Aller au contenu

Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre IV/Chapitre XXII

La bibliothèque libre.
Texte établi par J. A. C. Buchon (IIIp. 118-119).

CHAPITRE XXII.

De la mort du jeune comte Louis de Chastillon, fils au comte Guy de Blois.


Vous savez, et vérité est, si comme contenu est en notre histoire, ci arrière bien avant, comment j’ai parlé de l’alliance et mariage de Louis de Chastillon, fils au comte de Blois et de mademoiselle Marie, fille au duc Jean de Berry. À ordonner et confirmer le mariage, le duc de Berry y fut trop grandement pour lui et pour sa fille ; car elle fut douée et assignée sur toute la comté de Blois de cinq mille livres, monnoie de France, qui valent bien six mille francs à prendre les florins, si Louis de Blois alloit de vie à trépas devant sa femme, si nettement en la comté de Blois que toute la terre seroit ensoignée du payer. Or avint, environ la Saint-Jean-Baptiste, que on compta pour lors en l’an de grâce de Notre Seigneur mil trois cent quatre vingt et onze, que l’enfant, que je nomme Louis de Blois, fils au comte Guy, se départit de son père, et du chastel des Montis séant en Blois, pour venir en Hainaut voir sa dame de mère et sa femme. Quand il fut venu à Beaumont en Hainaut, il n’y séjourna guères longuement que fièvres et maladie l’aherdirent, car il avoit chevauché grands journées et par trop chaud temps ; et fut mal gardé, car l’enfant étoit tendre, mol et jeune, sur l’âge de quatorze ans ; de laquelle maladie il mourut, ni oncques les médecins ne l’en purent garder ni ôter la fièvre[1].

Vous devez savoir que au père ni en la mère il n’eut que courroucer quand ils virent leur héritier mort ; ni aussi n’eut-il en la jeune dame, mademoiselle Marie de Berry, car moult l’aimoit et moult se tenoit grandement et hautement mariée. Le courroux et destourbier du père fut trop grand ; car quand il pensoît et imaginoit sur ces besognes il les véoit trop obscures, car il sentoit le duc de Berry outre mesure convoiteux, et que, pour accomplir et fournir le douaire de sa fille, il se bouteroit en la comté de Blois et en ôteroit l’héritier ; il l’en convenoit attendre l’aventure. Ainsi furent les deux filles du duc de Berry, Bonne et Marie, en cel an veuves. Bonne, l’ains-née, étoit comtesse de Savoie ; mais son mari, le jeune comte de Savoie que on clamoit ains-né, mourut en cel an assez merveilleusement, dont depuis il fut grand’question[2] ; et en vouloit-on amettre messire Othe de Granson ; et en fut suspeçonné ; et l’en convint partir et vider la comté de Savoie, le royaume de France et l’empire d’Allemagne et aller demeurer en Angleterre[3].

  1. Louis, comte de Dunois, fils de Guy II de Châtillon et de Marie de Namur, avait épousé Marie de Berry en 1386. Il mourut le 15 juillet 1391.
  2. Amédée VII, dit le Rouge, comte de Savoie, avait épousé Bonne de Berry, en décembre 1371, et il eut d’elle : Amédée VIII, dit le Pacifique, premier duc de Savoie ; Bonne, mariée à Louis de Savoie, prince d’Achaïe ; et Jeanne, femme de Jacques, marquis de Montferrat. Il mourut à Ripaille, le Ier novembre 1391, d’un accident qui lui était arrivé à la chasse ; mais comme cette année les empoisonnemens avaient fait beaucoup de bruit, et que, suivant les grandes Chroniques, les ladres, lépreux ou méseaux avaient été mis à mort, comme soupçonnés d’avoir voulu empoisonner les fontaines, Othon de Granson et Amédée, prince de Morée, furent accusés de lui avoir donné du poison.
  3. Il n’en revint que six ans après.