescréans ; et là où les églises souloient être, ils ont mis leurs idoles et leurs Mahomets. » — « Et celle ville de Courch en Arménie est-elle forte ? » — « M’aist Dieu, oil, dit le roi d’Arménie. Elle ne fait pas à prendre, si ce n’est par long siége, ou qu’elle soit trahie ; car elle siéd près de mer à sec et entre deux roches, lesquelles on ne peut approcher ; et si est Courch très bien gardée, car si les Tartres la tenoient, et une autre bonne ville qui est assez près de là qui s’appelle Adelphe[24], toute Grèce sans nul moyen seroit perdue et Honguerie auroit fort temps. »

Adonc fut demandé au roi d’Arménie si Honguerie marchissoit près des Tartres et des Turcks ; il répondit et dit : « Ouil, et plus près des Turcks et de la terre à l’Amorath-Baquin que de nulle autre. » Donc fut dit : « C’est grand’merveille comment l’Amorath la laisse tant en paix quand elle est si près marchissant, et il est si vaillant homme et si grand conquéreur. » — « Eh ! mon Dieu, dit le roi d’Arménie, il ne s’en est pas feint du temps passé, et y a mis toute sa peine et entente comment il put porter grand dommage au royaume de Honguerie. Et si ce n’eût été une incidence très fortuneuse qui soudainement lui advint, il fût ores moult avant au royaume de Honguerie. » — « Et quelle incidence fut-ce ? » demanda-t-on au roi d’Arménie. « Je le vous dirai, » dit-il.

  1. Léon VI, roi d’Arménie, de la famille des Lusignan de Chypre, nommé roi en 1365. Il fut le dernier roi chrétien d’Arménie. Le soudan d’Égypte le fit prisonnier, ainsi que sa femme, sa fille et son général Schahan, prince de Gorhigos, dans la forteresse de Gaban, où ils s’étaient retirés. Ils furent tous conduits prisonniers au Caire, où le roi d’Arménie perdit sa femme et sa fille : mais, après six ans de captivité en 1381, il fut remis en liberté par le soudan, sur les instantes prières du roi Jean Ier de Castille. Léon s’embarqua avec les ambassadeurs de Jean Ier de Castille, et se rendit près du pape Clément VII à Avignon, et de là en Castille où il arriva en 1383. Le roi Jean lui rendit les plus grands honneurs et lui fit don, sa vie durant, des seigneuries de Madrid, de Villa-Réal et d’Andujar. Le conseil municipal de Madrid lui envoya des commissaires pour lui rendre hommage, le 2 octobre 1383 ; et on a un acte daté de Ségovie, le 19 octobre, et signé Léon roi d’Arménie, qui confirme à la ville ses fors et priviléges. Le roi Léon VI passa ensuite en France en 1385. En 1386, pour établir la paix entre la France et l’Angleterre, il se rendit auprès de Richard II, à Londres. On trouve dans Rymer, aux années 1385 et 1386, plusieurs actes relatifs à ce prince : tels sont entr’autres les trois actes suivans, qui précédèrent son arrivée :

    I. Pro magistro hospitii Leonis regis Armeniæ, et pro ipso rege.

    Rex universis et singulis admirallis, etc., ad quos, etc., salutem :

    Volentes pro securitate Johannis de Rusp, magistri hospitii magnifici principes Leonis regis Armeniæ, qui in regnum nostrum Angliæ, pro providentiis et negotiis ipsius regis faciendis, de licentia nostra est venturus, specialiter providere.

    Suscepimus ipsum Johannem, cum quinque hominibus et sex equis, quatuor arcubus et viginti et quatuor sagittis barbatis, ac aliis rebus et hernesiis suis quibuscumque, in regnum nostrum Angliæ, per dominium et potestatem nostram, tam per terram, quam per mare, veniendo, ibidem morando, et exinde ad propria libere redeundo, in salvum et securum conductum nostrum, ac in protectionem et defensionem nostras ; suscipimus et ponimus speciales et ideo vobis et cuilibet vestrum injungendo mandamus quod, etc., prout in ejus modi de conductu literis.

    In cujus, etc., per dimidium annum duraturas.

    Teste rege apud Westmonasterium, vicesimo quarto die octobris.

    Per ipsum regem et concilium.

    II. Rex eisdem, salutem :

    Sciatis quod

    Cum magnificus princeps, Leo rex Armeniæ, in regnum nostrum Angliæ, de licentia nostra regia, sit venturus,

    Nos, ut idem rex adventum et reditum, juxta desiderium suum, prosperos optineat et securos, ipsum regem, cum vassallis, hominibus servientibus et familiaribus suis, cujuscumque gradus fuerint, ac quadraginta equis, nec non bonis et hernesiis suis quibuscumque, in regnum nostrum Angliæ, etc., ut supra usque ibi, injungendo man damus, et tunc sic :

    Quod eisdem, regi Armeniæ, aut vassallis, hominibus, servientibus, vel familiaribus suis, cujuscumque gradus fuerint, in regnum nostrum prædictum, etc., ut supra.

    In cujus, etc. per dimidium annum duraturas, teste ut supra.

    Per ipsum regem et concilium.

    III. De vino pro expensis præfati regis hospitii.

    Rex universis et singulis admirallis, etc., salutem :

    Sciatis quod

    Cum Johannes Rusp, magister hospitii magnifici principes Leonis regis Armeniæ, centum et quinquaginta couples vini Franciæ, pro expensis hospitii ipsius regis Armeniæ, qui in regnum nostrum Angliæ est venturus, per servientes et attornatos suos, mediante licentia nostra ducere proponat,

    Nos,

    Ne idem Joannes, vel dicti servientes et attornati sui, forte, per aliquos ligeorum nostrorum, in præmissis aliqualiter perturbentur,

    Volentes eorum securitati in hac parte specialiter providere,

    Suscepimus ipsum Johannem, ac servientes et attornatos suos, cum vino prædicto, ac navibus et vasis vinum illud continentibus, in regnum nostrum Angliæ, per dominium et protestatem nostram, tam per terram, quam per mare, ex causa prædicta veniendo, ibidem morando, et exinde ad propria redeundo, in salvum et securum conductum nostrum, ac in protectionem et defensionem nostras speciales.

    Et ideo, etc., ut in ceteris de conductu literis.

    In cujus, etc., usque ad festum paschæ proximo futurum duraturas.

    Teste rege apud Westmonasterium, vicesimo octavo die octobris.

    Per billam de privato sigillo.

    Les négociations du roi d’Arménie paraissent avoir eu quelque effet pour calmer la haine des deux adversaires, puisque nous trouvons à l’année 1386, dans Rymer, un plein pouvoir donné à la requête du roi d’Arménie pour traiter de la paix. Nous ne citerons que le commencement de cet acte.

    IV. De tractando cum adversario Franciæ, ad requestum regis Armeniæ.

    Le roy a touz ceux qi cestes lettres yerront ou orront, salutz.

    Savoir faisons que nous,

    Pur l’onur et reverence de nostre seigneur Dieux,

    Et pur eschuir l’effusion du sank cristien, et les très grandes mals et damages que, pur l’occasion des guerres entre nous et nostre adversaire de France, sont avenuz, avant ces heures, a toute cristientee, et verraissemblablement porront avenir, de jour en autre, si la dite guerre soit continue,

    Desirantz auxi nous justifier et nostre querele devant Dieux et tout le mond, et nos souzgis mettre, quanque en nous est, en pees, quiete, et tranquilite,

    Et auxi a les instanz prieres et requestes, qui nous ont este faites par nostre cousyn, le roi d’Arménye, q’il nous plerroit condescender et encliner au bone tretee de pees ovesque nostre dit adversaire, et ordeigner de par nous aucunes parsones notables pur assembler ovesque les gentz que mesme nostre adversaire envoieroit, de semblable estat, as certeines jours et lieu, as marches de Caleys, pur le faite de tretee sus-dite,

    Confiantz au pleine de les loialtee, sens, avisamentz, et discretions de nos tres chiere et foialx, l’onurable piere en Dieu l’evesque de Coventre et Lychfeld : Michel comte de Southfolk nostre chancelier : William de Beauchamp nostre cosyn, capitaine de notre ville de Caleys : Hugh de Segrave, et Johan d’Évereux, banerettz : Johan Clanbowe chivaler de nostre chaumbre ; et nostre bien ame clerc meistre Richard Rouhale, doctour en leys ;

    Les avons constituez, ordeinez, deputez, et establiz, constituons, ordeignons, deputons, establions, de nostre certeine science, par cestes noz presentes lettres, nos vrais et especialx messages, commissairs et deputes pur le fait de tretee de pees suis-dite, etc.

    Le 13 février suivant fut publié l’acte qui suit rapporté par Rymer, et qui prouve la reconnaissance du gouvernement anglais pour les bons soins du roi d’Arménie.

    V. Pro Leone rege Ermeniæ, de annuitate concessa.

    Rex omnibus ad quos, etc. Salutem :

    Sciatis quod

    Ob reverentiam Dei, et sublimis status illustris principis et consanguinei nostri carissimi, Leonis regis Ermeniæ, qui regali diademate decoratur,

    Considerantes quod idem consanguineus noster, ex tolerantia Summi Regis, a regno suo, per dei inimicos atque suos, mirabiliter est expulsus,

    Volentesque sibi in aliquo, ex hac causa, prout statui nostro competit, subvenire,

    Concessimus eidem consanguineo nostro mille libras monetæ nostræ Angliæ, percipiendas singulis annis, ad receptam Scaccarii nostri per æquales portiones, quousque, cum Dei adjutorio, recuperare poterit regnum suum supradictum ;

    Si quis vero contra hanc concessionem nostram quidquid fecerit vel attemptaverit, aut eisdem contravenerit, maledictionem Dei, et sancti Edwardi, atque nostram se noverit incursurum.

    In cujus, etc.

    Teste rege apud castrum regis de Windesor, tertio dei februarii.

    Per ipsum regem.

    Léon VI, roi d’Arménie, à son retour d’Angleterre, fixa sa résidence à Paris où il mourut, le 29 novembre 1393, au palais des Tournelles, rue Saint Antoine, en face de l’hôtel Saint-Pol, où le roi résidait ordinairement : il fut enterré dans l’église des Célestins. Suivant l’usage de son pays, tous les assistans étaient habillés en blanc. Son tombeau se voyait encore il y a peu de temps au Musée des Petits-Augustins. Il a été depuis transporté à Saint-Denis.

  2. Il me semble assez probable que Froissart aura voulu désigner par ce mot la forteresse de Gorhigos, ville de Cilicie, appelée par les anciens Corycus, du nom d’une montagne qui se trouvait dans son voisinage et formait un promontoire qui s’avançait vers l’île de Chypre : elle est située au sud-ouest de Tarse sur le bord de la mer. Gorhigos formait une principauté dépendante des souverains arméniens. Le dernier des princes qui la possédèrent fut ce même Schahan, gendre de Léon VI de Lusignan, dont j’ai parlé dans la note ci-dessus. Schahan, prince de Gorhigos, fut pris avec son beau-père, comme on l’a vu, en 1375 dans la forteresse de Gaban et emmené en captivité au Caire, où il mourut.
  3. On désigne sous le nom de Prêtre Jean, Presbyter Johannes, dans les relations du moyen-âge, un souverain du centre de l’Asie, qu’on supposait non-seulement converti au christianisme, mais élevé au sacerdoce. L’opinion la plus commune est que les missionnaires nestoriens, exagérant leurs succès en Tartarie, ont appelé Prêtre Jean le prince Wang de la nation des Kéraïtes, chez laquelle il y avait alors beaucoup de chrétiens syriens. Le nom de Wang a pu être pris pour celui de Jean mal prononcé ; et quant à la prêtrise, il n’y a rien d’impossible à ce qu’il l’eût reçue des Syriens. Plus tard ou a cherché le pays du Prêtre Jean dans l’Abyssinie ; il n’y était pas plus qu’ailleurs. Il n’est pas de sujet sur lequel on ait débité autant de fables.
  4. Il me semble à peu près certain que Froissart veut parler de la ville de Caffa ou Théodosie dans la Crimée, qui était le principal comptoir des Génois.
  5. Pierre Ier, fils de Hugues IV, auquel il succéda dans le royaume de Chypre en 1361.
  6. Satalie est l’ancienne Attalie, bâtie dans la Pamphilie sur le bord de la mer, vis-à-vis la pointe occidentale de l’île de Chypre.
  7. Ce ne fut pas Jacques II, fils de Hugues IV et frère de Pierre Ier de Lusignan, qui commit ce meurtre en 1372, mais son frère Jean, prince de Galilée. Le prince Jean fut lui-même assassiné en 1375 par l’ordre de la reine de Chypre, femme de Pierre Ier et mère du roi Pierrin alors régnant.
  8. Famagouste fut livrée aux Génois en 1374 par la trahison de la reine de Chypre, mère du roi Pierrin.
  9. Jacques, sénéchal de Chypre, s’était rétiré dans la forteresse de Buffavante et ne fut pas pris par les Génois dans Famagouste ; mais les Génois s’étant plus tard emparés, par une nouvelle trahison de la reine, de la personne du roi Pierrin qui s’était rendu à Famagouste sous le prétexte d’une conférence, le prince Jacques, pour délivrer le roi et le pays, se livra comme otage entre les mains du général génois Frégose, et consentit à demeurer en dépôt à Famagouste jusqu’à l’entier acquittement des sommes demandées par Frégosse. Celui-ci, malgré la foi donnée, emmena le prince de Galilée prisonnier à Gênes en 1375 avec sa femme Jolande de Bersinie.
  10. Le roi Pierrin ne fut pas marié par l’entremise des Génois : son mariage avec Valentine de Milan, fille de Bernabo Visconti, duc de Milan, sous les auspices, en quelque sorte, de la république de Venise, alliée du roi de Chypre, dut au contraire être peu agréable aux Génois.
  11. Pierrin avait été couronné en 1372.
  12. Il mourut en 1382, après six mois de langueur, âgé de 26 ans, sans laisser d’enfans.
  13. Froissart était chez le comte de Foix en 1388, et à cette époque le sénéchal oncle de Pierrin régnait en Chypre. Aussitôt la mort de Pierrin, le baron Jean de Briès avait été nommé régent du royaume, et on lui avait adjoint douze des principaux nobles de l’île pour administrer les affaires jusqu’au retour de Jacques, prisonnier à Gênes. Les Génois consentirent à laisser partir Jacques, à condition qu’il leur cèderait à perpétuité la ville de Famagouste avec deux lieues de terrain à la ronde, et qu’on leur accorderait de plus certains avantages commerciaux. Tout leur fut accordé, et Jacques, délivré de sa prison avec sa femme et son fils Janus, qui venait de naître en prison, arriva en Chypre en 1384.
  14. Il s’agit ici probablement du Khakan des Tartares. Khakan est le titre suprême des souverains de la Perse. À l’époque où le roi d’Arménie perdit son royaume, l’autorité du Khakan sur tous les autres souverains de l’Asie-Mineure n’était plus guère que nominale. Ce titre est au nombre de ceux que porte aujourd’hui l’empereur de Constantinople.
  15. Hugues de Lusignan n’épousa point Marie de Bourbon, mais Alix d’Italie, et aucun de ses trois fils ne devint empereur de Constantinople. Il y aura là quelque méprise fondée sans doute sur ce que la famille qui occupait le trône de Constantinople s’est souvent alliée avec les Lusignan.
  16. L’histoire rapporte plusieurs mariages entre la famille impériale de Constantinople et le khakan. Mais peut-être s’agit-il ici tout simplement de Cantacuzène, qui en 1341 partagea le trône avec J. Paléologue, et maria sa fille à Théodore Orkhan, sultan des Turcs, père d’Amurat.
  17. Amédée VI, de Savoie, dit le Comte Verd, passa en 1366 en Orient, où il battit les Turcs et reprit Gallipoli sur eux.
  18. Pierre Ier de Chypre mourut le 18 janvier 1372.
  19. Par ce mot, Froissart désigne Amurat, fils d’Orkhan, le créateur des janissaires et le premier qui fixa son séjour à Andrinople. Comme il ne succéda qu’en 1389 à son père Orkhan, il n’était connu à l’époque dont parle Froissart, que sous le titre de Mourad-Beg, c’est-à-dire, Mourad, fils du prince. Froissart aura changé le nom de Beg en Bakin, ce qui n’est pas plus ridicule que d’avoir changé, comme nous le faisons maintenant, celui de Mourad en Amurat.
  20. Amurat ou Mourad n’avait que quarante-un ans, quand il succéda à son père Orkhan en 1360.
  21. Orkhan mourut en 1360, âgé seulement de soixante-dix ans, après trente-cinq ans de règne.
  22. Le royaume d’Arménie fut conquis, ainsi qu’on l’a vu, par les Égyptiens.
  23. Il m’est impossible de déterminer ce que sont ces trois lieux de Saptalie, la Palati et Haute-Loge. J’ai fait toutes les recherches possibles et ne suis arrivé à aucun résultat raisonnable. Froissart place plus bas ces places auprès de la Hongrie, de sorte qu’on ne peut supposer que ce soit Satalie, Tripoli et Alachère, traduction du mot Haute-Loge. La Palati me semble cependant être la Valachie.
  24. Quelques manuscrits disent Filadelphe. Peut-être s’agit-il de Marasch, appelée aussi Kermany, et en Syriaque, Germaniki. Cette ville, située dans la partie orientale de la Cilicie, au milieu des montagnes, fut connue dans le Bas-Empire sous le nom de Germanicia. Réunie au royaume d’Arménie, elle en suivit la destinée. Il serait possible que ce nom de Germanicia eût été traduit en grec par les gens du pays, et que ce fût là l’origine du mot Filadelphe ou Adelphe, que lui donne Froissart. Je ne puis trouver dans la géographie d’Arménie de M. Saint-Martin aucune autre ville qui approche de ce nom.