Les Contes de Canterbury/Conte du curé

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Traduction par Charles Bastide.
Texte établi par Émile LegouisFélix Alcan (p. 511-524).



Groupe I.


Conte du Curé.


Prologue.


Ci suit le prologue du Conte du Curé.



Quand le manciple eut fini son conte,
le soleil avait décliné de la ligne du sud
si bas qu’il n’était plus, à mes yeux,
qu’à la hauteur de vingt et neuf degrés.
Il était quatre heures alors, suivant mon calcul :
car onze pieds, ou guère plus ni moins,
mesuraient mon ombre à cette heure, en ce lieu,
de ces pieds qui eussent divisé ma taille
en six pieds égaux en proportion[1].
10D’ailleurs l’exaltation de la Lune,
je veux dire la Balance[2], commençait son ascension,
comme nous arrivions à l’entrée d’un hameau ;
c’est pourquoi notre hôte, qui avait accoutumé de guider,
comme dans ce cas, notre joyeuse compagnie,
parla en ces termes : « Messeigneurs, tous et chacun,
maintenant il ne nous manque plus qu’un seul conte.
On a exécuté ma décision et mon arrêt ;
je pense que nous en avons ouï de toute sorte.
On a presque tout exécuté selon mon ordonnance ;
20je prie Dieu qu’il donne bonne chance
à celui qui nous dira ce conte joyeusement.
Messire prêtre (dit-il), es-tu vicaire ?
ou es-tu curé ? dis vrai, par ta foi !
Qui que tu sois, n’interromps pas notre jeu,
car chacun ici, sauf toi, a dit son conte.

Ôte la boucle et montre-nous ce que tu as dans ton sac ;
car vraiment m’est avis, à ta mine,
que tu dois bien savoir ourdir une grande histoire.
Dis-nous un conte, bien vite, palsambleu ! »
30 Notre curé lui répondit tout aussitôt :
« Tu n’auras pas de fable contée, pour ce qui est de moi ;
car Paul, écrivant à Timothée,
blâme ceux qui s’écartent de la vérité
et content des fables et autres sottises.
Pourquoi irais-je semer la balle de ma main,
quand je peux semer le froment, si cela me plaît ?
C’est pourquoi je dis que s’il vous plaît d’écouter
une moralité et une matière édifiante,
et puis si vous voulez me prêter l’oreille,
40 je vous donnerai volontiers, en toute révérence envers le Christ,
divertissement permis, de mon mieux.
Mais sachez-le bien, je suis homme du sud ;
je ne sais pas conter en répétant les lettres — rum, ram, ruf[3] ;
et, Dieu m’est témoin, je n’estime guère mieux la rime ;
et c’est pourquoi, s’il vous plait, je n’userai pas de périphrases.
Je vous dirai un plaisant conte en prose
pour terminer toute cette fête et pour en finir.
Et que Jésus, dans sa bonté, m’envoie la sagesse
de vous montrer la route, pendant notre voyage,
50 de ce parfait et glorieux pèlerinage
que l’on appelle la Jérusalem céleste !
Et, si vous le permettez, sans plus
je commencerai mon conte, sur lequel je vous prie
de me donner votre avis, je ne peux mieux dire.
Mais néanmoins, cette méditation,
je la soumets à toute correction
des clercs, car je ne suis pas textuel,
je ne prends que le sens, croyez-moi bien.
Aussi je fais déclaration
60 que j’accepterai toute correction. »
Là-dessus nous nous hâtâmes de donner notre assentiment,
car, nous semblait-il, c’était chose à faire

de terminer par quelque instruction édifiante,
et de donner au curé temps et audience ;
et nous invitâmes notre hôte à lui dire
que nous le priions tous de dire son conte.
Notre bote prit la parole pour nous tous :
« Messire prêtre (dit-il), que le ciel vous bénisse !
Dites ce qu’il vous plaira et nous écouterons avec joie. »
70 Et à ces paroles il ajouta quelques mots en cette sorte :
« Contez-nous (dit-il), votre méditation,
mais hâtez-vous, le soleil va se coucher.
Parlez fructueusement, et cela en peu de temps,
et de bien faire que Dieu vous donne la grâce. »


Explicit Prohemium.



Le Conte du Curé[4].


Ici commence le Conte du Curé.


[Malgré l’avis prudent de l’hôtellier, le bon Curé ne devait pas se hâter de dire son conte ou plutôt son sermon. Le texte de cette homélie en prose tient 43 pages sur deux colonnes très serrées dans le Student’s Chaucer. Ici encore un résumé s’imposait, la matière n’étant pas neuve, l’original existant pour une bonne part en français, comme on le verra dans la note. On trouvera donc dans les pages suivantes une brève analyse pour laquelle ont été employés dans la mesure du possible les mots même de la Somme française. Nous indiquons au cours de cette analyse notre sentiment sur l’authenticité de l’œuvre, question qui ne paraît pas avoir beaucoup préoccupé les commentateurs.]

State super vias et videte et interrogate de viis antiquis, quæ sit via bona ; et ambulate in ea, et invenietis refrigerium animabus vestris. (Jer.)

Exorde. — Les chemins qui conduisent à Notre Seigneur Jésus-Christ et au règne de gloire sont nombreux. L’un d’eux s’appelle Pénitence. Il importe à tout homme de s’en enquérir. C’est pourquoi le prédicateur définira Pénitence, montrera comment elle agit, et quelles en sont les différentes sortes. Mais quelles choses sont nécessaires à vraie et parfaite Pénitence ? Trois choses : Contrition de cœur, Confession de bouche, et Satisfaction. Pénitence est comme un arbre dont la racine est Contrition, Confession les branches et les feuilles, Satisfaction le fruit.

Premier point. — Contrition est la douleur que l’homme éprouve en son cœur pour ses péchés. Elle doit être déterminée par six causes : et d’abord « la souvenance des péchés ; pensez en effet que d’enfants de Dieu vous êtes devenus membres du démon, un scandale pour Sainte Église, la pâture du perfide serpent ; vous retombez souventefois en le mal, comme le chien retourne à son vomissement ». Telles réflexions inspirent à l’homme de la honte pour son péché. Les autres causes sont le sentiment d’être esclave du péché, la crainte de l’enfer, la souvenance des bonnes œuvres rendues vaines par l’inconduite qui s’ensuivit ou des bonnes œuvres qui par insouciance ne furent point faites ; c’est bien à propos que celui qui n’a point fait de bonne œuvre, pourra chanter cette récente chanson française : « J’ay tout perdu, mon temps et mon labeur ». La cinquième cause est la souvenance de la Passion de Notre Seigneur pour nos péchés, et la dernière est l’espoir du pardon, de la sanctification et de la vie éternelle. — L’homme doit maintenant connaître les modes de la contrition, laquelle sera universelle et totale. Repentance ne concerne pas seulement les actes mais aussi les intentions ; pas seulement les faits, mais aussi les paroles. Contrition s’accompagne de merveilleuse angoisse, Contrition est continuelle, car tant qu’elle dure, l’homme peut espérer le pardon obtenir. — Contrition a enfin pour effet de libérer l’homme du péché. « Elle détruit la prison d’enfer, elle énerve et affaiblit les forces du diable, rétablit les dons du Saint-Esprit et de toutes bonnes vertus. Moult sage est qui veut s’appliquer à ces choses, car en vérité pendant toute sa vie il n’aura jamais courage de pécher, mais adonnera son corps et son Âme au service de Jésus-Christ, et lui en fera hommage, car en vérité, notre doux Seigneur Jésus-Christ nous a si débonnairement épargnés en nos folies que, si point n’avait eu pitié des âmes des hommes, nous serions tous dans le cas de chanter triste chanson. »

Second point. — La seconde partie de Pénitence est Confession, laquelle est signe de Contrition. Confession est l’acte par lequel on démontre vraiment ses péchés au prêtre ; vraiment, c’est-à-dire sans détour. Pour ce, il faut savoir d’où viennent les péchés, comment ils s’aggravent, quels ils sont. — Causes de péché : Le péché est entré dans le monde avec Adam, quand celui-ci a enfreint le commandement de Dieu. Le péché originel résume en soi tous les péchés : « l’idée première en vient du démon, si comme le montre le serpent ; on y voit ensuite le plaisir charnel, si comme le montre Ève ; et après cela le consentement de la raison, si comme le montre Adam ». Le péché a donc trois causes : tentation de Satan, concupiscence de la chair, assentiment de la raison. — Par quoi se peut comprendre le développement du péché. Ayant son origine dans la chair, il grandit par la faiblesse de l’homme qui se soumet au diable. « Comme une épée coupe une chose en deux, ainsi le consentement sépare l’homme de Dieu. » « Péché est mortel, ou véniel : mortel, quand on aime la créature plus que Jésus-Christ ; véniel, quand on aime Jésus-Christ moins qu’on ne doit. » Prenons garde aux péchés véniels : « Une grosse vague de la mer vient parfois avec si grande violence qu’elle engloutit la nef. Et même malheur, ce sont parfois de petites gouttes d’eau qui le produisent, quand elles pénètrent par une mince fente en la sentine et de là jusques au fond de la nef, si les matelots n’ont cure d’icelle vider. » Nombre de péchés qu’on croit insignifiants sont dangereux : à savoir, boire et manger à l’excès, trop parler, ne pas écouter les pauvres avec bienveillance, négliger les jeûnes, arriver en retard aux offices, accorder trop d’affection à femme et enfants. Les remèdes à tous ces manquements sont faciles : c’est la communion, c’est l’eau bénite, les aumônes, la récitation du Confiteor à la messe, c’est la bénédiction des évêques et des prêtres, et moult autres bonnes œuvres.

[Ici le sermon est interrompu. Le prédicateur — c’est peut-être un zélé orthodoxe qui a voulu par une fraude pieuse revêtir de l’autorité de Chaucer un chapitre particulièrement populaire de la « Somme le Roy » — passe sans transition à la question des Sept Péchés capitaux.]

Sequitur de Septem Peccatis Mortalibus et eorum dependenciis circumstanciis et speciebus. « Maintenant il convient de dire quels sont les péchés mortels, c’est-à-dire capitaux, car on les appelle capitaux, parce que ce sont les chefs d’où proviennent tous les autres. Orgueil est la racine d’où issent et naissent certaines branches, Ire, Envie, Paresse, Avarice, Gourmandise, et Luxure. Chacun de ces péchés capitaux a ses branches et ses rameaux comme il appert ci-après. »

De Superbia

D’Orgueil naissent tant de rameaux que n’est clerc qui les sut nombrer. Il faut se contenter d’en citer quelques-uns, à savoir : Révolte, Vanterie, Hypocrisie, Dépit, Arrogance, Impudence, Insolence, Impatience, Présomption. « Il existe deux sortes d’Orgueil, l’un est au-dedans du cœur, l’autre au-dehors. Mais l’un est signe de l’autre, comme le gai bouchon de la taverne est signe du vin qui se trouve au cellier. » Orgueil se rencontre dans les vêtements superflus, « non seulement les broderies, mais la fourrure des manteaux, manteaux trop longs en vérité, qui traînent dans la boue et les ordures, en sorte que la partie qui traîne se perd, au lieu de la donner aux pauvres, au grand dam de ces pauvres gens ». Orgueil se voit aussi dans l’insuffisance des vêtements, si serrés qu’au lieu de couvrir et de voiler, ils découvrent et déshabillent. « Le péché d’ornement est en choses qui regardent l’équitation, tel le nombre des chevaux de grand prix, et les nombreux coquins qui sont nourris à cause d’eux, les harnais curieux, les selles, croupières, poitrails et brides, recouverts d’étoffes précieuses et riches, de barres et de plaques d’or et d’argent. » À quoi bon aussi entretenir grande maisonnée là où il n’y a nul profit à ce faire. La table fait apparaître Orgueil dans l’excès des viandes et des boissons, l’excès des vaisseaux de métal précieux, l’abus de la musique. Enfin « Orgueil vient des biens de nature comme santé, force, beauté du corps, subtil esprit pour bien trouver, bonne mémoire pour bien retenir ; des biens de fortune comme richesses, honneurs, prospérités ; des biens de grâce comme science,contemplation vertueuse, force de résister à la tentation ».

Le remède à Orgueil est humilité et douceur. « Or il y a trois sortes d’humilité, celle du cœur, celle des lèvres, celle des œuvres. Il y a quatre sortes d’humilité de cœur : la première quand l’homme s’estime rien en face de Dieu ; la seconde quand il ne méprise aucun autre homme ; la tierce quand il n’a pas cure du mépris d’autrui ; la quarte quand il ne regrette point sa vergogne. » De même il y a quatre sortes d’humilité des lèvres et d’humilité des œuvres.

De Invidia.

« Après Orgueil il convient de parler d’Envie qui est, selon le philosophe, chagrin pour la prospérité d’autrui, et selon saint Augustin, chagrin pour le bonheur d’autrui et joie pour le mal advenant à autrui. » Envie vient de Méchanceté. Méchanceté est de deux sortes : dureté de cœur et opposition à vérité. « Certes Envie est le pire des péchés, car tandis que tous les autres péchés combattent une vertu particulière, Envie les combat toutes. » Envie peut être le chagrin que cause la prospérité d’autrui ou la joie éprouvée an malheur d’autrui, ce qui fait ressembler l’homme au Diable son père, qui se délecte toujours du malheur des hommes. Envie engendre Médisance dont voici un exemple : « Quelques-uns font l’éloge de leur voisin avec mauvaise intention, faisant toujours un mais en terminant qui est digne de plus de blâme que ne vaut tout l’éloge ». Il y a cinq manières de Médisance. Après viennent Murmures fréquents parmi les serviteurs « qui, n’osant résister ouvertement aux commandements du seigneur, disent du mal de lui, le dénigrant, et murmurent par dépit », puis Aigreur de cœur, Discorde, Mépris, Accusations, Malignité.

L’amour de Dieu et du prochain est le remède de ce péché. « Le prochain, il faut le considérer comme un frère, puisque tous les hommes ont mêmes parents selon la chair, à savoir Adam et Ève, et même père spirituel, c’est-à-dire Notre Père céleste. » Fais à autrui ce que tu voudras qu’il te soit fait. Ne fais tort à ton prochain, ni en sa personne, ni en ses biens, ni en son âme, en le séduisant par de mauvais exemples. Ne convoite ni sa femme ni chose qui lui appartienne. Aime ton ennemi. Quand il dit du mal de toi, prie pour lui ; quand il te fait du tort, donne lui des preuves de bonté : Jésus-Christ n’est-il pas mort pour ses ennemis ? « Comme le Diable est confondu par Humilité, ainsi est-il blessé à mort par notre amour pour notre ennemi. Certes Amour est la médecine qui purge le cœur de l’homme du venin d’Envie. »

De Ira.

Colère suit Envie, car quiconque envie son prochain, trouve sans peine matière à colère contre lui. Saint Augustin définit la colère la volonté de se venger par des paroles ou des actes. Il y a « deux manières de Ire : l’une est juste, l’autre est mauvaise ». La juste colère est sans rancune, ce sont les méfaits des hommes, non les hommes eux-mêmes qui la provoquent. Il y a deux mauvaises colères : l’une soudaine, l’autre calculée ; l’une est vénielle, l’autre mortelle. « Colère est agréable au diable, car elle est la fournaise du diable, qu’échauffe le feu d’Enfer. De même que nul élément n’est plus puissant que le feu pour détruire les choses terrestres, ainsi Colère est puissante pour détruire toutes choses spirituelles. Voyez comme ce feu de braise, presque mort sous la cendre, se réveillera au contact du soufre ; ainsi Colère se réveillera, si elle est touchée par Orgueil qui sommeille au fond du cœur humain. » Rancune nourrit et entretient Colère. « Il y a une espèce d’arbre, selon saint Isidore, qui, si les hommes en font du feu et en couvrent la flamme avec de la cendre, le feu en durera un an et plus. » Il en est ainsi de la rancune. De Ire sont engendrés Haine, Discorde, Guerre, Homicide. Homicide est spirituel ou matériel. Il y a six sortes d’homicide spirituel : homicide par haine, médisance, mauvais conseil, non paiement de gages, usure, refus de faire aumône ; et quatre sortes d’homicide matériel : par jugement, nécessité, imprudence, luxure. Autres péchés sont engendrés par Ire : ce sont jurons, parjures, conjurations de démons : « Que dire, en effet, de ceux qui croient aux divinations tirées du vol des oiseaux, des sorts, des rêves, d’une porte qui crie, d’un rat qui ronge, ou autres sottises pareilles ». Mais il faut en venir aux tromperies, que facilitent les mensonges et la flatterie. Doit-on parler des malédictions, des reproches, des mépris du cœur courroucé ? Colère inspire les mauvais conseils du traître, encourage l’homme à semer la discorde parmi ses semblables, à proférer des menaces et de vaines paroles, à prolonger les discussions, à prodiguer les moqueries.

Le remède est cette vertu qu’on appelle Mansuétude ou Bénignité. Patience est une autre vertu dont il existe quatre variétés qui aident respectivement à souffrir les mauvaises paroles, le tort matériel, le mal physique, le travail excessif. « Un jour un philosophe, voulant châtier son disciple, chercha un bâton, et quand l’enfant vit le bâton, il dit à son maître : Que pensez-vous faire ? — Je veux te frapper, dit le maître, afin de t’amender. — En vérité, s’écria l’enfant, vous devriez commencer par vous amender vous-même, qui avez perdu toute votre patience pour une faute d’enfant. — En vérité, s’écria le maître tout en larmes, tu dis vrai ; prends moi le bâton et châtie-moi pour mon impatience. » De Patience vient Obéissance qui est parfaite, quand un homme fait tout ce qu’il doit faire.

De Aggidia.

Si Envie aveugle le cœur de l’homme et si Colère le trouble, Paresse l’alourdit. C’est un péché mortel, car le Livre dit : Maudit soit celui qui fait le service de Dieu négligemment. En quelque état que se trouve l’homme, Paresse est son ennemi. « Dans l’état d’innocence, il doit travailler à glorifier et adorer Dieu ; dans l’état de péché, à prier pour son amendement ; dans l’état de grâce, il est tenu d’accomplir les œuvres de pénitence. » Or Paresse ne souffre ni peine ni pénitence. Pour combattre ce péché l’homme doit s’habituer à accomplir de bonnes œuvres. « Le travail, dit saint Bernard, donne à l’ouvrier des bras forts et des muscles durs, Paresse l’affaiblit et l’énerve. » Puis vient Désespoir engendré par une douleur ou une crainte excessives. Celui qui désespère n’hésite devant aucun péché, témoin Judas. Que ne songe-t-il à la miséricorde divine dont tout pécheur repentant peut-être l’objet, au fils prodigue, au bon larron sur la croix ? Somnolence vient ensuite qui engourdit le corps et l’âme, et Négligence, « nourrice de tout mal comme Ignorance en est la mère », et Tarditas qui éloigne l’homme de Dieu, et Tristicia qui cause la mort de l’âme.

La vertu appelée Fortitudo est le remède à employer contre ce péché. « Elle est en diverses sortes : Magnanimité, c’est-à-dire grand courage, Magnificence, quand un homme achève les grandes œuvres de bien qu’il a commencées, Constance ou stabilité de courage. » Il y a d’autres remèdes à ce péché dans diverses œuvres, dans la méditation sur les peines éternelles et les joies du Paradis, dans la foi en la grâce du Saint-Esprit.

De Avaricia.

Avarice, d’après saint Augustin, est concupiscence du cœur pour les biens de la terre. Il faut distinguer Avarice et Convoitise, « Convoitise c’est convoiter ce que tu n’as pas, Avarice c’est garder ce que tu as, sans en avoir besoin ». « Quelle différence y a-t-il entre un idolâtre et un avare fors que l’idolâtre par aventure n’a qu’une idole ou deux, et l’avare en a plusieurs ? Car tous les florins de son coffre sont des idoles pour lui. » De convoitise vient rapine des seigneurs, lesquels prétendent que c’est justice d’écorcher leurs pauvres hommes par tailles et coutumes excessives, disant que le serf n’a aucun bien temporel qui n’appartienne à son seigneur. Or le servage n’est point prescrit par la nature, il est seulement la punition d’une faute. « Les seigneurs ne se doivent mie glorifier de leurs seigneuries puisque dans leur condition naturelle ils ne sont pas seigneurs de serfs. Pensez que de cette semence dont serfs sont nés, sont aussi nés seigneurs. Serf peut être sauvé aussi bien que seigneur. La même mort qui prend esclave, prend seigneur. Adonc je dis : agis avec ton serf comme voudrais que ton seigneur fit avec toi, si tu étais dans telle triste condition. Tout pécheur est serf envers péché. » Que dire de ceux qui dépouillent et pillent l’Église ? L’épée donnée au chevalier signifie qu’il doit défendre la Sainte Église, non la voler, et celui qui ainsi fait, est traître envers Christ. Puis vient Losengerie (flatterie, duperie) entre marchands, car commerce est de deux façons, l’un est honnête, enjoint par Dieu, l’autre fait de parjures et mensonges. Simonie est « commerce spirituel deshonnête, c’est-à-dire désir d’acquérir ce qui concerne le sanctuaire de Dieu et la cure des âmes. Par Simonie les voleurs sont introduits dans l’Église pour voler les âmes de Jésus-Christ et détruire son patrimoine. C’est chasser l’élu de Dieu et mettre à sa place l’enfant du Diable. » Puis viennent le jeu, les faux témoignages qui permettent de dépouiller autrui, le vol spirituel ou sacrilège.

Miséricorde et pitié sont les remèdes d’Avarice. Il faut imiter Notre Seigneur qui nous fit don de sa personne. Un autre remède est dépense raisonnable, et ici, il faut rendre grâces pour les biens qu’on possède et se souvenir qu’on ne sait ni quand ni comment l’on mourra, et en donnant, se garder de la prodigalité. « Qui dépense mal à propos, il est comme un cheval qui cherche à boire de l’eau troublée au lieu de boire l’eau de la claire fontaine. »

De Gula.

Gloutonnerie est un appétit démesuré pour manger et boire. C’est le péché qui a corrompu le monde comme on le voit au péché d’Adam et d’Ève. Celui qui y succombe ne peut résister à nul autre. Ce péché est de plusieurs sortes : Ivrognerie est la sépulture de la raison humaine ; quand un homme est ivre, il perd la raison et c’est péché mortel ; pourtant si un homme n’est pas habitué aux boissons fortes ou ne connaît pas la force de la boisson, ou a trop peiné, et se laisse surprendre par la boisson, le péché est véniel. « Ivrognerie cause dérangement d’esprit et perte de mémoire. Excès de viandes amène corruption des humeurs corporelles. » Saint Grégoire distingue autrement les branches de ce péché : « La première est manger devant heure, la seconde est rechercher viande et boisson délicates, la troisième est manger outre mesure, la quatrième est curiosité à cuire et appareiller les viandes, la cinquième est manger gloutonnement. Ce sont là les cinq doigts de la main du diable, au moyen desquels il attire les hommes au péché. »

Abstinence est le remède de Gloutonnerie, dit Galien ; mais il n’est point méritoire de la pratiquer seulement pour la santé du corps. Saint Augustin veut qu’elle soit accompagnée de patience. Autres remèdes sont Attempérance, Honte, Sobriété, Économie.

De Luxuria

Après Gloutonnerie vient Luxure, car ces deux péchés sont cousins. « Ce péché est chose déplaisante pour Dieu qui a dit : Ne forniquez point. » Aussi, dans les anciennes lois, a-t-il prescrit des peines sévères contre ce péché. Une femme esclave coupable de ce péché mourait sous le bâton, une femme de naissance noble était lapidée, une fille d’évêque brûlée. Parlons d’abord d’Adultère qui sera puni en Enfer par feu et soufre. Ce péché moult grief perd l’âme, consume le corps, dissipe les biens. Il enlève à l’homme et à la femme leur bonne renommée et tout leur honneur. « C’est l’autre main du diable avec ses cinq doigts pour entraîner le peuple à vilenie : le premier doigt est fol regard, le second faux attouchements, car quiconque touche femme prend dans ses doigts serpent qui mord ou poix qui tache, le tiers est paroles sales semblables à feu qui dévore le cœur, le quart est baisers : en vérité insensé est celui qui approche les lèvres d’une fournaise, même en légitime mariage, car on peut se tuer avec son propre couteau ou s’enivrer en buvant à sa tonne. Le cinquième doigt est le péché puant de Paillardise. Certes, les cinq doigts de Gloutonnerie, le diable les met dans le ventre de l’homme, et des cinq doigts de Paillardise il le saisit par les reins et le précipite dans la fournaise d’Enfer, où il souffrira éternellement par le feu et le ver rongeur, et il y aura des pleurs et des gémissements, extrême faim et soif, et l’horreur des diables qui le fouleront aux pieds, sans répit et sans fin. » Luxure est de différentes sortes, comme fornication entre personnes qui n’ont nul lien de mariage, défloration de vierge, adultère ; et bien qu’adultère ait été mentionné, il est bon d’y revenir. Adultère est un vol, c’est violation d’un sacrement, le coupable peut sans le savoir avoir commerce avec une parente. Que dire aussi des folles femmes qui pour un peu de gain s’abandonnent à péché, quelquefois au profit du mari. Adultère est Homicide, puisqu’il sépare ceux dont Dieu a fait une seule chair. Néanmoins par la loi de Jésus-Christ qui est loi de pitié, le pardon de cet énorme péché est accordé après pénitence, ainsi que Jésus-Christ le dit à la femme prise en adultère et qui devait être lapidée selon la loi des Juifs : Va, lui dit Notre Seigneur, et n’aie plus volonté de pécher, ou bien veuille ne plus commettre péché. Il y a d’autres variétés encore à ce péché : quand les coupables sont hommes de religion, démons et non anges de lumière, fils d’Hélie et enfants de Bélial, car certes un mauvais prêtre suffit pour corrompre toute une paroisse, comme un taureau lâché est assez pour toute une ville ; le mariage aussi peut devenir adultère quand ce sacrement n’est pas traité honnêtement ni gardé en grande révérence ou quand le mari et la femme sont parents à un certain degré ; adultère enfin est ce péché abominable que à grande peine peut-on nommer. « Ce péché déplaît tant à Dieu qu’il en fit pleuvoir feu ardent et soufre sur la cité de Sodome et de Gomorrhe et en fondit cinq cités en abîmes. » Adonc les hommes doivent se comporter sagement sans quoi ils peuvent très grièvement pécher.

Chasteté et Continence sont les remèdes de Luxure. Chasteté est de deux façons, dans le mariage et dans le veuvage. Mariage est union légitime de l’homme et de la femme lesquels reçoivent par la vertu du sacrement le lien qui ne peut être séparé pendant toute la vie, c’est-à-dire pendant qu’ils vivent tous deux. Afin de sanctifier le mariage, Dieu assista a des noces où il changea l’eau en vin. Mariage efface fornication et réunit les cœurs aussi bien que la chair de ceux qui sont mari et femme. Tel est vrai mariage. L’homme se doit comporter avec sa femme en patience et respect : ce n’est point du chef d’Adam que Dieu tira la femme, pour qu’elle eût empire sur lui, ni de son pied pour qu’elle fût outre mesure abaissée, mais de la côte d’Adam, afin qu’elle fût sa compagne. La femme doit obéir au mari, le servir honnêtement, être de mise modeste, avoir de la mesure et de la retenue dans ses propos et sa conduite, enfin lui garder la foi comme il la lui garde. Car mariage a trois fins, avoir lignée, se faire réciproquement don de son corps, éviter paillardise. — Chasteté est aussi dans le veuvage. Veuves doivent être nettes de cœur aussi bien que de corps et de pensée, modestes en leur mise, sobres dans le boire et le manger, en paroles et en actes. — Rester vierge est tierce façon d’être chaste. Virginité mérite les louanges de ce monde, elle rapproche des martyrs, elle a en soi ce que lèvres ne peuvent dire ni cœur concevoir. — Autres remèdes sont de fuir les excès de table, et les mauvaises compagnies et qu’aucun homme ne se fie à sa propre perfection à moins d’être plus fort que Samson, plus saint que David, plus sage que Salomon.

Maintenant, après avoir énuméré les sept péchés capitaux, quelques-unes de leurs branches et leurs remèdes, je voudrais, si je le pouvais, vous parler des dix commandements ; mais une si haute doctrine, je la laisse aux théologiens. Néanmoins qu’il plaise à Dieu qu’on ait été touché par ce traité, tous jusqu’au dernier.

[Ici le prédicateur revient à son sujet par une transition assez maladroite, laissant soupçonner l’interpolation].

De Confessione.

Or, comme la seconde partie de Pénitence consiste en Confession des lèvres, ainsi qu’il a été dit au premier chapitre, je dis, selon saint Augustin, que péché est toute parole, tout acte, toute intention contraire à la loi de Jésus-Christ, c’est-à-dire pécher par le cœur, les lèvres, en fait, par les cinq sens. Il faut considérer qui tu es qui commets le péché, si tu es homme ou femme, jeune ou vieux, noble ou serf, affranchi ou esclave, en bonne santé ou malade, marié ou célibataire, dans les ordres ou non, sage ou fol, clerc ou séculier. Autre circonstance est si le péché a été commis par fornication, adultère ou inceste ; si c’est un homicide, un horrible grand péché ou un petit, et combien de temps le péché s’est prolongé. Autre considération est le lieu où l’on a péché, quels en furent les complices, le nombre de fois qu’on a failli, par suite de quelles tentations et en quelle manière. L’homme et la femme, chacun de son côté, diront tout ouvertement, afin que le prêtre, qui est un juge, prononce son arrêt en connaissance de cause, après contrition du pécheur. — Pour que Confession soit profitable, il faut quatre conditions ; premier elle doit être faite dans l’amertume et le chagrin du cœur ; laquelle condition a cinq signes : honte, humilité, larmes, désir de parler malgré honte ressentie, obéissance à la pénitence imposée, chacun desquels signes se voit dans la confession du publicain, de saint Pierre et de Madeleine. Une autre condition à Confession est qu’elle soit faite rapidement, de peur de mort subite. Néanmoins il n’y faut pas mettre de la précipitation puisque la récapitulation des péchés exige quelque réflexion. Autres conditions sont les suivantes : Confession doit être faite librement, un prêtre régulièrement ordonné doit la recevoir, elle ne doit renfermer aucun mensonge, enfin elle doit être fréquente. « Une fois l’an au moins, car certes une fois l’an toutes choses sont renouvelées. »

Troisième et dernier point. — La troisième partie de Pénitence est satisfaction qui consiste en aumône et en peines corporelles. Aumônes sont de trois sortes : contrition de cœur, quand l’homme fait offrande de soi à Dieu ; compassion pour autrui ; don de bons conseils spirituels et temporels. L’homme en effet a besoin de nourriture, de vêtements, de refuge, de conseils charitables, de visites quand il est en prison ou malade, d’une sépulture après sa mort. Telles sont aumônes et tu en ouïras parler au jour du jugement. Ces aumônes tu les feras selon tes capacités et en t’en cachant. — Peines corporelles sont prières, veilles, jeûnes, enseignement d’oraisons. La prime oraison est le Paternoster, en lequel Jésus a compris la plupart des choses ; en trois choses est cette oraison privilégiée : Jésus-Christ la fit, elle est courte et facile à retenir, elle renferme en soi toutes les autres. Cette prière il la faut dire avec foi, en honnêteté et charité. Après il faut veiller, car veillez, a dit Jésus-Christ, et priez de peur de tomber dans la tentation. Ensuite jeûner, or jeûnes sont de trois sortes, selon que l’homme s’abstient de viandes, de réjouissances, de péchés. Enseignement ou discipline consiste à donner l’exemple par la parole, l’écrit, la conduite ; à porter le cilice, à se frapper la poitrine, se flageller, rester à genoux, supporter grandes et pitoyables tribulations. Quatre choses troublent Pénitence : peur, honte, espoir, désespérance ; peur de la souffrance ; honte de réciter ses péchés ; espoir de vivre longtemps et de mériter la pitié du Christ ; désespérance de la miséricorde divine et de son propre amendement.

Péroraison. — Ainsi pourra-t-on comprendre quel est le fruit de Pénitence, à savoir, selon la parole de Jésus-Christ, l’éternelle béatitude du ciel ; là, joie n’a ni contrariété de malheur ni chagrin ; là, c’en est fini de tous les maux de la présente vie ; là, le corps de l’homme, naguère ord et noir, est plus brillant que le soleil ; là, le corps, naguère maladif, frêle et faible et mortel, est immortel et si fort et si sain que rien ne pourra lui nuire ; là, n’est ni soif, ni faim, ni froid, ainsi chaque âme est portée à la perfection par la vue et la connaissance de Dieu. Ce règne de béatitude, les hommes peuvent l’acquérir par la pauvreté en esprit, cette gloire par l’humilité ; cette abondance de joie par la faim et la soif ; et le reste par l’excès de leur labeur ; et la vie par la mort et la mortification du péché.


Ici l’auteur du livre prend congé de ses lecteurs.


« Maintenant je prie tous ceux qui entendent lire ce petit traité ou le lisent, s’il renferme quelque chose qui leur plaise, d’en remercier Notre Seigneur Jésus-Christ, dont procèdent toute intelligence et toute bonté, Et si le traité renferme quelque chose qui leur déplaise, je les prie aussi de l’attribuer à la faute de mon ignorance, et non à ma volonté, laquelle aurait bien volontiers dit mieux si j’avais eu science. Car notre livre dit : tout ce qui est écrit est écrit pour nous instruire, et telle est mon intention. Or donc je vous supplie humblement au nom de Dieu miséricordieux, de prier pour moi, afin que Christ ait miséricorde et me pardonne mes péchés et, nommément, mes traductions et éditions de vanités terrestres, lesquelles je répudie dans mes rétractations : telles sont le livre de Troilus, le livre de Renommée, le livre des Dix-neuf Dames ; le livre de la Duchesse ; le livre de la Saint-Valentin du Parlement des Oiseaux ; les Contes de Canterbury, pour autant qu’ils induisent en péché ; le livre du Lion, et maints autres livres si je me les rappelais, et maint chant et maint lai luxurieux, que Christ, dans sa grande miséricorde, m’en pardonne le péché ! Mais pour la traduction de Boëce de Consolatione et autres livres de légendes des Saints, d’homélies, moralité et dévotion, j’en remercie Notre Seigneur Jésus-Christ et sa mère bienheureuse et tous les saints du ciel, les suppliant dorénavant et jusqu’à la fin de ma vie, de m’envoyer la grâce de pleurer mes péchés et de m’appliquer au salut de mon âme : et de m’accorder la grâce de faire vraie pénitence, confession et satisfaction en cette présente vie ; par la bienveillante grâce de Celui qui est roi des rois, prêtre dessus tous prêtres, qui nous racheta du précieux sang de son cœur ; afin que je sois l’un de ceux qui au jour du jugement seront sauvés : qui cum patre, etc[5]. »


Ci finit le livre des Contes de Canterbury, compilé par Geoffroy Chaucer, de l’âme duquel puisse Jésus-Christ avoir miséricorde. Amen.

  1. Ce passage serait peu intelligible si l’on ne se reportait au traité de Chaucer sur l’Astrolabe, II, 41-43 ; quand le soleil est à 29° au-dessus de l’horizon, le rapport entre la taille de Chaucer et la longueur de son ombre est à peu près comme six à onze.
  2. Il faudrait ici, selon M. Skeat, le Taureau ; la Balance est l’exaltation de Saturne.
  3. Allusion aux poèmes allitéralifs du Nord. Il est curieux de noter que Chaucer recourt probablement ici à une locution française : Ça n’a ni rim, ni ram, c’est-à-dire ni rime ni raison.
  4. Jusqu’à présent, en ce qui concerne les sources de ce conte, on en est réduit à des hypothèses. Trois systèmes ont été proposés par les critiques. D’après Skeat (Ed. Chaucer, III, 502 et suiv.), Pollard (Chaucer Primer, p. 124), Jusserand {Hist. Litt. peuple angl., I, 829) et la plupart, Chaucer a paraphrasé la Somme, composée en 1279 par le dominicain Laurent pour Philippe III de France et traduite en anglais vers 1340 par le moine Michel de Northgate sous le titre de The Ayenbite of Inwyt or Remorse of Conscience. Cette Somme est appelée tantôt Somme des Vices et des Vertus, tantôt Li Livres roiaux des Vices et des Vertus ou plus simplement la Somme le Roy. Pour M. G. Paris, c’est « un livre excellent…, où l’on trouve des tableaux de mœurs fort précieux, avec une prédication pleine d’onction, dont le ton rappelle parfois l’Imitation de Jésus-Christ ». (Litt. fr. au moyen âge, p. 187, 1901). On raconte qu’un exemplaire enchaîné à un pilier de l’Église des Innocents restait ouvert à la disposition des fidèles, preuve évidente de la popularité du livre. Il en reste dans les bibliothèques parisiennes une cinquantaine de manuscrits parmi lesquels sont signalés pour l’excellence de leur texte le manuscrit français 1824 de la Bibliothèque nationale (xiiie siècle) et le manuscrit 943 (xive siècle). La Somme fut traduite en provençal. Vers 1502 on en imprima un abrégé à Paris (in-4° caractères gothiques. Bibl. nat., Inv. 5 007). Divers manuscrits sont à l’étranger, l’un d’eux, qui se trouve à Parme, a été publié en partie avec la traduction italienne en regard (Trattatello delle virtu, in-12, Bologne, 1863). Si l’on compare à la Somme le texte de Chaucer, on s’aperçoit que les rapprochements sont peu nombreux, ils concernent d’ailleurs surtout la digression sur les péchés capitaux. Le professeur Liddell propose un autre système : pour lui les sources de Chaucer sont, outre la Somme, un traité anglais du xive siècle, The Clensyng of Mans Sowle, et diverses notes, fruit des lectures personnelles de l’auteur. Le Conte du curé serait donc dans l’ensemble une œuvre originale inspirée par des manuels de dévotion populaires (A New Source of the Parson’s Take, dans English Miscellany, Oxford, 1901). Enfin Kate O. Petersen croit que Chaucer a copié quelque compilation contemporaine où un moine aurait fondu deux traités latins, l’un du dominicain Raymond de Pennaforte (1238), l’autre la Summa seu Tractalvs de Vitiis de Guillaume Peraldus (av. 1261), ce dernier manuel étant la source de la digression sur les péchés capitaux (Sources of the Parson’s Tale, Ratcliffe Collège monographs, Boston, 1901).
  5. Si cette conclusion est de Chaucer, il faut supposer qu’il l’écrivit quand il était vieilli au point de n’être plus lui-même. Il est plus probable que la pieuse main qui remania le Conte du Curé, prêta au poète cette condamnation édifiante de ses meilleures œuvres. Dans tous les cas, ce serait, selon les termes mêmes de la dernière page, non la conclusion d’un des Contes de Canterbury, mais d’un « petit traité » de dévotion indépendant de la série.