Aller au contenu

Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre IV/Chapitre XVIII

La bibliothèque libre.
Texte établi par J. A. C. Buchon (IIIp. 103-106).

CHAPITRE XVIII.

Des chevaliers anglois qui furent envoyés à Paris devers le roi de France de par le roi d’Angleterre et ses oncles sur forme de paix.


À l’apparent que on véoit le propos que le roi de France avoit se tenoit-on, ni nul ne le brisoit ni contredisoit, mais plaisoit grandement bien à tous chevaliers et écuyers du royaume de France, pour ce que ils en pensoient mieux à valoir, et pour employer leur saison. Et se ordonnoient toutes gens sur cel état ; et mêmement le clergé par les provinces se vouloit tailler et ordonner pour envoyer à leurs dépens de leurs gens avecques le roi de France. Or tourna ce voyage tout à néant, si comme le duc de Bretagne l’avoit proposé, et je vous dirai par quelle incidence.

Environ la Chandeleur, vinrent autres nouvelles au roi de France et à son conseil, dont on ne se donnoit de garde, ni point on ne pensoit sur ce, ni avoit pensé. Le conseil du roi Richard d’Angleterre et le plus prochain qu’il eut, celui de sa chambre, fut envoyé en très bon arroy à Paris devers le roi de France ; et étoient les souverains de cette légation messire Thomas de Percy, messire Louis de Cliffort et messire Robert Briquet. Encore y avoit-il autres chevaliers en leur compagnie, mais je n’en ouïs pour lors plus nommer. Quand ces trois chevaliers d’Angleterre et de la chambre du roi furent venus en la cité de Paris, il en fut très grand’nouvelle ; si étoit bien leur venue devant signifiée au roi de France, car le roi d’Angleterre lui avoit escript et envoyé lettres par certain message, que il envoieroit prochainement devers lui à Paris de son plus espécial conseil, et que il s’y laissât trouver. Si désiroit fortement le roi de France, sur la forme et teneur de ces lettres, quelle chose ce pourroit être que le roi d’Angleterre pour le présent si hâtivement voudroit traiter et proposer.

Si descendirent ces chevaliers d’Angleterre, messire Thomas de Percy et les autres, en la rue que on dit à la Croix au Tiroi, à l’hôtel et enseigne du Chastel-Festu ; et là se logèrent pour lors. Le roi de France étoit pour lors au chastel du Louvre, et son frère le duc de Touraine avecques, et ses trois oncles en leurs hôtels à Paris, et le connétable, messire Olivier de Cliçon. Le jour que les Anglois vinrent à Paris, ce fut après nonne ; si se tinrent tout ce jour et la nuit ensuivant à leur hôtel, sans point issir hors. À lendemain, sur le point de neuf heures, ils montèrent tous à cheval moult honorablement ; et s’en allèrent au Louvre devers le roi qui les attendoit, son frère et ses oncles avecques lui, le comte de Saint-Pol aussi, le sire de Coucy, le connétable de France, messire Jean de Vienne, messire Guy de la Trémoille et plusieurs hauts barons de France. Ils descendirent en la place devant le chastel et entrèrent en la porte. Tout premièrement ils trouvèrent le seigneur de la Rivière, messire Jean le Mercier, messire Hélion de Lignac, messire Pierre de Villers, messire Guillaume de la Trémoille et messire Guillaume Marcel, qui les recueillirent comme les chevaliers de la chambre du roi, et les amenèrent là-dedans moult doucement en une belle chambre où le roi les attendoit. Quand ils furent là venus, ils ôtèrent leurs chaperons et s’inclinèrent tout jus. Messire Thomas de Percy tenoit les lettres de créance que le roi d’Angleterre envoyoit au roi de France. Si les bailla au roi, qui les prit ; et en prenant il fit lever les chevaliers. Quand ils furent levés, ils se trairent arrière et le roi ouvrit les lettres, les legit, et vit que il y avoit créance : si appela son frère et ses oncles et leur montra. Donc dirent ces seigneurs qui là étoient : « Monseigneur, appelez les chevaliers et sachez quelle chose ils veulent dire. » Le roi le fit ; les chevaliers anglois furent appelés, et demandés de la créance quelle chose ils vouloient dire. Messire Thomas de Percy parla et dit ainsi : « Cher sire, l’intention de notre seigneur le roi d’Angleterre est telle, que volontiers il verroit que son plus espécial conseil, tels que ses oncles, monseigneur de Lancastre et monseigneur d’Yorch ou de Glocestre, et aucuns prélats d’Angleterre là où le pays de sens et crédence se confie le plus, fussent en la présence de vous et de votre conseil assez prochainement, sur forme et état de traité de paix. Et si par aucune voie convenable et raisonnable on pouvoit entre vous et lui, vos conjoins et adhérens, et les siens, trouver moyen et conclusion de paix, il en auroit grand’joie ; et ne plaindroit point la peine ni travail de lui et de ses hommes, pour venir ou envoyer suffisamment les dessus nommés par deçà la mer, fût en la cité d’Amiens ou ailleurs, là où l’assignation seroit faite. Et sur cel état sommes-nous ci venus et envoyés pour en savoir votre entente. »

— « Messire Thomas, répondit le roi, messire Thomas, et vous autres, vous nous êtes les bien-venus ; et de votre venue et parole avons-nous grand’joie. Vous ne vous partirez pas si très tôt de Paris. Et nous parlerons à notre conseil. Si vous en ferons réponse si convenable avant votre parlement que bien vous devra suffire. »

De celle réponse se contentèrent les Anglois grandement. Adonc rentra le roi en autres paroles et puis vint l’heure du dîner. Les chevaliers d’Angleterre furent retenus pour dîner en l’hôtel du Louvre et rechargés au seigneur de Coucy et au seigneur de la Rivière, lesquels les prirent et les menèrent en une chambre parée et ornée moult richement. Et l’avoit-on couvert pour eux. Si y dînèrent bien et par loisir ; et leur firent à table le connétable et le sire de Coucy compagnie ; et quand ils eurent dîné, ils retournèrent en la chambre du roi, et là furent tant que on apporta vin et épices en grands drageoirs d’or et d’argent. Le vin et les épices pris, les chevaliers d’Angleterre prirent congé au roi et aux seigneurs, et se départirent de la chambre, et vinrent en la place, puis montèrent sur leurs chevaux et retournèrent à leur hôtel dessus dit.

La venue de messire Thomas de Percy et des chevaliers d’Angleterre, et les nouvelles que ils eurent apportées plurent grandement au roi de France et au duc de Bourgogne et à plusieurs du conseil du roi, et non pas à tous, et par espécial à ceux qui aidoient à soutenir le pape d’Avignon ; car ils véoient bien que, par celles nouvelles et traités qui se commençoient à entamer, où le roi s’inclinoit, entre le roi de France et le roi d’Angleterre, se retardoit grandement le voyage qui étoit empris pour aller à Rome détruire le pape Boniface et les cardinaux, ou ramener à la crédence et subjection du pape Clément d’Avignon. La chose étoit si haute et si belle du traité de la paix, et tant touchoit pour le profit commun de toute chrétienté, que nul n’osoit parler du contraire ; et le duc de Bourgogne et son conseil, avecques le roi et son frère et le duc de Bourbon, étoient tous en un. Le roi fit très bonne chère à messire Thomas de Percy et aux Anglois ; mais en leur compagnie avoit un chevalier, lequel on appeloit messire Robert Briquet, que il ne véoit pas trop volontiers, lequel étoit de la nation du royaume de France, où toujours avoit été ou Navarrois ou Anglois, et encore étoit-il de la chambre du roi d’Angleterre. Si dissimuloit le roi assez sagement, mais quand il parlementoit à eux, si tournoit toujours ses paroles sur Thomas de Percy ou messire Louis de Cliffort, ou sur messire Jean Clanvou ; et disoit bien le roi de France : « Nous verrons volontiers la paix entre nous et notre adversaire d’Angleterre, car la guerre et la querelle de dissension a trop longuement duré. Et vueil bien que vous sachiez que point ne demeurera en nous pour y mettre grandement du nôtre. » — « Sire, répondirent les chevaliers, notre sire le roi d’Angleterre, qui nous a ci transmis, y a très bonne affection, et dit que point ne demeurera en lui ; et que la guerre et dissension entre vos terres et pays a trop longuement duré ; et s’émerveille par fois comment aucuns moyens bons, sages et amiables, ne s’en sont ensoignés plus acertes. » — « Or, répondit le roi de France, nous verrons la bonne affection qu’il y a. »

Ainsi furent les Anglois à Paris six jours, et tous dînèrent hors de leur hôtel avecques l’un des ducs. En ces six jours qu’ils reposèrent et séjournèrent à Paris, il fut proposé, parlementé et arrêté sûrement, que le roi de France et son frère et ses oncles, et son souverain et espécial conseil seroient à la moitié du mois de mars en la cité d’Amiens, si venir y vouloient, et là attendroient le roi d’Angleterre, ses oncles et leurs consaulx. Les chevaliers d’Angleterre qui là étoient se firent forts de toutes ces ordonnances appartenant à leur côté, et dirent bien que point n’y auroit de deffaute, du moins que les oncles du roi d’Angleterre et son conseil du royaume d’Angleterre ne fussent au jour assis et préfix en la cité d’Amiens. Ainsi se porta la conclusion de celle ordonnance. Le jour devant que les Anglois devoient partir de Paris et prendre congé au roi, le roi vint au palais ; et là furent ses frères et ses oncles ; et donna à dîner très notablement aux chevaliers d’Angleterre ; et fit messire Thomas de Percy seoir à sa table ; et l’appeloit et tenoit pour son cousin du côté de Northombrelande. À ce dîner furent donnés et présentés à messire Thomas de Percy et aux chevaliers d’Angleterre, et aux écuyers d’honneur de leur côté, grands dons et beaux joyaux ; mais en donnant et présentant on passa messire Robert Briquet ; et dit le chevalier qui les dons asséoit et présentoit, ce fut messire Pierre de Villers, souverain maître de l’hôtel du roi : « Quand vous aurez fait service au roi qui lui plaise, il est riche et puissant assez pour vous rémunérer. » À ces mots le chevalier passa outre et messire Robert Briquet demeura tout pensif et mérencolieux, et connut bien que le roi ne l’avoit point en grâce : si lui convint souffrir ce blâme et celle parole. Quand on eut dîné à grand loisir, lavé, et levé les tables et rendu grâces, ménestrels de bouche et du bas mestier furent appareillés devant le roi, et firent leur devoir de ce que ils devoient dire et faire, ainsi comme ils ont d’usage

Ces ébattemens passés, messire Thomas de Percy s’avança et s’en vint agenouiller devant le roi et dit ainsi : « Très cher sire, je et mes compagnons nous émerveillons d’une chose. Vous nous avez fait si très bonne chère que nous vous en devons savoir gré ; et nous avez fait grandement et largement donner et départir de vos biens et riches joyaux. Mais de ce que on a trépassé, en ces dons donnant, messire Robert Briquet qui est chevalier d’armes et homme et chambellan, avecques nous, à notre sire le roi d’Angleterre, moi et mes compagnons saurions volontiers à quoi il tient. » À celle parole répondit le roi de France et dit : « Thomas, le chevalier que vous nommez, puisque savoir le voulez, n’a pas mestier, si il se trouve en bataille à l’encontre de nous, que son cheval achoppe, car si il étoit pris, sa rançon seroit payée. » À ces mots, le roi fit lever sus messire Thomas de Percy et rentra en autres paroles. Assez tôt après, on apporta vin et épices. Si en prirent le roi et les seigneurs à leur plaisance, et tantôt ce fait, le congé fut pris et donné, et retournèrent les Anglois à leur hôtel. Si firent compter et payer partout ; et à lendemain ils se départirent et mirent au retour, et firent tant par leurs journées que ils retournèrent en Angleterre ; et recordèrent au roi et à ses oncles comment ils avoient exploité ; et se louèrent grandement du roi de France et de la bonne chère qui faite leur fut, et des dons et joyaux qui leur furent donnés.

Nous nous souffrirons à parler des Anglois, et conterons un petit du roi Jean de Castille et en suivant du comte d’Armignac.