Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Sur Jehan Le Bel

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SUR JEHAN LE BEL.



Dans le Miroir des nobles de Hasbaie, écrit en 1353 par Jacques d’Hemrioourt, on trouve les renseignemens suivans sur Jean Le Bel.


« La fille Renier de This fut mariée al saingnor Henry Cossen ; s’en eut un fils nomméis Henrys, quy fut murdris, et dois filles, dont ly une fut mariée à saignor Gilhe le Beal, esquevin de Liége qui portoit les armes d’Ilhe, assavoir de gueules à quatre griffes des Lyons d’or, et ly autre fut mariée à Gerart de Tyhanche, quy le Henry son soroirge murdrit.

Du saingnor Gilhe le Beal, esquevin de Liege, et delle filhe saingnor Henry Cossen, riche borgois de Liege, issirent trois fis et une filhe : assavoir ly bons, ly larges et ly vailhant messire Johan le Beal, cannone de Saint-Lambert et prévost delle église Saint-Johan en Liége, messire Henry le Beal, chevalier, esquevin de Liége, et Gilhe le Beal, cannone de la dite église Saint-Johan. Et orent chis enfans une sereur mariée à monseigneur Hombert de Biernamont chevalier.

Messire Johans dessurnommeis ne doit pas estre obliés en ce compte, car onkes, d’eage d’omme vivant à son temps, ille n’out en l’eglise Saint-Lambert nul miex entachiés de ly, ne de plus frank, ne de plus noble regiment ; car je le véys, et hantay tant son hosteit que je en saray bin veriteit recorder. Il fut grans et haus, et personables de riches habis et stoffeis, samblans as habis des bannerés, car ses vestemens de parement estoyent hammoteis sur les espalles de bons fermens ; ille estoit foreis de costables pennes et de fins et de cendal, selon la temporement de temps, et avoit estat de chevax et de maynies alle avenant.

Il avoit eut en ses jovenes jours fakenirs et brakenirs, chiens et oseax costablement ; et estoit ses regimens cotidiens et ly escuwyirs d’onneur qu’il avoit escoleit, teilement affaitiés, que sains parler à leur maistre, s’ille véoyent alcon vaillant homme estraingne, fuist prelas, chevaliers ou escuwirs, ille le prioyent fuist al dyneir lou al sopeir, et selont ce estoit tos jours ses hosteit porveus ; et sy alcons princes s’enbatoit en la citeit, ille convenoit qu’il disnast deleis ly.

Ille portoit tout habit de chevalier de pyet et de corps, et del harnas de ses chevax ; et estoit costables de fermas et de botennires de pierles et de vrayes pires ; les cheveches de ses soplis estoient tous pres orés de pierles ; et estoit sa table onie ; et ly bankes de sopeir estoit commons à tos et as ; solempniteis ons y siervoit en vasel d’argent ; ille n’alloit onkes les commons jours delle samaine alle eglise qu’il n’euist seize ou vingt persones quy le conduysoient, tant de ses proymes, comme de ses maisnies, et de cheax qui estoyent à ses dras. Et quant c’estoit as jours solempnès, chil quy estoyent en ses dras le venoyent quere en son hosteit et le mynoyent alle eglise. Si avoit sovent fois assy gran rotte après ly com après l’évesque de Liége, car il avoit bin cinquante ou de moins quarante parsiwans, quy tus demoroient al dyneir deleis ly. Sy qu’il estoit chief et souverain de son linages ; et selont ce ly portoyent sy proisme et amis honeur et révérence et ille les hantoit et avanchissoit en tos estas. Ille donoit quarante owit paires de robes d’escuwiers et chink paires de robes à vayres, assavoir à trois cannones et à dois chevaliers.

Ille parsievist les armes en joventé et servit al tournoy ; et fut delle hastoit monseigneur Johan de Haynau, saingnor de Beaumont et de Cymay. Ille avoit bon sens natureit et bon regiment sor tos atres. Ille estoyt lyes, gays, jolis, et savoit fair chanchons et vierlais, et quéroit tos desduys et tos ses solas ; et en ce faisant ille acquist grandes pentions et grans hiretages. Se ly fist Diex la grasce qu’il viskat tot son temps en prosperiteit et en gran santeit. Et fut anchiens de quatreviens ans ou plus quant ille trespassat ; et selont son estat furent reverement et costablement faits ses exèques.

Ille ot en ses anchiens jours une paire de fis gemeax d’une poirture, nommeis Johan et Gilhe, quy furent d’une damoyselle de bonne extration, qui estoit de linage de Preit, filhe delle sereur Stassien de Preit et Gilhon de Preit ; az queis dois gemeax, ille laissat grans possessions. Ly ainsneis est chevalier et sires de Hemricourt, et Gilhe est chantres et cannone de Saint-Martin en Liége.

Ly dy messire Johan fils de vailians cannones dessus nomeis est heureusement mariés à une dame du noble sang de Duff et de Neuvelies, et en cargue les armes d’Opliew. »

Jean Le Bel mourut, comme on le voit dans le Miroir des nobles de Hasbaie de d’Hemricourt âgé de près de quatre-vingts ans.

Il est fait mention de ce Jean Le Bel dans le chap. XXX, liv. I, de Froissart, comme ayant suivi Jehan de Hainaut en Angleterre, lorsqu’il vint en 1327 se joindre à l’armée d’Édouard contre les Écossais.

« Des Hasbaignons vinrent : messire Jehan le Beaux et messire Henry son frère. » (T. i, p. 21.)

Il paraît qu’à son retour de son expédition il avait écrit des mémoires de cette guerre et des événemens importans de son temps, mémoires qui ont servi de Guide à Froissart ; voici ce qu’en dit notre chroniqueur.

« Vénérable homme et discret seigneur monseigneur Jean le Bel, chanoine de Saint-Lambert de Liége, grand’cure et toute bonne diligence mit en ceste matière, et la continua tout son vivant au plus justement qu’il put, et moult lui cousta à acquerre et à l’avoir. Mais, quelques frais qu’il y eut ni fit, rien ne les plaignit ; car il étoit riche et puissant, si les pouvoit bien porter ; et de soi même étoit large, honorable et courtois, et qui volentiers voyoit le sien dépendre. Aussi, il fut en son vivant moult amis et secret à très noble et douté seigneur monseigneur Jean de Hainaut, qui bien est ramentu, et de raison, en ce livre ; car de plusieurs et belles avenues il en fut chef et cause, et des rois moult prochain ; par quoi le dessus dit mes sire Jean le Bel put de-lez lui voir et congnoître plusieurs besongnes. (T. i, p. 1.)

J’ai publié dans ma collection des Chroniques une chronique de Richard II dont l’auteur se dit être aussi Jean Le Bel, chanoine de Saint-Lambert de Liége. Le manuscrit de la Bibliothèque du Roi qui contient cette chronique porte la signature autographe avec l’année 1449. J’ai pensé que ce Jean Le Bel pourrait bien être le petit-fils de notre chanoine, par Jean, sire d’Hemricourt, l’aîné de ses fils naturels. Voici la généalogie de cette famille telle qu’il m’a été possible de rétablir :


JEAN LE BEL
épouse une fille d’Henry Cossen.
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Jean,
chanoine de Saint-Lambert et prévôt de l’église Saint-Jean, chevalier.
Dans sa jeunesse, il assiste à l’expédition de Jean de Haynau ; auteur des mémoires qui ont servi de guide à Froissart.
Dans un âge avancé, il a d’une jeune fille de la famille des Prés
Henry,
chevalier, échevin de Liége,
assiste avec son frère Jean à l’expédition de Jean de Haynau en Écosse.
Gille,
chanoine de Saint-Jean.
Une sœur
mariée à Humbert de Bernaumont
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Jean,
sire d’Hemricourt, chevalier,
marié à une jeune fille de la famille de Duff et de Neufliese.
Gille,
chantre et chanoine de Saint-Martin de Liége.
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Jean,
chanoine de Saint-Lambert,
auteur de la chronique de Richard II.